Guerre en Ukraine : on vous explique la notion de crime de guerre, accusation récurrente dans le conflit en Ukraine
Depuis le début de l'offensive russe en Ukraine, l'accusation est lancée par les deux camps. La Cour pénale internationale, elle, enquête déjà sur d'éventuels crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans ce conflit.
L'air grave, vêtu d'un manteau kaki et d'un gilet pare-balles couleur camouflage, le président ukrainien Volodomyr Zelensky s'est rendu, lundi 4 avril, à Boutcha, près de Kiev, où il a accusé les forces russes d'avoir commis des "crimes de guerre". Ce n'est pas la première fois : depuis le début de la guerre, Volodymyr Zelensky mais aussi des dirigeants occidentaux comme Boris Johnson ou le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, dénoncent régulièrement des "crimes de guerre" commis par Moscou.
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Le 10 mars, le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, puis la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avaient, eux aussi dénoncé "un crime de guerre odieux", au lendemain du bombardement par l'armée russe d'un hôpital pour enfants à Marioupol, dans l'est de l'Ukraine. De son côté, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête le 2 mars pour "crimes de guerre", imité par le parquet général allemand, le 8 mars.
L'accusation est également lancée par le camp adverse. Le 7 mars, le représentant russe dans les pourparlers entre Moscou et Kiev a ainsi affirmé que l'Ukraine empêchait l'évacuation de civils des villes en proie aux combats, une pratique qu'il a qualifiée de "crime de guerre." Mais qu'est-ce qu'un crime de guerre précisément ? Pour mieux comprendre, franceinfo vous éclaire sur cette notion apparue au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Des crimes codifiés par le droit international
C'est le tribunal de Nuremberg, chargé de juger les criminels nazis, qui définit pour la première fois les crimes de guerre en 1945. Comme le rappelle Le Monde diplomatique, sont alors cités comme crimes de guerre les actes suivants : "Assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires." La notion est ensuite reprise dans les Conventions de Genève, signées en 1949. Ces textes fondamentaux en droit international humanitaire fixent les limites à respecter en temps de guerre pour la protection des civils, du personnel sanitaire, des blessés, des prisonniers de guerre…
Car même en cas de conflit armé, il y a des règles à respecter. "Les crimes de guerre sont codifiés par le droit international", explique à franceinfo Clémence Bectarte, avocate qui représente la Fédération internationale pour les droits humains et la coalition française à la CPI. L'article 8 du Statut de Rome (en PDF), le traité international qui a fondé la Cour pénale internationale en 1998, répertorie les violations graves. On retrouve, entre autres, l'homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains (y compris les expériences biologiques), la destruction et l'appropriation de biens, la détention illégale, la déportation, la prise d'otages... Les nombreuses infractions constitutives des crimes de guerre tiennent sur plus de cinq pages.
Même si Moscou ne parle pas de guerre, mais "d'opération militaire spéciale", les règles de la guerre s'appliquent bien en Ukraine, car il s'agit d'un conflit armé international.
Les attaques contre les civils sont des crimes de guerre
Zone résidentielle à Tchernihiv, établissement scolaire à Jytomyr ou encore école maternelle dans la périphérie de Louhansk... Depuis le début de la guerre en Ukraine, des bâtiments civils sont durement frappés. Le 9 mars, un hôpital pédiatrique a été bombardé dans la ville portuaire de Marioupol. Des tables à langer, des lits ont été projetés, tout a été soufflé. Selon la mairie, trois personnes dont un enfant sont morts. "Quel genre de pays, la Russie, a peur d'hôpitaux et de maternités et les détruits ? Européens ! Ukrainiens ! Habitants de Marioupol ! Aujourd'hui nous devons nous unir pour condamner ce crime de guerre de la Russie, qui reflète tout le mal que les envahisseurs ont fait à notre pays !" s'est indigné le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dans une vidéo.
De fait, "toutes les attaques indiscriminées contre les populations civiles, qui doivent être protégées, sont des crimes de guerre", affirme l'avocate Clémence Bectarte. "Les biens civils, comme les écoles ou les hôpitaux, ne devraient pas faire l'objet d'attaques ou de bombardements. De même que d'affamer les civils délibérément, ne pas envoyer les secours ou forcer la population à fuir : cela tend à être des crimes de guerre", ajoute-t-elle. La Russie dément cibler les infrastructures civiles et accuse les forces ukrainiennes de se servir de celles-ci comme de boucliers humains. Moscou a ainsi affirmé que la maternité de Marioupol bombardée servait de base à un bataillon nationaliste (le pouvoir russe a même affirmé que les photos et les images des victimes étaient fausses).
Quid de l'attaque d'une centrale nucléaire, comme l'armée russe l'a fait à Zaporijia ? "Le fait d'attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, des villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires" constitue un crime de guerre, selon le Statut de Rome, rappelle Clémence Bectarte. L'avocate ajoute que "ce genre d'attaques" a, une fois de plus, des conséquences pour les "populations civiles" qui vivent autour de ces sites. Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting, considère lui aussi, sur franceinfo, l'attaque d'une centrale nucléaire comme un crime de guerre.
