: Reportage "Le peuple ukrainien a été russifié de force" : à Vinnytsia, à 400 km du front, la “dérussification” veut effacer les traces de l’agresseur
Face à la violence de l’agresseur, l’Ukraine se débarrasse petit à petit des traces de la Russie sur son sol : c’est ce qu’on appelle la dérussification. À Vinnytsia, les rues changent de nom et certaines statues sont démontées.
Il ne reste plus qu'un socle de béton. La statue de Maxime Gorki, ex-membre de l’élite soviétique, trônait là, au milieu d’un grand parc de Vinnytsia : elle a été démontée fin mars, mais pas détruite. "Je suis historien de formation, je sais comment il faut traiter les monuments !", se défend Serhiy Morgounov, le maire de Vinnytsia. En effet, la statue est aujourd’hui stockée dans le musée des régimes totalitaires, à quelques kilomètres de là.
>> Suivez dans notre direct les dernières informations sur la guerre en Ukraine
Dans cette ville en deuil, après la mort de 26 personnes – dont plusieurs enfants – tués à la mi-juillet par des missiles russes, la dérussification est en cours. Une manière d'effacer les traces de ce pays agresseur.
"L’Ukraine a été sous le contrôle de la Russie pendant près de 350 ans, et pendant toute cette période, le peuple ukrainien a été russifié de force."
Serhiy Morgounov, maire de Vinnytsiaà franceinfo
Selon le maire, nommer les rues en l'honneur des personnalités locales est indispensable pour la mémoire et la culture communes : "Que ce soit en Ukraine, en France, en Allemagne, chaque ville ou chaque région a ses propres héros ou ses personnalités. Les habitants de ces villes veulent les commémorer en donnant leur nom aux rues, aux squares ou en érigeant des monuments." C'est aussi une manière de se relever après des années de totalitarisme, dont les traces persistaient encore. "L’Union Soviétique censurait ces personnalités. Il était interdit de les commémorer, et au contraire, ils imposaient les noms de personnages étrangers qui n’ont aucun lien avec l’Ukraine."
L'exemple qui illustre le mieux cette russification forcée lors de l'ère soviétique, c'est le nom de Maxime Gorki : "Dans presque tous les chefs-lieux ukrainiens, il y avait un parc avec un monument à la gloire de Gorki, explique Serhiy Morgounov. Or, il n’est jamais venu à Vinnystia, ni dans la région, ni même en Ukraine !" Alors à l'inverse, il veut mettre en avant le nom d'un artiste local : "Nous avons ici un compositeur et poète, Mykola Leontovytch, qui vient de la région de Vinnytsia. Il a composé des musiques mondialement connues ! Qu’en pensez-vous ? On va nommer le parc Gorki ou Leontovytch ?"
La rue Moscou rebaptisée rue Marioupol
Après l’annexion de la Crimée, en 2014, près de 20 rues ont changé de nom à Vinnytsia. Un processus de dé-russification qui s’est accéléré depuis le mois de février partout dans le pays. En juin, le parlement a même voté un projet où à partir du 1er janvier, il sera interdit de vendre des livres en langue russe ou écrits par des auteurs russes contemporains. Une décision qui n'est pas forcément du goût de tous les habitants.
Pour Oksana Lobousnova, libraire dans le centre-ville de Vinnytsia, chacun devrait être libre de ses goûts : "Le lecteur doit pouvoir prendre un livre, le feuilleter, comparer quelle langue est la plus confortable pour lui. S’il aime lire en ukrainien, il achète le texte ukrainien. S’il le préfère en russe, il prend la traduction russe."
"Si l’auteur a de bonnes idées philosophiques, s’il publie un beau poème, ou s'il a une belle prose, pourquoi ne pourrait-on pas le lire ? Parce qu’on est en guerre avec ce pays ? Je ne suis pas d’accord."
Oksana Lobousnova, libraireà franceinfo
Pour que ce projet de loi soit adopté, il ne manque plus que la signature de Volodymyr Zelensky. Depuis le premier mois de la guerre, cinq rues supplémentaires de Vinnystia ont changé de nom. Par exemple, la rue Moscou est devenue la rue Marioupol. La mairie a également reçu des propositions de changements de noms pour 87 rues, de la part des habitants. Une commission doit se pencher sur le sujet en août.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.