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"L'armée ukrainienne est plus pugnace que la Russie ne semblait le penser", analyse un spécialiste de la défense

Jean-Sylvestre Mongrenier, spécialiste des questions de sécurité en Europe, analyse les possibilités d'évolution de la guerre en Ukraine.

Article rédigé par Elise Lambert - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un soldat ukrainien transporte une arme anti-char vers la ligne de front, au nord-est de Kiev (Ukraine), le 3 mars 2022. (ARIS MESSINIS / AFP)

"Il est possible que le pire soit devant nous." Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, ne masque pas son inquiétude, au huitième jour de la guerre en Ukraine, jeudi 3 mars. Pour la première fois, l'armée russe a pris le contrôle d'une grande ville ukrainienne, Kherson, et pilonné plusieurs autres, dont la capitale Kiev et la deuxième ville du pays, Kharkiv. "On peut craindre une logique de siège", a mis en garde le chef de la diplomatie française sur France 2, appelant à "imposer un cessez-le-feu".

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Côté russe, Vladimir Poutine a redit son intention de poursuivre "sans compromis" son offensive contre les "nationalistes" en Ukraine, alors que des négociations russo-ukrainiennes devaient reprendre, jeudi après-midi, à la frontière polono-biélorusse. Après une semaine de combat, quel est l'état du rapport de force ? Quelles sont les perspectives ? Franceinfo a interrogé Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l'Institut Thomas-More et spécialiste des questions de sécurité en Europe.

Franceinfo : Jean-Yves Le Drian dit craindre "une logique de siège" de l'armée russe. Comment définir cette stratégie ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Jusqu'ici, la Russie était dans une stratégie de Blitzkrieg, une guerre de mouvement. L'armée russe pensait que l'Etat ukrainien s'effondrerait rapidement avec la jonction de son armée, au nord, qui marchait vers Kiev, le déploiement de Spetsnaz (forces spéciales infiltrées russes) et des frappes sur les capacités militaires et économiques ukrainiennes. Finalement, les forces ukrainiennes se sont montrées plus résistantes.

L'armée russe envisage désormais le siège d'un certain nombre de villes : Kiev, Kharkiv, Marioupol. Si la capitale tombe aux mains des Russes, c'est toute la direction politico-militaire de l'Ukraine qui s'effondre. La chaîne de commandement s'effondrerait et l'Ukraine pourrait devenir un champ de batailles avec des insurrections menées par des civils armées contre les forces russes. On peut imaginer alors que le conflit s'enlise et se transforme en une guerre de position, comme cela a été le cas en Syrie, à Alep.

Après une semaine de guerre, quel est l'état du rapport de force et des combats ?

Le rapport global des forces est en faveur de la Russie, mais la guerre n'a commencé que depuis huit jours. L'armée ukrainienne est plus pugnace que la Russie ne semblait le penser, il y a eu des actions contre des lignes de communication russes. Malgré les bombardements, l'armée de l'air ukrainienne n'est pas totalement éliminée. Il semble aussi qu'il y ait eu un problème de coordination entre l'armée de l'air et l'armée de terre russes, ce qui pourrait expliquer la lenteur du convoi de chars militaires qui se dirige vers Kiev.

Mais si au nord, l'armée russe paraît avoir plus de difficultés à avancer, au sud, elle progresse. Les militaires russes marchent vers le pont terrestre entre le Donbass et la Crimée, la ville de Marioupol est assiégée, et peut-être qu'ils iront jusqu'à Odessa, puis jusqu'en Moldavie.

"Les difficultés rencontrées par l'armée russe au nord ne doivent pas faire oublier les avancées dans le sud."

Jean-Sylvestre Mongrenier, spécialiste des questions de sécurité européenne

à franceinfo

Si l'armée russe se trouve aux portes de la Moldavie, cela pourrait raviver le conflit gelé de la Transnistrie, que Moscou utilise comme levier depuis des années pour empêcher la Moldavie de se tourner vers l'ouest. Au-delà, il y a aussi tout le bassin de la mer Noire, la Géorgie et le sud du Caucase.

De plus, la Russie a encore des réserves militaires. Vladimir Poutine a passé un accord avec la Chine pour dégarnir ses effectifs en Sibérie et les redéployer en Ukraine. On estime en ce moment qu'il y a 150 groupements tactiques interarmes sur le terrain, qui comprennent cars, bataillons, infanteries mécanisées, artillerie, et 500 avions de combat de place. Mais selon le Pentagone, seuls 75 sont actifs.

Que pourrait-il se passer si la Russie envahissait un pays membre de l'Otan ?

Il ne s'agirait plus d'une seule guerre mais du début d'une grande guerre entre la Russie et l'Occident. Avec le jeu des alliances, on changerait d'échelle. Les Etats-Unis seraient impliqués. La plupart des pays de l'Union européenne aussi. Aujourd'hui, les Occidentaux ne peuvent plus faire semblant et déclarer qu'il y a juste un problème de dialogue avec la Russie. Il s'agit de la fin d'un monde. 

"Si l'armée russe prend le contrôle de l'Ukraine, on ne pourra plus l'arrêter. Ou alors, si, mais à quel prix ? Ce qu'il se passe en Ukraine est déterminant pour l'Occident."

Jean-Sylvestre Mongrenier

à franceinfo

Je ne suis pas certain que les pourparlers changent quelque chose. Les Russes demandent la capitulation de l'armée ukrainienne, que l'Ukraine renonce à sa souveraineté, ce qui est inacceptable pour les Ukrainiens. Si ces derniers s'estiment suffisamment forts pour rester en guerre, je ne vois pas pourquoi l'une des parties céderait. Des cessez-le-feu locaux et temporels pourraient être négociés, mais la décision ne semble pas évidente sur le plan militaire. La guerre s'installerait dans la durée.

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