Naufrage de migrants en Grèce : pourquoi les gardes-côtes sont pointés du doigt
Que s'est-il vraiment passé au large du Péloponnèse ? La cour suprême grecque a ordonné une enquête pour déterminer les causes du naufrage d'un bateau de migrants survenu le 14 juin, qui a fait au moins 82 morts et plusieurs centaines de disparus.
Neuf Egyptiens, soupçonnés d'être des passeurs, ont été inculpés pour "trafic illégal" d'êtres humains et placés en détention provisoire mardi 20 juin. Mais alors que les investigations se poursuivent, des doutes apparaissent au sujet de l'opération de sauvetage et des déclarations des gardes-côtes grecs. Franceinfo vous explique pourquoi ceux-ci sont désormais pointés du doigt.
Parce que leur intervention est jugée trop lente
Selon la reconstitution de la journée qui a précédé le naufrage réalisée par Le Monde, l'activiste italo-marocaine Nawal Soufi a annoncé la présence en Méditerranée de l'embarcation sur ses réseaux sociaux dès 7h30, et a publié ses coordonnées 45 minutes plus tard. A 9h45, l'agence européenne de surveillance des frontières Frontex a transmis à la Grèce des images et des informations sur le bateau. Or l'hélicoptère des gardes-côtes grec n'a décollé qu'à 10h50 de l'île de Lesbos, soit plus de trois heures après le signalement.
Les autorités grecques affirment avoir "immédiatement (…) informé" les navires commerciaux dans la zone, et les avoir "invités à changer de cap" pour apporter eau et nourriture au chalutier. Mais toujours selon Le Monde, le premier bateau alerté, le Lucky-Sailor, assure avoir reçu les instructions environ une heure et demie après l'horaire indiqué par les autorités.
Le responsable du plaidoyer migrations à Médecins sans frontières, Jérôme Tubiana, fustige surtout auprès de franceinfo l'immobilisme de l'agence Frontex : "C'est vraiment choquant d'entendre que Frontex a survolé le bateau et qu'il n'y a pas eu d'intervention parce que le bateau a refusé toute aide. Un bateau surchargé est un bateau en détresse, donc il n'y a pas de question de son état ou de sa capacité à continuer sa route."
Parce que leurs commentaires sur la détresse des passagers sont contestés
Les gardes-côtes grecs, qui ont communiqué avec le chalutier par téléphone satellite, assurent que l'embarcation souhaitait, pendant des heures, continuer son chemin vers l'Italie et rejetait l'assistance de la Grèce. Les deux navires redirigés pour le ravitaillement chalutier, le Lucky-Sailor et le Faithfutl-Warrior, ont assuré avoir fait face à la réticence des passagers, qui refusaient leur aide, rapporte Le Monde. Pourtant, l'Alarm Phone, une plateforme d'appel d'urgence pour les migrants en difficulté en mer, explique avoir reçu un appel disant que le bateau était en détresse, selon la BBC.
Le service de vérification de la BBC a récupéré les données du site MarineTraffic qui permet de suivre en direct le trafic maritime. Elles montrent que les deux navires commerciaux ont dévié leur trajectoire pour se rendre au même endroit en mer, à deux heures d'intervalle, ce qui suggère que le chalutier n'était pas en mouvement et avait besoin d'assistance. Une version confirmée par The Guardian, qui a analysé d'autres données de navigation recueillies par le système MariTrace.
Parce que la méthode de sauvetage utilisée interroge
L'enquête devra également éclairer la manière dont les garde-côtes grecs sont finalement venus en aide au navire. Selon Le Monde, plusieurs rescapés ont affirmé à la presse grecque que les secours ont essayé à deux reprises de remorquer leur bateau à l'aide d'une corde. Lors de la deuxième tentative, "le bateau a roulé de gauche à droite, puis a coulé", a déclaré un survivant.
Des experts interrogés par Le Monde jugent que l'utilisation de câbles aurait pu affecter la stabilité d'un navire déjà surchargé de passagers. "Une embarcation comme celle-là est prête à chavirer à tout moment. L'urgence absolue est d'envoyer des bouées, des gilets de sauvetage, (...) pas de [la] remorquer", explique au quotidien François Thomas, président de l'ONG SOS Méditerranée.
Le porte-parole du gouvernement grec a reconnu le 16 juin qu'une "corde avait été utilisée quelques minutes par les gardes-côtes pour s'approcher" du navire. Peu après 23 heures, l'embarcation aurait "pris une inclinaison à droite, puis une forte inclinaison à gauche, puis une autre inclinaison à droite si importante qu'elle a provoqué le chavirement du bateau de pêche". Dans une série d'interventions télévisées, le chef des garde-côtes grecs a, lui, assuré que ses services "n'étaient absolument pas responsables du naufrage", rapporte Le Figaro.
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