Guerre en Ukraine : on vous explique ce que sont les bombes au phosphore, armes utilisées par la Russie selon Kiev
L'usage de ces armes incendiaires est interdit contre des civils, mais pas contre des cibles militaires, d'après une convention internationale.
L'armée russe utilise-t-elle des bombes au phosphore pour faire la guerre en Ukraine ? L'accusation a été portée par le maire de la ville d'Irpin, au nord-ouest de Kiev, mercredi 23 mars. L'édile ukrainien a publié sur les réseaux sociaux une vidéo où on peut voir une pluie d'étincelles blanches dans la nuit noire.
"L'aviation russe a commencé à larguer des bombes au phosphore sur Roubijné", a également affirmé jeudi Serguiï Gaïdaï, le gouverneur de la région de Louhansk, dans l'est de l'Ukraine. L'accusation de bombardement au phosphore a été relayée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors du sommet de l'Otan jeudi.
Sans démentir l'utilisation de bombes au phosphore, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré vendredi que "la Russie n'a jamais violé aucune convention internationale". Que sait-on de cette arme ? Pourquoi est-elle controversée ? Dans quelles limites peut-elle être utilisée ? Franceinfo fait le point.
Un usage militaire ancien
Le phosphore blanc est un produit chimique dont l'usage a d'abord été industriel. Parce qu'il s'enflamme au contact de l'air, il sert au XIXe siècle à la fabrication des allumettes. Il est notamment manipulé par les allumettiers notamment, rappelle cette note historique reprise par le ministère français du Travail. En France, son utilisation dans l'industrie a toutefois été interdite en 1898.
Mais le produit chimique connaît un nouvel usage, militaire cette fois, à partir de la Première Guerre mondiale. De jour, il permet de créer des écrans de fumée pour masquer des mouvements de troupes. De nuit, sa grande luminosité sert à éclairer le champ de bataille. Le phosphore blanc est aussi utilisé comme explosif, dans des bombardements. Les bombes incendiaires commencent à être utilisées massivement, parallèlement à la naissance de l'aviation militaire. Des obus au phosphore blanc ont été souvent utilisés durant la Seconde Guerre mondiale, surtout par l'armée américaine sur le sol européen, en particulier contre les troupes blindées allemandes.
Le phosphore blanc "continue de brûler à une température pouvant atteindre 816 °C jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien ou que la source d'oxygène soit coupée", rappelle l'ONG Human Rights Watch. Ce produit chimique "génère un risque d'incendie et d'explosion" et "produit un gaz toxique", la phosphine, détaille sur son site l'Organisation internationale du travail. "Des brûlures au phosphore blanc sur seulement 10% du corps" suffisent à provoquer la mort, rapporte un rapport de HRW de 2018. L'inhalation peut aussi causer un œdème pulmonaire ou encore rendre inconscient.
Une arme incendiaire à l'utilisation codifiée
Les bombes au phosphore blanc ne sont pas considérées comme des armes chimiques, dont l'usage est interdit par la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (1997). Elles entrent dans la catégorie des armes incendiaires. Leur utilisation est codifiée par le Protocole III de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) entrée en vigueur en décembre 1983. Ce texte restreint leur emploi, mais sans les interdire totalement.
Le protocole stipule que ce type d'arme incendiaire "est interdit en toutes circonstances" contre les populations civiles. Les armes incendiaires sont également interdites contre des cibles militaires lorsqu'elles sont proches de populations civiles. Mais ce texte ne concerne pas le phosphore blanc lorsqu'il est utilisé pour ses propriétés fumigènes ou bien éclairantes. Ce protocole présente des "lacunes majeures" aux yeux de HRW.
Ce texte a été signé par 115 pays. La Fédération de Russie et l'Ukraine ont ratifié ce protocole III en 1982, du temps de l'URSS.
Des bombes déjà employées en Irak, en Syrie ou à Gaza
Plusieurs pays ont été accusés au XXIe siècle d'avoir utilisé des armes incendiaires. L'armée américaine a été critiquée pour avoir eu recours à des bombes au phosphore blanc durant une offensive sur Falloujah en novembre 2004, malgré la présence de nombreux civils dans cette ville irakienne, soupçonnée de servir de base arrière à des groupes terroristes. En novembre 2005, le chef d'état-major américain Peter Pace avait, après coup, jugé "légitime" l'usage de bombes à phosphore blanc contre des insurgés en Irak. "Cela rentre dans le cadre du droit de la guerre d'utiliser ces armes", avait plaidé le haut gradé.
En 2009, Israël a fini par reconnaître l'utilisation de phosphore blanc lors de l'offensive contre le Hamas dans la bande de Gaza. L'Etat hébreu a toutefois démenti dans son rapport avoir violé le droit international, assurant ne pas avoir usé de telles armes à l'intérieur de zones d'habitation.
En 2020, l'Arménie et l'Azerbaïdjan se sont également mutuellement accusés d'avoir bombardé des zones civiles ou employé des armes prohibées contenant du phosphore lors des combats dans le Haut-Karabakh.
L'armée russe a déjà été accusée d'avoir utilisé des bombes incendiaires en Syrie pour épauler son allié, Bachar Al-Assad, contre ses ennemis à Alep. La Russie a également affirmé que l'armée ukrainienne avait employé des munitions au phosphore en juin 2014 durant la guerre du Donbass.
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