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Ukraine : la France pourrait-elle être impliquée militairement en cas d'offensive de la Russie ?

"Tous les éléments sont réunis pour une intervention russe", a alerté le ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, mercredi sur France 2.

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Déchargement de matériel militaire britannique dans un avion cargo de la Royal Air Force, près de Kiev (Ukraine), le 19 janvier 2022. (EYEPRESS NEWS / AFP)

Les efforts diplomatiques se poursuivent. Emmanuel Macron se rendra à Moscou lundi 7 février, afin de rencontrer Vladimir Poutine au sujet des tensions entre la Russie et l'Ukraine. Le lendemain, le chef de l'Etat rejoindra Kiev pour rencontrer le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.

Depuis plusieurs jours, le président français multiplie les entretiens, avec pour objectif d'éviter un conflit armé entre l'Ukraine et la Russie. Les Occidentaux accusent Moscou d'avoir rassemblé quelque 100 000 hommes à sa frontière avec l'Ukraine et redoutent une opération militaire. Vladimir Poutine, lui, réclame le gel de l'élargissement de l'Otan dans l'est de l'Europe et surtout le maintien de l'Ukraine hors de l'Alliance atlantique. "Tous les éléments sont réunis pour une intervention russe", a prévenu le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, mercredi sur France 2. Si cette offensive se produit, la France pourrait-elle être impliquée militairement ? Eléments de réponse.

Aucune obligation d'intervention

"Il n'y a strictement aucune obligation pour la France d'envoyer quelque force que ce soit, à quelque endroit dans le monde", rappelle à franceinfo Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Un principe s'applique néanmoins à Paris, en tant que membre (et cofondateur) de l'Otan : l'article 5 du traité de l'Atlantique nord précise qu'une attaque armée contre un membre de l'Alliance atlantique "sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties".

Ainsi, "chaque membre de l'Alliance (...) prendra les mesures qu'il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué", ajoute l'organisation. Il s'agit d'"une obligation générale de solidarité", résume le politologue. Paris a toutefois tenu à s'assurer qu'elle gardait "une liberté d'appréciation totale" pour sa contribution aux opérations de l'Alliance atlantique, complète la représentation permanente de la France auprès de l'Otan.

En outre, l'Ukraine n'est pas membre de l'Otan. L'Alliance avait soutenu une adhésion prochaine de Kiev en 2008, à travers la Déclaration de Bucarest, mais le projet n'a pas abouti. Depuis 2020, le pays est officiellement partenaire "bénéficiant du programme 'nouvelles opportunités'" de l'organisation. Ce statut "vise à maintenir et à approfondir la coopération entre les Alliés et les partenaires ayant apporté d'importantes contributions" aux actions de l'Alliance. Kiev peut ainsi bénéficier d'"opportunités ciblées", tels qu'"un accès élargi aux programmes exercices d'interopérabilité, ainsi que le partage d'informations", précise l'Otan.

Un possible soutien matériel discret

Plusieurs membres de l'Alliance atlantique, comme les pays baltes, la Pologne ou le Royaume-Uni, ont annoncé leur volonté de "soutenir militairement" l'Ukraine face à la Russie, rappelle Le Monde. Londres a déjà envoyé des armes antichars et d'autres équipements militaires, tandis que Washington, "principal bailleur occidental de l'Ukraine sur le plan militaire", a annoncé l'envoi de 90 tonnes "d'aide létale, y compris des munitions pour la ligne de front de défense de l'Ukraine", poursuit le quotidien. Le journal précise que Bruxelles a octroyé 31 millions d'euros à Kiev dans le cadre de la Facilité européenne de paix (FEP).

Et Paris ? "Pour l'instant, la France a été plus mesurée que certains partenaires occidentaux en ce qui concerne son soutien direct à la défense du territoire ukrainien", souligne Bruno Tertrais. "La France estime qu'un investissement plus marqué amoindrirait ses chances de jouer un rôle important dans la désescalade de la crise", explique le spécialiste.

