Ukraine : "J’ai peur que d’autres perdent encore et encore leurs compagnons", la douleur vive des veuves de guerre
"Mon mari est roux, très énergique, il ne tient pas en place". Quand Krystina décrit son mari, Andreyi, c'est troublant car elle en parle au présent. Krystina est pourtant veuve de guerre. Le bilan des soldats ukrainiens morts depuis le début de la guerre est gardé secret par les autorités, qui ne veulent pas entamer le moral de la nation. Ce chiffre est estimé à 30 000 par des associations ukrainiennes, mais il pourrait grimper jusqu’à 70 000 militaires morts, selon une enquête de la presse américaine parue cet automne.
Pour les familles et les épouses de ces soldats morts, c'est un parcours douloureux. Les fêtes de fin d’année et les inquiétudes pour l’avenir de l’Ukraine le rendent encore plus amer, comme pour Krystina, à Kiev. Dans le creux de son bras s'étend un tatouage avec un mot "qui veut dire 'vagabond'", le nom de guerre d'Andreyi. Il y a aussi un trident, le symbole de l'Ukraine et un coquelicot, celui des soldats morts.
Andreyi, connu à l’université de Dnipro, avait vu venir la guerre. "Il s’est engagé dès le début, sans expérience militaire, raconte-t-elle. Il a compris que quelque chose allait se passer, et il m’a dit que si la guerre arrivait, il irait rejoindre l’armée ukrainienne. Bien sûr, j'ai pleuré". Devenu sniper, Andreyi était sur le front sud, à Zaporijjia lorsque, l’été dernier, Krystina a reçu la nouvelle : "Il a été tué par un tir d’artillerie. Son corps est resté quatre jours sur le champ de bataille".
"On l’a identifié avec son tatouage. Ses compagnons d’armes ont réussi à récupérer son corps. Comme ça, j’ai pu le faire enterrer".
Krystinaà franceinfo
Aidée par les associations d’aide aux familles des soldats morts, Krystina navigue à vue. Il faudra des mois avant que ne lui parvienne l’allocation unique versée aux veuves par l’État, submergé de dossiers. Interprète, il va lui falloir compenser aussi le manque à gagner dans le foyer, avec deux enfants de 13 et 7 ans à éduquer.
"Je ne peux pas pleurer quand il y a du monde, ni devant mes enfants, confie-t-elle. J’essaie de pleurer quand je suis seule. Il paraît que c’est comme des vagues. On ne sait pas ce qui va déclencher des pleurs. Mes enfants sont pareils mais on n’arrive pas à parler de nos émotions. Mon fils régresse, il agit comme s’il avait 3 ans".
La contre-offensive déclenchée cet été est paralysée. Au front, les hommes sont fatigués. Les armes manquent, les effectifs aussi. Il faudrait 500 000 hommes de plus d'après le président ukrainien lui-même. "J’ai peur de perdre mon pays. J’ai peur que d’autres perdent encore et encore leurs compagnons. Beaucoup de nos maris morts disaient : 'Qui ira à la guerre si moi, je n’y vais pas ?'", explique Krystina alors que cette guerre va bientôt entrer dans sa troisième année.
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