Guerre en Ukraine : pourquoi Volodymyr Zelensky semble désormais ouvrir la voie à des négociations avec la Russie

Le dirigeant ukrainien n'exclut pas une perte temporaire de contrôle sur des territoires ukrainiens occupés par la Russie, contre des garanties de protection de l'Otan. Mais il espère les "récupérer" par "la voie diplomatique".
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, le 17 octobre 2024 à Bruxelles (Belgique). (NICOLAS ECONOMOU / NURPHOTO / AFP)

Une déclaration notable et inédite, presque trois ans après le début de l'invasion russe de l'Ukraine. Dans un entretien à Sky News vendredi 29 novembre, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s'est dit ouvert à la possibilité d'un cessez-le-feu et d'une perte temporaire de contrôle sur des territoires occupés par la Russie, à plusieurs conditions. "Nous devons placer sous le parapluie de l'Otan le territoire ukrainien que nous contrôlons" puis "récupérer" les régions d'Ukraine occupées par Moscou "par la voie diplomatique", a défendu le dirigeant en guerre

Comme le pointe Sky News, de tels propos sur les territoires occupés sont une première depuis les débuts du conflit. Dix jours plus tôt, Volodymyr Zelensky avait reconnu auprès de Fox News : "Nous ne disposons pas encore des forces suffisantes pour repousser, les armes à la main, Poutine jusqu'aux frontières de 1991." "La Crimée peut être reprise de manière diplomatique", avait-il ajouté. Dans les discours du chef d'Etat ukrainien, la perspective de négociations avec Moscou n'est pas nouvelle, "mais il a été encore plus clair [à ce sujet] ces dernières semaines", analyse Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). 

"Jusqu'à présent, le discours était de dire que l'objectif était de recouvrer le contrôle des frontières de 1991, avec donc la Crimée et le Donbass."

Marie Dumoulin, du Conseil européen pour les relations internationales

à franceinfo

Comment comprendre ces dernières prises de parole ? Pour les chercheurs interrogés par franceinfo, le retour prochain au pouvoir de Donald Trump à Washington joue pour beaucoup, à l'instar des difficultés sur le front et d'un épuisement qui est en train de gagner du terrain au sein de la population. "On est sur un message de plus en plus explicite, sans doute pour préparer la société à l'inévitable compromis", pointe l'analyste Ulrich Bounat, auteur de La Guerre hybride en Ukraine : quelles perspectives ?.

Avec la présidence Trump, le spectre d'un accord avec Moscou

Le spécialiste en est convaincu : dès 2025, "l'administration Trump va forcer les Ukrainiens à s'asseoir à la table des négociations avec la Russie". Mi-novembre, dix jours après l'élection du candidat républicain et populiste, Volodymyr Zelensky a affirmé être "certain que la guerre se terminera[it] plus tôt" avec la nouvelle équipe dirigeante américaine. "C'est leur approche, leur promesse à la société", a-t-il déclaré auprès du média ukrainien Suspilne. 

Fervent défenseur de "l'Amérique d'abord", Donald Trump a vivement critiqué l'ampleur de l'aide militaire américaine apportée à l'Ukraine. L'ancien président, qui sera investi le 20 janvier 2025, a promis de trouver une issue à la guerre "en 24 heures" – sans toutefois préciser les contours de sa promesse. "Ce qui est dans l'intérêt de l'Amérique, c'est d'accepter que l'Ukraine va devoir céder certains territoires aux Russes", soulignait en parallèle son colistier, J.D. Vance, en décembre 2023, dans un entretien à Fox News.

Le général Keith Kellogg, loyaliste nommé par Donald Trump émissaire pour la Russie et l'Ukraine, a esquissé au printemps de possibles pistes en réponse au conflit. Dans un rapport pour le très conservateur cercle de réflexion America First Policy Institute, il défend la recherche d'"un cessez-le-feu et d'un règlement négocié en Ukraine""Les Etats-Unis continueraient d'armer l'Ukraine et de renforcer sa défense, pour s'assurer que la Russie n'avancera plus et n'attaquera plus après un cessez-le-feu ou un accord de paix", propose-t-il, toutefois sous conditions. 

"Pour toute future aide militaire américaine, l'Ukraine devra participer à des pourparlers de paix avec la Russie." 

