Guerre en Ukraine : quatre questions sur l'embargo européen sur le pétrole russe
Plus une goutte de pétrole brut russe ne doit arriver dans l'Union européenne par voie maritime. Depuis lundi 5 décembre, les pays européens ont activé l'embargo sur l'or noir venant de Russie. Décidée au printemps, cette sanction a pour but de fragiliser les capacités financières du Kremlin pour mener sa guerre en Ukraine. Moscou est en effet le deuxième exportateur de pétrole brut dans le monde. En février 2023, la deuxième volet de cette interdiction doit entrer en vigueur : les produits raffinés – comme le diesel – en provenance de Russie seront également bannis. Cette mesure européenne, qui coïncide avec l'activation du plafonnement du prix de vente du pétrole russe par les Occidentaux, soulève plusieurs questions.
1 Quelle quantité de pétrole russe est encore importée ?
Fin août, alors que la guerre en Ukraine faisait rage depuis six mois déjà, Bloomberg (en anglais) révélait que les importations de pétrole russe en Europe étaient à leur plus haut niveau depuis avril, à 3,4 millions de barils par jour. En octobre, l'Union européenne importait encore 1,5 million de barils de pétrole brut par jour, selon l'Agence internationale de l'énergie (en anglais).
Avant la guerre, en 2021, les principaux pays importateurs de pétrole brut dans l'Union européenne étaient l'Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne, selon Reuters (en anglais). D'après Bloomberg, six mois après le début du conflit, l'hydrocarbure russe arrivait principalement en Turquie, en Italie, aux Pays-Bas, en Roumanie et en Bulgarie.
La Bulgarie a d'ailleurs obtenu un délai pour s'adapter à l'embargo européen. Sofia pourra continuer à importer ce pétrole russe par voie maritime jusqu'à fin 2024, détaille Politico (en anglais).
2 Comment ce pétrole arrive-t-il en Europe ?
La grande majorité du pétrole brut (pas encore raffiné) russe arrive par cargo dans les ports européens. En mars, un navire russe contenant 100 000 tonnes d'hydrocarbures a ainsi été autorisé à décharger dans le port du Havre (Seine-Maritime).
Une autre partie du pétrole brut russe entre en Europe par pipeline. Mais ces approvisionnements par voie terrestre ne sont pas concernés par l'embargo. La Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie pourront donc continuer à recevoir du pétrole brut russe par ce biais.
L'Allemagne et la Pologne, également alimentés par pipeline, ont pour leur part décidé de mettre fin à ces importations d'ici fin 2022.
3 Cet embargo peut-il être efficace ?
Selon l'Union européenne, l'interdiction permettra de mettre un coup d'arrêt à 90% des importations russes d'ici à la fin de l'année. Mais de nombreux experts soulignent qu'il sera aisé pour la Russie de contourner l'embargo européen. "Les Russes peuvent toujours trouver des solutions, estime Phuc-Vinh Nguyen, expert des questions énergétiques, sur franceinfo. Soit en tentant de maquiller les cargaisons en les mélangeant avec d'autres types de pétrole pour cacher son origine, soit avec une flotte qui ferait divers détours en passant par l'Asie puis l'Europe."
Le marché pétrolier, contrairement à celui du gaz rend, la tâche plus aisée. "Vous n'avez aucune façon de vous assurer que le pétrole que vous achetez à des traders de Bombay, Singapour ou d'Arabie saoudite, ne vient pas originellement de puits ou de champs russes", abonde Matthieu Auzanneau, directeur de The Shift Project, un think tank dédié à la transition énergétique.
Mais cette complexité pourrait faire les affaires de l'UE. "Il faut être prudent sur les capacités réelles et sur la volonté des acteurs européens de se passer du pétrole russe, analyse Matthieu Auzanneau. Il y a une certaine complaisance parce que l'Union européenne sait très bien qu'elle ne peut pas faire une croix sur le gaz et le pétrole russes".
4 Cette sanction ne risque-t-elle pas de pénaliser les Européens ?
En voulant se priver de pétrole russe, les Européens ne risquent-ils pas de se fragiliser eux-mêmes ? Les pays de l'UE ont certes diversifié leurs sources d'approvisionnement pour préparer l'entrée en vigueur de cet embargo, mais ils pourraient cependant souffrir de la hausse des prix. Ces difficultés devraient s'accentuer avec les interdictions d'importations de produits raffinés à partir de février 2023.
"Ce sera plus difficile pour le diesel, alerte le spécialiste Carmine de Franco dans Le Monde. Car l'UE en importe encore beaucoup, et on a peu de capacités de production de produits raffinés." Une mission "difficile, mais pas impossible", complète Francis Perrin, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Ce dernier note que les importations russes ont tout de même baissé de 40% pour le pétrole brut depuis le début du conflit.
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