Le sort des prisonniers de guerre en question
Côté ukrainien, certains agissements interrogent. Les photos et les vidéos de soldats russes capturés fleurissent sur les réseaux sociaux depuis le début du conflit. On les voit par exemple appeler leurs mères pour leur donner des nouvelles, souvent en larmes et avec, parfois, les mains entravées. La diffusion de ces images (par ailleurs difficile à authentifier) par des internautes ukrainiens ou pro-ukrainiens peut violer les lois de la guerre, surtout si les prisonniers sont reconnaissables. Respect de l'intégrité physique et mentale, droit à un traitement médical... En vertu de l'article 13 de la Convention de Genève, "les prisonniers de guerre doivent être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d'intimidation, contre les insultes et la curiosité publique".
D'autres images de soldats russes capturés sur le front ukrainien et forcés de livrer un repentir font grincer les dents des spécialistes du droit international humanitaire. "Le statut de prisonnier de guerre est régi par des règles, pour protéger la dignité. Les prisonniers doivent être bien traités", développe Clémence Bectarte. Dans le cas contraire, il peut s'agir d'un crime de guerre. "Les images de prisonniers de guerre dont on voit le visage, et que l'on peut donc reconnaître, constituent une violation du droit international humanitaire, mais ce n'est pas un crime de guerre", nuance, pour sa part, le professeur de droit international public à l'université de Genève Marco Sassoli, auprès de l'AFP.
L'enquête et la collecte de preuves, des étapes indispensables
Pour savoir si les exactions commises répondent à la définition du crime de guerre, il faut enquêter et collecter des preuves. Un travail difficile et minutieux qui peut prendre plusieurs mois, voire plusieurs années. C'est l'une des missions de la Cour pénale internationale (CPI), qui n'est pas la seule institution à l'effectuer. Depuis l'entrée des premiers chars russes sur le territoire ukrainien, des dizaines d'enquêteurs, d'experts balistiques et militaires, indépendants ou membres d'ONG, recherchent les preuves numériques (photos, vidéos et images satellites) de potentiels crimes.
Amnesty International, par exemple, dispose de son propre laboratoire scientifique, le Crisis Evidence Lab. "Nous avons identifié deux attaques [l'une à Kharkiv, l'autre à Okhtyrka, dans une école, ayant fait trois morts], pour lesquelles nous pouvons dire avec certitude que des armes à sous-munitions ont été utilisées par l'armée russe contre des civils ukrainiens", explique au Monde (article payant) Milena Marin, qui codirige ce laboratoire. Le site d'investigation Bellingcat (en anglais) en a documenté l'usage en Ukraine. L'utilisation de ces projectiles, qui explosent en deux temps, est interdite par la convention d’Oslo de 2008, que Moscou n'a toutefois pas signée. Ces bombes transportent une multitude de mini-bombes. Ce principe d'explosion à l'aveugle rend impossible tout ciblage ou autre tir militaire précis, et les civils deviennent des victimes collatérales.
"Toutes ces violations du droit international humanitaire imputables aux forces russes sont graves et sont susceptibles de constituer des crimes de guerre", avance Amnesty International. Mais pour le Canadien Bill Wiley, qui a participé au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, "il est un peu trop tôt pour tirer des conclusions". "Ce que nous voyons est une situation terrible, mais elle ne montre pas pour l'instant l'existence claire d'une politique criminelle systématique", estime-t-il dans Le Monde.
Une notion distincte du crime contre l'humanité
L'enquête de la CPI est également ouverte pour crimes contre l'humanité. En quoi cette notion diffère-t-elle des crimes de guerre ? "Les crimes de guerre sont liés à une situation de conflit armé. Les crimes contre l'humanité sont des crimes systématiques ou généralisés contre une population civile qui peut avoir lieu autant en temps de guerre que de paix", décrypte Clémence Bectarte. "Ils ne répondent pas à la même logique mais peuvent coexister. Si l'Etat russe lance une attaque généralisée contre les civils ukrainiens, il s'agit d'un crime contre l'humanité", complète-t-elle.
Il existe aussi le crime d'agression, c'est-à-dire "la planification, la préparation, le lancement ou l'exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat, d'un acte d'agression" qui viole la charte des Nations unies. D'après l'ancien Premier ministre britannique Gordon Brown et le juriste Philippe Sands, ce chef d'accusation, que la CPI n'est pas en capacité de juger, permettrait de viser directement Vladimir Poutine et ses plus proches collaborateurs. "Le tribunal spécial pour la répression du crime d'agression à l'encontre de l'Ukraine peut être mis en place rapidement", ont-ils plaidé dans Le Monde. Alors que la procédure en cours devant la CPI s'annonce, elle, longue et limitée. Et qu'il est très hypothétique d'imaginer un jour une comparution de Vladimir Poutine pour crimes de guerre.
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