Guerre en Ukraine : les conditions sont-elles réunies pour débuter l'évacuation humanitaire de Marioupol ?
Les conditions d'une opération d'évacuation humanitaire du port assiégé ne "sont pas réunies à ce stade", avait estimé l'Elysée mardi. Le lendemain soir, Moscou a annoncé un cessez-le-feu local pour permettre d'évacuer des civils.
Vers le début d'une opération d'évacuation du port assiégé de Marioupol ? "Cette nuit, nous avons été informés par le Comité international de la Croix-Rouge que la Russie était prête à ouvrir l'accès aux convois humanitaires depuis Marioupol" vers la ville de Zaporijia, mais en passant par Berdiansk, contrôlé par l'armée russe, a déclaré la vice-Première ministre ukrainienne, Iryna Verechtchouk, dans une vidéo publiée sur Telegram. "Sur le couloir de Marioupol, nous envoyons 45 bus" jeudi 31 mars, a-t-elle ajouté.
"Nous allons tout faire pour que les bus puissent entrer à Marioupol et évacuer ceux qui restent dans la ville."
Iryna Verechtchouk, vice-Première ministre ukrainiennesur Telegram
Mercredi soir, le ministère de la Défense russe a annoncé le début d'un "régime de silence", c'est-à-dire un cessez-le-feu local dès 10 heures jeudi, pour permettre cette évacuation "avec la participation directe de représentants du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (UNHCR) et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)".
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Cette opération signifie-t-elle le début d'une évacuation de grande ampleur des civils de Marioupol ? Mardi, les conditions pour enclencher une opération humanitaire d'évacuation n'étaient "pas réunies à ce stade", avait estimé l'Elysée, à l'issue d'un nouvel échange entre les présidents français et russe. Emmanuel Macron avait annoncé le lancement "dans les tout prochains jours" d'"une opération humanitaire" d'évacuation de la ville vendredi, en conférence de presse concluant un sommet européen à Bruxelles. "Nous allons, en lien avec la Turquie et avec la Grèce, lancer une opération humanitaire pour évacuer toutes celles et ceux qui souhaitent quitter Marioupol", avait-il déclaré, ajoutant qu'il aurait "d'ici 48 à 72 heures une nouvelle discussion avec le président Poutine pour bien en arrêter les détails et sécuriser les modalités".
Des garanties sécuritaires encore incomplètes
La situation est "dramatique" et "catastrophique" dans la ville de Marioupol, où environ 170 000 habitants restent bloqués, selon les informations de la présidence française. Le maire adjoint de la ville, Serguei Orlov, affirme que "90% des bâtiments sont détruits" et "la ville est constamment sous les bombes". D'après le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies (lien en anglais), la situation y est "plus désespérée que jamais".
"C'est une catastrophe humanitaire, les gens n'ont plus accès au gaz, à l'électricité, ni même à l'eau. Un enfant est mort de déshydratation", illustre auprès de franceinfo Vera Ageeva, professeure associée à la Haute Ecole des études économiques (HSE) à Saint-Pétersbourg (Russie), et doctorante à Sciences Po Paris. Un bâtiment du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a été la cible de bombardements russes mercredi, a rapporté sur Telegram (en russe) Lioudmila Denisova, chargée des droits humains auprès du Parlement ukrainien. Des informations invérifiables de source indépendante, Marioupol étant assiégée depuis un mois.
Selon l'Elysée, ce terrible contexte de siège empêche "la liberté de circulation des populations civiles". "Aux conditions du droit humanitaire, on ne peut pas considérer qu'il y ait une libre circulation des populations civiles, et donc une possibilité pour les civils qui le souhaitent de quitter la ville dans la direction" de leur choix, développait mardi la présidence pour expliquer l'impossibilité, "à ce stade", d'une opération d'évacuation d'ampleur.
L'annonce d'un cessez-le-feu local par Moscou change-t-elle la donne, notamment du point de vue de la sécurité ? Le CICR s'est déclaré prêt "à diriger" ces opérations dès vendredi, à condition d'avoir des garanties suffisantes. "On espère pouvoir organiser l'opération humanitaire demain, pour acheminer du matériel et faciliter la sortie de personnes souhaitant quitter la ville. Il nous faut des accords très précis", développe Alyona Synenko, porte-parole du CICR actuellement à Kiev.
"Quelles routes ? À quelle heure, et pour combien de personnes ? On parle de zones dangereuses où il y a eu des combats intenses. Il faut des accords très concrets pour que la route ne soit pas minée. Il doit y avoir des instructions très claires pour les militaires."
Alyona Synenko, porte-parole du CICR à Kievà franceinfo
Selon la porte-parole, contactée jeudi en fin de matinée, "nous n'en sommes pas encore là, mais on espère" aboutir à ces accords. "C'est uniquement à ce moment-là que l'on pourra parler de garanties sécuritaires."
Une ouverture russe "qui peut être très courte"
Jusqu'à présent, "la résistance du côté russe" a rendu très difficile le début d'une évacuation de Marioupol, car cela montrerait "une évacuation massive d'une ville qu'ils veulent prendre à tout prix", analyse Vera Ageeva. "Marioupol est important au niveau stratégique et politique." La prise de la ville permettrait de "connecter [les "Républiques" séparatistes prorusses] Lougansk et Donetsk à la Crimée, pour mieux les alimenter". Il y avait donc, aux yeux de la chercheuse, une "absence de volonté du côté russe d'organiser ce genre d'évacuation".
"Le plus important pour la Russie est d'organiser l'évacuation de Marioupol vers la Russie, pas vers l'Ukraine et l'Europe."
Vera Ageeva, professeure à l'Ecole des hautes études économiques à Saint-Pétersbourgà franceinfo
Selon le Kremlin, Vladimir Poutine avait expliqué à Emmanuel Macron mardi que, "pour trouver une solution à la situation humanitaire difficile dans cette ville, les combattants nationalistes ukrainiens devaient arrêter de résister et déposer les armes". Le dirigeant russe "a écouté les demandes" de son homologue français en matière d'accès et d'évacuation humanitaire, répondant "qu'il allait y réfléchir", avait assuré l'Elysée.
La promesse d'un cessez-le-feu local à Marioupol montre qu'une "pression internationale" a pu jouer sur Moscou, estime Vera Ageeva. "La Russie a dû faire un pas, même s'ils n'étaient pas trop d'accord." La chercheuse appelle toutefois à la prudence, pointant l'échec de précédentes tentatives d'évacuation et des témoignages de tirs russes sur des personnes tentant d'évacuer.
"Les Russes prennent peut-être une sorte de pause. Il y a une fenêtre qui peut être très courte mais il faut l'utiliser."
Vera Ageevaà franceinfo
Pour la chercheuse, ces annonces sont "un pas dans la bonne direction" de la part des autorités russes, mais "nous n'en sommes pas encore à une évacuation d'ampleur", prévient-elle. "Ce n'est que le début."
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