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Guerre en Ukraine : trois questions sur les couloirs humanitaires pour évacuer les civils

Lundi, Moscou a annoncé l'instauration de cessez-le-feu locaux et l'ouverture de couloirs humanitaires pour permettre l'évacuation de civils de plusieurs villes d'Ukraine. Mais la moitié de ces couloirs rejoignent la Russie ou la Biélorussie, provoquant la colère de Kiev. De son côté, Paris dénonce le "cynisme moral et politique" de Poutine.

Article rédigé par Joanna Yakin - édité par Xavier Allain
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Un combattant ukrainien aide des civils à évacuer la ville d'Irpin sous les bombardements. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Le négociateur russe accuse l'Ukraine de bloquer les "couloirs humanitaires". Au douzième jour de l'invasion russe lundi 7 mars, Moscou a annoncé l'instauration de cessez-le-feu locaux et l'ouverture de couloirs humanitaires pour permettre l'évacuation de civils des villes ukrainiennes de Kharkhiv, Kiev, Marioupol et Soumy, en proie à de violents combats. Mais la moitié de ces couloirs rejoignent la Russie ou le Biélorussie, pays depuis lequel l'armée russe est aussi entrée en Ukraine le 24 février, et ont aussitôt été rejetés par le gouvernement ukrainien. Le président français Emmanuel Macron a dénoncé lundi "le cynisme moral et politique" de Vladimir Poutine. 

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L'Élysée a également indiqué dans un communiqué que ces couloirs humanitaires n'ont pas constitué une demande d'Emmanuel Macron lors d'un entretien de deux heures par téléphone dimanche avec le Kremlin, comme l'affirmaient les forces armées russes. "La demande personnelle du Président de la République comme du reste des alliés et partenaires c'est que l'offensive russe cesse", précise l'Élysée.

Ces couloirs humanitaires sont désormais au coeur d'un bras de fer entre les différentes parties du conflit. franceinfo fait le point. 

En quoi consiste exactement ces couloirs ?

Dans les faits, et de façon très simples, ces couloirs humanitaires, qu'on appelle aussi parfois "corridors humanitaires", sont des passages qui sont organisés pour permettre d'évacuer les civils des zones de conflit, à travers le monde.

Si la priorité est l'évacuation des civils et l'accompagnement en sécurité des réfugiés, ces couloirs peut aussi revêtir un autre aspect. Ces passages peuvent aussi permettre de laisser passer de l'aide humanitaire, du matériel médical par exemple, dont l'Ukraine fait actuellement fait défaut. De façon très simple, il faut donc voir ce dispositif comme un chemin qui va d'un point A à un point B et où, en théorie, on laisse passer les civils et l'aide humanitaire sans attaquer personne.

Mais c'est aussi un signal majeur de crise humanitaire. Pierre Mendiharat, directeur adjoint des opérations à Médecins sans frontières (MSF), a estimé ce lundi matin sur franceinfo "très inquiétant d'entendre parler de couloirs humanitaires" en Ukraine, car c'est "le signe d'une situation extrêmement dégradée où les civils, de facto, sont pris pour cible", dans un contexte qui s'apparente à un blocus pour ce qui concerne la ville de Marioupol. "Ce n'est pas des couloirs qu'il faut demander, mais l'arrêt des blocus, que les civils soient épargnés à tout moment", souligne Pierre Mendiharat.

Qui décide de ces couloirs humanitaires ?

Si l'on s'en tient à la géographie et aux parties prenantes du conflit, il n'y a pas de nombreuses possibilités sur les décideurs de ces espaces de paix relatifs. Si des appels à travers le monde résonnent pour ouvrir des couloirs humanitaires, seuls les belligérants peuvent se mettent d'accord entre eux pour préserver les civils via ce dispositif. 

Mais on le voit bien ici, pour l'instant, Ukraine et Russie ne sont pas d'accord sur les modalités. Et évidemment, ce n'est pas la chose la plus simple à faire quand on se fait la guerre. La Russie propose ainsi que la moitié de ces couloirs - pour permettre l'évacuation de civils de plusieurs villes d'Ukraine dont la capitale Kiev -
rejoignent la Russie ou la Biélorussie, pays depuis lequel l'armée russe est aussi entrée en Ukraine le 24 février. Des propositions aussitôt été rejetés par le gouvernement ukrainien qui voudrait les acheminer vers l'Ouest et les frontières de l'Europe.

Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) recensait exactement 1.735.068 réfugiés sur son site internet dédié lundi 7 mars à la mi-journée, 200 000 de plus que lors du précédent pointage dimanche. Selon l'ONU, quatre millions de personnes pourraient vouloir quitter le pays pour échapper à la guerre. 

Pourquoi est-ce si compliqué à mettre en oeuvre ?

C'est en réalité la troisième tentative de mise en place de couloirs humanitaires qui échoue. Ces derniers jours, deux autres essais pour évacuer des civils du port assiégé de Marioupol, dans le sud-est de l'Ukraine, notamment, ont fait chou blanc. Là, encore, Kiev et Moscou s'accusant mutuellement de violer les conditions de l'évacuation. Autre explication : une route d'évacuation de Marioupol était "minée", a indiqué la Croix Rouge internationale. 

Dominik Stillhart, directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a ainsi expliqué à la BBC au sujet des couloirs humanitaires que "le problème ou le défi est d'amener les deux parties à un accord qui soit concret, exploitable et précis". Or, dans l'histoire, on a vu assez peu de couloirs humanitaires tenir durablement et encore moins dans de bonnes conditions de sécurité. Et pour cause, ce n'est pas une solution facile à mettre en place de façon matérielle. Les derniers couloirs humanitaires en date sont notamment ceux que l'on avait vu en Syrie. Selon Jean-Claude Samouiller, vice-président chez Amnesty International France, invité sur franceinfo, "c'est ainsi ce qui s'est passé à Grozny [en Tchétchénie], à Alep et Homs [en Syrie]. Chaque fois, il y a des promesses de cessez-le-feu et de couloirs humanitaires, et en réalité, rien ne se passe comme promis. Ce sont des violations massives envers les droits des populations civiles. (...) Nous demandons à la communauté internationale de collaborer avec la Cour pénale internationale pour collecter toutes ces atteintes majeures aux droits humains, pour qu'un jour les auteurs soient jugés."

En réalité, pour qu'un couloir puisse laisser passer les civils en sécurité, il faut une sorte de trêve, un cessez-le-feu, à un moment donné dans un certain périmètre. Or, parfois, pour arriver au point de départ de ce couloir, il faut parcourir plusieurs kilomètres et traverser des villes bombardées, comme ces réfugiés d'Irpin, en banlieue de Kiev le racontent sur franceinfo

Une certitude toutefois dans le chaos : cette règle est régie par le droit humanitaire, qui oblige les États à protéger les civils en temps de guerre et à laisser, donc, l'accès à l'aide humanitaire. Cela est inscrit et prévu par les Conventions de Genève qui ont été signées pas la quasi-totalité des États, y compris la Russie et l'Ukraine. Le CICR appelle donc à respecter cet engagement et à ce que les États laissent l'aide humanitaire se déployer partout où il y en a besoin. Car pour la Croix rouge, le couloir humanitaire est une des solutions... mais sûrement pas un sésame.

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