Un soutien matériel ne relèverait pas d'une "aide en tant que telle, mais de contrats de vente ou de cessions d'armements qui doivent passer par le circuit habituel de contrôle des exportations d'armement", explique encore Le Monde. La France pourrait donc étudier des demandes plus ou moins récentes de l'Ukraine, qui tente de moderniser son armée depuis 2014.

Un renforcement de sa présence dans la région

"L'appareil de défense français est déjà présent à proximité de l'Ukraine", souligne Bruno Tertrais. "La France patrouille notamment dans la région de la mer Noire, par des moyens maritimes et aériens." Paris est aussi engagé autour de l'Ukraine, dans le cadre de la Présence avancée renforcée (ePP) de l'Otan en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne. Une initiative visant à montrer "la solidarité des pays de l'Alliance, ainsi que leur détermination et leur aptitude à réagir en déclenchant une réponse alliée immédiate face à toute agression" dans la région. D'après la représentation permanente de la France auprès de l'Otan, près de 300 soldats français sont impliqués dans cette mission depuis 2017.

Emmanuel Macron a récemment évoqué la "disponibilité" de la France "à (s')engager sur de nouvelles missions ePP (...) en particulier en Roumanie si elles étaient décidées" au sein de l'Otan. Le pays partage un pan de sa frontière avec l'Ukraine. "Une équipe d'experts s'est rendue sur place, plusieurs scénarios sont étudiés, de la coopération militaire au déploiement d'un groupement tactique interarmées (mêlant soldats, blindés, aéronefs, etc.)", précise l'état-major au Parisien.

Selon la ministre des Armées, Florence Parly, interrogée sur France Inter, "plusieurs centaines" de militaires français pourraient ainsi être déployés en Roumanie. "Ce n'est pas destiné à une quelconque escalade militaire", mais à une "réassurance dans le cadre d'une alliance défensive". "Nous sommes prêts à défendre les pays qui aujourd'hui se trouvent au plus près de cette zone de tension dont l'enjeu premier est l'Ukraine", a assuré la ministre.

"Le contingent français pourrait aller jusqu'à 1 000 soldats, ce qui est pour ce type de dispositif très significatif", commente Bruno Tertrais. "C'est pour la France un véritable rééquilibrage de son investissement militaire dans l'Otan", mais ce "n'est pas destiné à être un élément de défense immédiate de l'Otan dans les semaines qui viennent". Pour le chercheur, il s'agit aussi d'avoir "davantage de visibilité sur la région de la mer Noire, qui devient de plus en plus une zone de compétition entre Russie et Turquie". "Le troisième objectif, à mon sens, est de resserrer les liens de défense et de sécurité avec un vieil ami, la Roumanie", ajoute-t-il.

Une responsabilité au sein de l'Otan

Le 1er janvier, date à laquelle elle a pris la présidence du Conseil de l'Union européenne, la France a aussi pris à la tête "de la force militaire de l'Otan ayant le plus haut niveau de disponibilité opérationnelle", baptisée Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF). Cette force de réaction très rapide, lancée en 2014 "en réponse aux crises survenues au Moyen-Orient et à l'agression perpétrée par la Russie contre l'Ukraine (…) est disponible en permanence et capable de se déployer en quelques jours afin de défendre tout pays de l'Alliance". Elle est composée notamment de 3 500 soldats de la Brigade franco-allemande.

"Cette force n'est activée que par consensus", explique Bruno Tertrais. "Dans un scénario extrême où l'Otan se sentirait contrainte d'activer ces forces de réaction, l'armée française aurait alors une responsabilité particulière de commandement de ces éléments avancés de force de réaction rapide", poursuit le chercheur. En cas d'offensive russe, quels critères pourraient pousser l'Otan à activer cette force ? "Seulement si une offensive majeure russe conduisait le Conseil de l'Atlantique Nord à estimer qu'il peut y avoir une menace aux frontières des pays de l'Otan", répond Bruno Tertrais.

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