Guerre en Ukraine : quatre questions sur le remplacement du commandant en chef des armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny

Commandant en chef depuis 2021, le populaire général a été remplacé jeudi par le chef de l'armée de terre Oleksandre Syrsky. C'est "le temps du renouveau", a déclaré le président Volodymyr Zelensky.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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L'ancien commandant en chef de l'armée ukrainienne Valeri Zaloujny le 28 juillet 2023 à Kiev (Ukraine). (UKRAINIAN PRESIDENTIAL PRESS / AFP)

"Aujourd'hui, la décision a été prise de changer le commandement des forces armées ukrainiennes", a annoncé jeudi 8 février le ministre de la Défense ukrainien, Roustem Oumerov. Valeri Zaloujny est ainsi démis de ses fonctions, après un peu plus de deux ans et demi passés à ce poste.

Celui qui a fait échouer la prise de Kiev par l'armée russe, en février 2022, aux premières heures de la guerre, est remplacé par le chef de l'armée de terre, Oleksandre Syrsky. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a chargé celui-ci d'élaborer un plan de bataille "réaliste" pour l'Ukraine en 2024, au moment où Kiev s'inquiète de l'effritement du soutien occidental et des dissensions internes aux Etats-Unis et au sein de l'Union européenne. Franceinfo répond à quatre questions que soulève ce moment important dans la conflit.

Qui est Valeri Zaloujny, ex-commandant en chef de l'armée ukrainienne ?

Celui qui était commandant en chef de l'armée depuis juillet 2021 peut se targuer d'une grande popularité auprès des Ukrainiens depuis l'échec de l'offensive russe lancée sur Kiev le 24 février 2022, souvent mise à son crédit. Le militaire charismatique de 50 ans n'a par ailleurs pas sa langue sans sa poche et n'hésite pas à prendre position, quitte à ne pas faire dans la diplomatie. "Ce n'est pas un spectacle, ce n'est pas un jeu sur lequel on parie. Chaque jour, chaque mètre est donné par le sang", rétorquait ainsi Valeri Zaloujny au Washington Post en juin 2023, face aux critiques des Occidentaux de ne pas voir de progrès sur le front ukrainien.

Né dans une garnison militaire soviétique du nord-ouest de l'Ukraine, il fait partie de la première génération de militaires ukrainiens à avoir fait toute sa carrière après la chute de l'URSS. Il a rejoint l'état-major en 2017, avec la priorité de mettre l'armée ukrainienne aux normes de l'Otan, que l'Ukraine ambitionne de rejoindre malgré l'opposition du Kremlin. Une de ses décisions cruciales est d'avoir délégué l'initiative de la prise de décision aux officiers sur le champ de bataille, à l'inverse de la culture centralisatrice soviétique. Cette souplesse s'est avérée déterminante au début de la guerre pour infliger plusieurs déroutes aux forces russes.

Pourquoi Volodymyr Zelensky l'a-t-il démis de ses fonctions ?

Depuis plusieurs mois, la tension entre Valeri Zaloujny et Volodymyr Zelensky était de plus en plus palpable. En Ukraine, la ligne de front est quasiment gelée depuis fin 2022 et la contre-offensive estivale lancée par Valeri Zaloujny n'a pas eu le succès militaire escompté. Renverser rapidement la vapeur est un impératif pour l'Ukraine, au moment où, aux Etats-Unis comme en Europe, l'époque où les alliés de Kiev semblaient prêts à dépenser sans compter semble terminée. C'est "le temps du renouveau", a déclaré Volodymyr Zelensky peu après l'annonce de changement de commandant en chef.