Keith Kellogg, futur émissaire de Donald Trump pour l'Ukraine et la Russie

dans un rapport

Kiev, en conséquence, s'inquiète d'une perte d'aides américaines cruciales et d'inévitables concessions de territoires à Moscou. En attendant la prochaine administration républicaine, "le discours de Volodymyr Zelensky cherche à poser le cadre, à expliciter ce que les Ukrainiens pourraient accepter comme type d'accord", souligne Marie Dumoulin. Pour le président ukrainien, la "seule véritable garantie de sécurité" est l'adhésion "pleine et entière" à l'Otan, comme il l'a encore affirmé mardi. Une tentative d'arriver autant que possible en position de force à la table des négociations, à l'heure où les soutiens occidentaux sont moins un acquis qu'en 2022. "Ce que les hauts fonctionnaires américains et européens ne disent pas publiquement, c'est qu'il existe un consensus discret mais de plus en plus grand, sur le fait que les négociations (...) sont le seul moyen de mettre fin à cette guerre", observe la chercheuse Rym Montaz, du centre de recherche Carnegie Europe.

Les Vingt-Sept sont d'ailleurs divisés sur la suite de leur soutien. "Un sentiment d'urgence prévaut" en Pologne, dans les pays nordiques ou baltes face à la menace russe, "donc ils sont très réticents à envisager des négociations sans position de force de l'Ukraine", analyse Marie Dumoulin. En Allemagne, le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, est plutôt "entre deux chaises" à l'approche d'élections législatives. "Il a tendance à reprendre à son compte un discours sur la nécessité de négociations à un moment, sans être sur une ligne de tout céder à la Russie." Mi-novembre, le leader allemand s'est entretenu par téléphone avec Vladimir Poutine, une première en deux ans. "La Russie ne peut pas dicter la paix à l'Ukraine", a-t-il toutefois assuré à Volodymyr Zelensky lundi, en visite à Kiev. 

Une armée et une société ukrainiennes fragilisées 

Les récents propos de Volodymyr Zelensky sont aussi une réponse à "la réalité du terrain", notamment au "manque d'hommes" le long de la ligne de front, note Ulrich Bounat. Les autorités ukrainiennes déclarent avoir besoin d'au moins 160 000 soldats supplémentaires, mais l'administration Biden juge l'estimation trop basse, rapporte Associated Press. D'après les informations de l'agence, Washington aspire même à voir Kiev baisser l'âge de la mobilisation, de 25 ans à seulement 18 ans. Une demande à l'heure où Kiev et Moscou s'enfoncent dans "une guerre d'attrition", avec des forces russes "à l'offensive" et marquant "une progression lente et besogneuse" au prix de lourdes pertes, remarque Ulrich Bounat. 

"En termes de kilomètres carrés, les avancées russes des derniers mois ont été les plus rapides depuis 2022. Elles ne sont toutefois pas foudroyantes, elles ne bouleversent pas l'équilibre des forces."

Ulrich Bounat, spécialiste de la guerre en Ukraine

à franceinfo

Fin novembre, le New York Times relevait que les forces russes avaient capturé au moins une dizaine de villages en environ dix jours et qu'elles se rapprochaient de deux villes stratégiques de la région de Donetsk, Kourakhove et Velyka Novosilka. La dernière, précise le quotidien américain, est un point logistique important pour l'armée ukrainienne. Kiev craint en parallèle la préparation d'une nouvelle offensive russe dans la région de Zaporijjia, vers le sud de l'Ukraine. Malgré les percées ukrainiennes dans la région russe de Koursk, "la situation [actuelle] est la plus difficile que nous ayons connue en près de trois ans de guerre", a convenu auprès du journal Ukrainska Pravda le commandant Andrii Biletskyi. 

A cela s'ajoute "une grande fatigue de la société ukrainienne", traumatisée et fragilisée par le conflit, poursuit Carole Grimaud, professeure en géopolitique de la Russie à l'Université Paul-Valéry de Montpellier. Encore plus à l'approche d'un nouvel hiver "avec encore moins de capacités d'énergie" et qui s'annonce comme le plus difficile depuis les débuts de la guerre. Cette année, près de la moitié des Ukrainiens ont eu des difficultés à se nourrir ou à se loger, selon une enquête d'opinion menée par Gallup. Sans surprise, ils sont donc plus nombreux à se dire aujourd'hui en faveur d'une paix négociée. Pour la première fois en près de trois ans, une courte majorité d'Ukrainiens – 52% – défend cette issue plutôt qu'une poursuite des combats, toujours selon Gallup.

Parmi cette fine majorité pro-négociations, un peu plus de la moitié estiment que Kiev devrait être ouvert à céder certains de ses territoires pour la paix. Une minorité, donc, rapportée à l'ensemble des sondés. Quant à l'adhésion à l'Otan, 84% d'Ukrainiens y sont toujours favorables, relève Euronews"Du côté de la société russe, eux aussi sont favorables à des négociations. Cette guerre fait partie de leur quotidien maintenant", ajoute Carole Grimaud. Un récent sondage mené par Russian Field montre en effet que 53% des Russes interrogés plébiscitent "une transition vers des pourparlers de paix". "Malheureusement, je n'ai pas l'impression que [le pouvoir à] Moscou souhaite négocier", conclut la spécialiste de la Russie. 

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.