Des voix s'élèvent à l'extrême droite, mais aussi dans certains médias, pour mettre en concurrence l'accueil réservé aux étrangers avec celui fait aux SDF.
Migrants versus sans-abri. Le débat agite les réseaux sociaux et une partie de la classe politique, notamment depuis le début de la trêve hivernale le 1er novembre. La dernière sortie sur le sujet n'est pas venue de l'extrême droite mais de Jean-Pierre Pernault. Après un sujet sur les maraudes de la Croix-Rouge pour les SDF diffusé jeudi 10 novembre au JT de TF1, le présentateur de TF1 a formulé cette transition, pour lancer un reportage sur le centre pour migrants de la Chapelle, à Paris, inauguré le jour même : "Voilà, plus de place pour les sans-abri mais en même temps les centres pour migrants continuent à ouvrir partout en France." Vrai ou faux ? Les explications de franceinfo.
Le nombre de places d'urgence pour les migrants n'est pas suffisant
Il faut savoir qu'il existe pour les réfugiés des dispositifs d'accueil spécifiques. Les primo-arrivants sont hébergés dans des centres de transit ou d'accueil provisoire, comme celui de la Chapelle, puis dans les CAO (Centres d'accueil pour migrants), répartis sur tout le territoire. Ces derniers ont absorbé une grande partie des migrants de la "jungle" de Calais et des campements parisiens et comptent environ 12 000 places. Ceux qui déposent une demande d'asile sont ensuite dirigés vers les Cada (Centres d'accueil de demandeurs d'asile) qui, eux, comptent 35 à 40 000 places, selon une évaluation de la Fondation Abbé Pierre confirmée à franceinfo par le ministère du Logement. Le problème, c'est que le nombre de demandeurs d'asile a augmenté. Il s'établissait à 80 075 demandes en 2015 (+24% par rapport à 2014), selon l'Ofpra, et devrait atteindre 100 000 demandes en 2016.
Ils sont contraints de s'orienter vers des dispositifs qui ne leur sont pas destinés, et viennent grossir le nombre de sans-abri
Le nombre de places pour les réfugiés étant insuffisant, ils s'orientent vers d'autres dispositifs. Et viennent grossir les rangs des sans-abri. Les deux populations sont donc loin d'être étanches. Selon une étude de l'Insee publiée en juillet 2013, la part des étrangers parmi les personnes sans domicile fixe est passée de 38% en 2001 à 53% en 2012, soit plus de la moitié.
"Cette hausse s’explique en partie par l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile qui n’ont pas de place dans les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) et s’orientent donc vers les services d’aide aux sans-domicile", confirmait à l'époque l'Institut national de la statistique. Actuellement, "40% des appelants au 115 sont des migrants", chiffre auprès de franceinfo Florent Gueguen, directeur général de la Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale).
Du coup, de plus en plus de sans-abri ont du mal à trouver des hébergements d'urgence... mais parmi eux, il y a aussi des migrants
"Les nouveaux migrants ne chassent pas les sans-abri, ça n'a ni queue ni tête", affirme Christine Laconde, directrice du Samu social, interrogée par Europe1.fr. "S'il y a concurrence, c'est entre les différentes situations. Il est certain que lorsque deux familles appellent et qu'il n'y a qu'une place, on priorise celle qui est la plus vulnérable, la plus misérable", reconnaît-elle. Mais "des migrants parmi les SDF, il y en a toujours eu. Il n'y a pas eu de raréfaction particulière des places depuis la crise migratoire de ces dernières années. Ce qui se passe, c'est que les offres de logement manquent. Donc les familles restent plus longtemps dans les centres d'hébergement. Il y a moins de rotation et le 115 est obligé de refuser du monde."
"Il est vrai que l'Etat a été accaparé par la recherche d'immeubles dédiés aux migrants", concède de son côté Florent Gueguen, craignant un "impact sur les capacités de mobilisation d'espaces dans le cadre du plan hivernal". "Il y a un retard dans la mise en œuvre, plusieurs préfets n'ont toujours pas annoncé le nombre de places disponibles", ajoute-t-il, pointant des situations particulièrement tendues à "Paris, en Seine-Saint-Denis, à Grenoble ou encore à Lyon".
Le risque d'une "concurrence" entre "migrants" et "sans-abri" n'est pas à écarter
La hausse du nombre de migrants vient bel et bien accentuer la pression sur le faible nombre de places disponibles en matière d'hébergement d'urgence. La Fnars craint une "concurrence du foncier" entre les migrants et les sans-abri estampillés "non-migrants". C'est pourquoi elle a demandé à l'Etat de mettre à disposition de tous les sans-abri les places de CAO qui resteraient vacantes. Selon Florent Gueguen, "il faut éviter de créer un sentiment d'effet coupe-file pour les migrants". "Jusque-là, explique-t-il, tu avais plus de chances de trouver un hébergement en rejoignant un campement (comme celui de Stalingrad) qu'en étant un homme seul."Mais selon les acteurs de l'hébergement d'urgence, il est "biaisé" et "malsain" d'opposer deux publics précaires, qui sont parfois les mêmes et qui sont confrontés à une pénurie de structures pérennes, venant charger la barque des structures d'urgence.
"La hausse des appels au 115 est liée à la crise migratoire, certes, mais aussi à la crise économique et à la crise du logement", estime Florent Gueguen, indiquant que "la lutte pour les places dans un système d'hébergement en pénurie concerne tout le monde".
Le budget de l'hébergement d'urgence, en tout cas, ne cesse d'augmenter. Il est passé de 1,5 milliard dans le Projet de loi de finances (PLF) 2016 à 1,7 milliard dans le PLF 2017. Signe que les besoins de la population à la rue, migrants et/ou sans-abri, sont loin d'être taris.
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