"Notre combat se poursuit et évolue chaque jour. Les tâches de 2022 sont différentes de celles de 2024", a réagi Valeri Zaloujny sur Telegram, à l'annonce de la nomination du nouveau commandant en chef de l'armée ukrainienne, évoquant une discussion "sérieuse" avec le président ukrainien. Les deux hommes ont publié la même photo où on les voit se serrer la main en souriant sur leurs chaînes Telegram respectives. Une entente de façade ? Alors que la popularité de Valeri Zaloujny rivalise avec celle de Volodymyr Zelensky, selon les sondages ukrainiens, l'ex-commandant en chef pourrait être "une menace politique potentielle si une élection présidentielle devait avoir lieu", estime le Washington Post. Les scrutins sont suspendus en Ukraine en raison de la loi martiale. Dans des conditions normales, les citoyens ukrainiens auraient été appelés aux urnes cette année pour choisir le chef de l'Etat.

Qui est son remplaçant, Oleksandre Syrsky ?

Bien que moins populaire que son prédécesseur, Oleksandre Syrsky a tout de même plusieurs faits d'armes à son actif. Qualifié de "général le plus expérimenté d'Ukraine" par Volodymyr Zelensky, celui-ci a commandé la défense de Kiev au début de l'invasion russe, puis la contre-offensive de l'automne 2022 qui avait libéré la région de Kharkiv, dans l'est du pays. Fait "héros de l'Ukraine", la plus haute distinction nationale, par Volodymyr Zelensky en avril 2022, 48% des Ukrainiens disent pourtant ne pas connaître Oleksandre Syrsky, selon un sondage de décembre 2023. Le militaire de 58 ans, qui dirigeait jusqu'alors l'armée de terre et les troupes dans l'est du pays, est en effet plutôt adepte des sèches communications officielles que de la une des journaux. C'est par ailleurs l'"un des rares commandants hauts gradés à se rendre régulièrement sur la ligne de front", affirme le porte-parole du front est, Illia Ievlach.

La nomination de Oleksandre Syrsky provoque cependant quelques critiques. Certains lui reprochent en effet une approche militaire trop "soviétique" et de ne pas être suffisamment sensible aux pertes humaines. Il "sait remplir les tâches qui lui sont assignées, mais en même temps ne compte pas toujours les pertes humaines", affirme le journal en ligne ukrainien Ukraïnska Pravda. Comme l'essentiel des hauts gradés de sa génération, Oleksandre Syrsky, né en 1965 en Russie d'un père militaire, a fait ses classes à l'école de commandement de l'armée rouge à Moscou. Après la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l'URSS, celui-ci a cependant rejoint les rangs de la toute nouvelle armée de l'Ukraine fraîchement indépendante et a fini ses études à université de la défense nationale à Kiev.

Afin d'écarter les critiques de ses détracteurs, Oleksandre Syrsky a pris la parole au lendemain de sa nomination. "La vie et la santé des soldats a toujours été et reste la principale valeur de l'armée ukrainienne", a-t-il promis sur Telegram, où il appelle au "perfectionnement" de l'armée pour que l'Ukraine puisse gagner la guerre. "La distribution et la livraison rapides et rationnelles de tout ce qui est nécessaire aux unités de combat ont été et restent les tâches principales de la logistique militaire", a-t-il par ailleurs affirmé, alors que l'Ukraine manque d'hommes et de munitions.

 Comment la Russie réagit-elle ?

Interrogé sur le limogeage de Valeri Zaloujny et l'arrivée d'Oleksandre Syrsky à la tête de l'armée ukrainienne, le pouvoir russe ne laisse rien transparaître. "Nous ne pensons pas que ce soient des facteurs capables de changer le cours de l'opération militaire spéciale [nom donné par Moscou à l'invasion de l'Ukraine]. Celle-ci se poursuivra jusqu'à ce que les objectifs soient atteints", estime la porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Plus tôt, alors que la rumeur d'un changement de commandant en chef de l'armée ukrainienne courait déjà, le Kremlin estimait que cela était probablement la conséquence de la contre-offensive ratée de l'Ukraine, et faisait suite à "des problèmes sur le front" pour Kiev.

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