Guerre en Ukraine : qui est l'opposant russe Vladimir Kara-Mourza, condamné à 25 ans de prison ?
La répression se poursuit en Russie. L'opposant Vladimir Kara-Mourza a été condamné à 25 ans de prison par un tribunal de Moscou, lundi 17 avril, pour plusieurs accusations, dont celle de "haute trahison". Menotté dans la cage dévolue aux accusés, vêtu d'un tee-shirt noir et d'une veste grise, l'opposant âgé de 41 ans a accueilli le verdict avec un sourire, avant d'enjoindre par des gestes ses soutiens à lui écrire en prison. Cet historien et défenseur des droits humains avait été placé en détention provisoire il y a un an.
En avril 2022, Vladimir Kara-Mourza avait déclaré sur CNN (interview en anglais) que le régime russe n'était "pas seulement corrompu, kleptocrate et autoritaire", mais qu'il était également "un régime de meurtriers". Il avait été arrêté quelques heures plus tard, puis une enquête pénale pour "diffusion de fausses informations" avait été ouverte à son encontre. En cause, notamment, un discours prononcé un mois plus tôt devant des élus de l'Arizona, aux Etats-Unis, lors d'un événement de l'Institut Mcain. Comme le rappelle l'organisme, l'opposant au Kremlin y dénonçait des "crimes de guerre" commis par les forces russes en Ukraine, en particulier l'usage de bombes à fragmentation et les frappes sur "des maternités et des écoles".
A l'issue d'un procès à huis clos, le tribunal a en outre reconnu coupable Vladimir Kara-Mourza de "haute trahison", pour avoir critiqué le pouvoir lors d'interventions publiques en Occident. Une première depuis les accusations portées contre le prix Nobel de littérature Alexandre Soljenitsyne, en 1974. Il a également été reconnu coupable de travail illégal pour une organisation dite "indésirable", Open Russia, considérée ainsi par les autorités depuis 2017. L'une de ses avocats, Maria Eismont, a annoncé que son client allait faire appel.
Une figure ancienne de l'opposition en Russie
Vladimir Kara-Mourza, russe de naissance, possède aussi la citoyenneté britannique, lui qui a déménagé au Royaume-Uni avec sa mère à l'âge de 16 ans, en 1997. Journaliste pour le quotidien Novye Izvestia, il emboîte le pas de l'opposant russe Boris Nemtsov après l'avoir interviewé. Lors de ses débuts en politique, en 2003, il se porte candidat à la Douma, au nom de deux partis : l'Union des forces de droite et Iabloko. Mais il échoue, avec 8% des voix, loin derrière le candidat de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Vladimir Kara-Mourza déménage alors aux Etats-Unis pour diriger le bureau de Washington de la chaîne de télévision internationale RTVI.
Il plaide aux Etats-Unis, en Europe et au Canada pour l'adoption de sanctions contre les responsables russes qui se rendent coupables de graves violations des droits humains. Au côté de Boris Nemtsov, il joue un rôle important dans l'adoption de la loi dite "Magnitski", votée en 2012 par le Congrès américain. Elle permet de mettre en place des sanctions contre les personnes reconnues responsables de violations des droits humains, et ce, partout dans le monde. La législation porte le nom d'un juriste russe, mort en détention préventive après avoir mis au jour un scandale de corruption.
Dans la foulée, l'ambassade de Russie annule son accréditation de presse, ce qui entraîne son licenciement de RTVI. Vladimir Kara-Mourza devient alors conseiller d'un institut dirigé par le fils du milliardaire Mikhaïl Khodorkovski, homme d'affaires qui a passé une décennie en prison pour son opposition à Vladimir Poutine. L'oligarque, après sa libération, lui confie la coordination du mouvement Russie ouverte.
De retour à Moscou en 2014, Vladimir Kara-Mourza décrit notamment l'annexion de la Crimée comme un "crime du régime" russe. Un an plus tard, fin février 2015, Boris Nemtsov est assassiné de quatre balles dans le dos sur le pont Bolchoï Moskvoretski, à deux pas du Kremlin. Vladimir Kara-Mourza perd un ami proche, bête noire des nationalistes russes.
Victime de deux empoisonnements
Trois mois plus tard, en mai 2015, Vladimir Kara-Mourza est lui-même hospitalisé en soins intensifs. Il reste un mois et demi alité après être tombé dans le coma. Son entourage dénonce un empoisonnement commandité par le pouvoir russe, bien qu'aucune enquête pénale n'ait jamais été ouverte. "Les docteurs ont dit à ma femme que j'avais 5% de chances de survie", expliquait en mai 2022 à BFMTV. Deux ans plus tard, il est de nouveau hospitalisé pour les mêmes symptômes, et part aux Etats-Unis durant sa convalescence. L'opposant souffre aujourd'hui de polyneuropathie et de pathologie neuromusculaire, selon son avocat Vadim Prokhorov, cité par l'AFP.
Plus récemment, Vladimir Kara-Mourza a piloté un projet visant à soutenir de jeunes opposants lors des dernières élections législatives. En mars 2021, il avait d'ailleurs été arrêté lors d'un forum réunissant des figures de l'opposition, aux côtés de quelque 200 autres participants, lors d'un événement organisé par les Démocrates unis, un projet de Mikhaïl Khodorkovski pour favoriser l'élection de députés indépendants aux scrutins locaux.
"Je n'ai pas réussi à convaincre suffisamment"
Ces dernières années, la quasi-totalité des opposants russes ont été condamnés à de lourdes peines de prison ou ont dû fuir la Russie. Vladimir Kara-Mourza, pour autant, n'a pas souhaité quitter de nouveau son pays. "Rester en Russie lui donne le droit de s'adresser à ses concitoyens pour leur parler de la résistance", a expliqué son épouse, Evgenia Kara-Murza, dans les colonnes de L'Express, à la veille du jugement.
Ses conditions de détention ont toutefois pesé sur sa santé. "Son pied droit est affecté et il a des difficultés à marcher", précise-t-elle, ajoutant que ses courtes promenades avaient lieu dans "une petite cour couverte", sans possibilité de voir le ciel. Elle ajoute que son mari, auquel le Conseil de l'Europe a décerné le prix des droits de l'homme Vaclav-Havel 2022, n'a "pas le droit de s'asseoir sur le lit pendant la journée" et a déjà perdu 22 kilos après une année en détention provisoire.
"Je souscris à chaque mot que j'ai prononcé et à chaque mot dont j'ai été accusé par ce tribunal", a-t-il expliqué, le 10 avril, lors de ses dernières déclarations au tribunal. Il ne se faisait guère d'illusions sur son sort. "Je connais le verdict. Je l'ai connu il y a un an, lorsque j'ai vu dans le rétroviseur des personnes en uniforme noir et masques noirs courir après ma voiture", a-t-il résumé, selon des propos traduits par la revue géopolitique Le Grand Continent. "Je ne me reproche qu'une chose : au cours de mes années d’activité politique, je n'ai pas réussi à convaincre suffisamment de mes compatriotes et suffisamment d'hommes politiques des pays démocratiques du danger que le régime actuel du Kremlin représente pour la Russie et pour le monde."
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