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Punir la négation des génocides, une mesure réclamée par l'Union européenne

Avec la loi sur la pénalisation de la négation des génocides, la France s'est conformée à une décision européenne prise en 2008. Cependant, tous les pays de l'Union ne s'y soumettent pas de la même façon.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Au Sénat, lors du débat sur la proposition de loi pénalisant la négation des génocides, à Paris, le 23 janvier 2012. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Par son vote lundi 23 janvier, le Sénat a adopté la proposition de loi pénalisant la négation des génocides. En France, deux sont reconnus, celui des Juifs durant la seconde guerre mondiale et celui des Arméniens en 1915-1916. Alors que le vote de cette loi a suscité polémique et réactions, Paris s'est en fait conformé à une "décision-cadre" de l'Union européenne (UE) datant de 2008 sur "la lutte contre le racisme et la xénophobie"

Ce que comporte la directive européenne

Le texte européen "prévoit le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres en ce qui concerne les infractions racistes et xénophobes". La nouveauté de la disposition européenne concerne la punition du négationnisme. La directive mentionne que sont punissables en tant qu'infraction pénales "l'apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre tels que définis dans le Statut de la Cour pénale internationale". Cependant, la Cour ne précise quels génocides elle reconnaît, alors que l'ONU en identifie quatre : celui des Juifs durant la seconde guerre mondiale, celui des Arméniens en Anatolie, des Tutsis au Rwanda, et des Musulmans de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine.

En votant ce texte sur la pénalisation, la France rentre donc en conformité avec l'UE en punissant le négationnisme "d'au moins un à trois ans d'emprisonnement maximum".

Une obligation pour les uns, un prétexte pour les autres 

• Une écrasante majorité du travail de l'Assemblée nationale consiste à adapter les directives de l'UE aux textes nationaux. La France en votant la loi sur la pénalisation de la négation des génocides n'aurait rien fait de plus qu'une transposition, selon les uns. D'ailleurs, cet argument est explicitement mentionné dans le rapport de la députée UMP Valérie Boyer (PDF), vice-présidente du groupe d'amitiés France-Arménie de l'Assemblée nationale, et à l'origine de la proposition de loi. Lorsqu'elle a défendu son texte devant les députés, le 22 décembre, elle a évoqué "un texte de coordination législatif".

L'argument est repris par l'historien Yves Ternon. "C'est une obligation pour la France d'adapter sa loi à cette décision", a-t-il fait valoir sur RTL. "Libre à elle de faire le texte qu'elle veut en fonction de sa propre législation."

• Mais pour d'autres, cette obligation représente un leurre. Un blogueur du site Mediapart, Vincent Verschoore, parle d'un "cache-sexe" pour s'attirer les voix de la communauté arménienne, et poser un "barrage supplémentaire contre l'éventuelle inclusion de la Turquie dans l'UE". Les mêmes mots sont utilisés par le site spécialisé dans l'actualité européenne Euractiv.fr. Il évoque "une démarche politique" pour "enflammer" la Turquie et lui faire comprendre qu'elle n'est pas la bienvenue en Europe.

L'argument est également critiqué sur le blog du Monde.fr tenu par le correspondant du journal en Turquie qui parle d'une "astuce juridique" "dont la dimension électoraliste est indéniable". Il souligne que cette loi est issue du travail d'un avocat marseillais d'origine arménienne, Philippe Krikorian.

Où en est le texte dans les autres pays ?

Selon un rapport diffusé par l'association Liberté pour l'Histoire, présidée par l'historien Pierre Nora, "seuls quelques pays" se sont conformés à la directive. Le texte pointe de grandes différences selon les Etats.

En Slovaquie, une loi qui pénalise la négation des génocides, dont le génocide arménien, a été adoptée en 2011. Brastislava a simplement élargi son texte existant qui punissait la négation de la Shoah. Désormais, ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement. C'est le premier pays membre de l'UE à avoir pris une telle disposition.

En Allemagne, la loi s'en tient au passé nazi et aux crimes jugés par le Tribunal de Nuremberg.

En Espagne, la Cour constitutionnelle a déclaré en 2007 inconstitutionnelle la notion de "négation". D'après le rapport, l'adoption de la directive poserait "de nouveaux problèmes qui n'ont pas encore été résolus".

Au Portugal, pas besoin de modifier la loi. Les parlementaires estiment qu'un article de 2007 évoque déjà la "négation de crimes de guerre ou contre la paix et l'humanité", ce qui doit "satisfaire pleinement la décision-cadre".

Le Royaume-Uni, l'Irlandeles Pays-Basle Danemark et la Suède ont rejeté le texte. Les Britanniques estiment que leur Public Order Act de 1986 est déjà suffisant. Les autres n'intègrent pas la notion de négation.

Dans d'autres pays européens, le sujet est encore sur la table. Au mieux. L'attitude de la Turquie vis-à-vis de la France dans les semaines suivant l'adoption de la loi pourrait en encourager ou en effrayer certains. Ankara n'avait pas réagi lorsque Brastislava a adopté, avant Paris, des dispositions similaires. Mais, pour Hamit Bozarslan, historien spécialiste de la Turquie, "la Slovaquie est un Etat plutôt périphérique sur la carte européenne. La France, elle, est un pays majeur de l'UE". De plus, selon lui, "la France a une place particulière dans l'imaginaire turc : Paris a servi de modèle au XIXe siècle lors du processus d'occidentalisation de la Turquie". La réaction turque vis-à-vis de Bratislava ne peut donc guère laisser entrevoir la nature des relations à venir entre la France et la Turquie.

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