Référendum sur l'UE en Moldavie : "Les résultats très serrés montrent à quel point le pays est divisé", relève une chercheuse

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Deux personnes votent durant l'élection présidentielle et un référendum sur l'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne dans un bureau de vote du village d'Hirbovat (Moldavie), le 20 octobre 2024. (DANIEL MIHAILESCU / AFP)
Les électeurs moldaves ont approuvé d'un cheveu l'objectif d'adhésion de leur pays à l'Union européenne, après une intense campagne d'interférence imputée à la Russie.

Une victoire remportée "honnêtement dans un combat injuste". La présidente proeuropéenne moldave Maia Sandu a remercié les électeurs, lundi 21 octobre, après la victoire du "oui" au référendum qui s'est tenu la veille sur l'adhésion du pays à l'Union européenne (UE). Une victoire de justesse : seulement 50,45 % des voix. La dirigeante, qui est arrivée première avec 42,2 % des voix au premier tour des élections présidentielles, organisées le même jour, a cependant dénoncé les "ingérences sordides" de la Russie. Des accusations rejetées "catégoriquement" par Moscou, malgré les preuves d'achat de vote recueillies par les médias sur place et la police.

La victoire d'un cheveu du camp du "oui" est un mauvais signe pour la dirigeante pro-occidentale sortante, Maia Sandu, qui fera face à Alexandr Stoianoglo, soutenu par les socialistes prorusses, lors d'un second tour de la présidentielle, le 3 novembre prochain. Plus largement, le résultat des élections pourrait perturber le chemin du pays vers son intégration à l'UE.

Ex-pays soviétique de 2,6 millions d'habitants, frontalier de l'Ukraine, la Moldavie est tiraillée entre la Russie et l'UE depuis le début du conflit entre Kiev et Moscou. Particulièrement touché par les conséquences de la guerre, le pays le plus pauvre d'Europe a officiellement été désigné candidat par les Vingt-Sept en juin 2022. Pour mieux comprendre les enjeux des scrutins, franceinfo s'est entretenu avec Nadja Douglas, chercheuse au Centre pour les études est-européennes et internationales de Berlin.

Franceinfo : Quel est le principal enseignement du résultat du référendum sur l'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne ?

Nadja Douglas : Il faut commencer par dire que, vu les résultats très serrés, le gouvernement aura du mal à dire que la victoire du "oui" est un succès. Ce vote montre à quel point la Moldavie est divisée, notamment au sujet de l'adhésion à l'UE. Unir le pays et avancer va être une tâche très compliquée pour le gouvernement. Une majorité d'électeurs ont voté "non" dans presque vingt régions.

A l’intérieur du pays, seulement 46% des électeurs soutiennent l’adhésion. La diaspora a fait basculer le vote du côté du "oui". Dans les régions les plus pauvres, les gens sont assez sceptiques vis-à-vis de l'UE. C'est l'inverse dans les grandes villes du pays, là où la richesse économique est concentrée, qui ont plutôt voté "oui".

La Russie est accusée d'ingérences. Quel impact a-t-elle eu sur ce vote ?

C'est difficile à dire, mais on peut imaginer que le "oui" aurait pu obtenir plus de voix. Dans tous les cas, l'ingérence russe est manifeste. Moscou a essayé de manipuler la campagne. Les autorités ont révélé des plans quelques jours avant les élections. Elles ont fait part de la découverte de documents ainsi que des transactions financières illégales effectuées par des banques russes. Il est très clair que la Russie a essayé de façon désespérée, pourrait-on dire, d'influencer l'élection et de regagner son influence sur la Moldavie.

Moscou a également tenté d'acheter les voix de nombreux électeurs. La présidente Maia Sandu a affirmé dimanche soir à la presse que presque 300 000 votes avaient été achetés par Moscou. Je ne sais pas comment ils ont réussi à obtenir ce chiffre, mais l'achat de voix est avéré : récemment, la police a annoncé que 130 000 Moldaves avaient reçu de l'argent en faveur d'un vote "non" lors du référendum. Dans un pays de 2,6 millions d'habitants, c'est déjà beaucoup.

Peut-on pour autant dire que la Russie est la seule responsable du mauvais score du "oui" ?

Certes, la Russie a interféré dans cette élection, mais il y a aussi un profond mécontentement social au sein de la population à l'égard de la politique gouvernementale. Une partie du pays n'a pas eu l'impression que sa vie s'est améliorée au cours des quatre dernières années. Peu de choses ont été faites pour investir dans les structures et les régions économiquement faibles. Et même lorsqu'il y a des investissements, ils ne sont pas perçus par la population.

"Le problème pour le gouvernement, c'est qu'une partie des électeurs ont voté pour les candidats prorusses, non pas parce qu'ils font confiance à la Russie, mais parce qu'ils ne font pas confiance au gouvernement."

Nadja Douglas, chercheuse au Centre pour les études est-européennes et internationales de Berlin

à franceinfo

Avec la guerre en Ukraine, Moscou n'est pas très populaire en Moldavie. Quelques candidats à la présidentielle sont d'ailleurs contre le gouvernement, tout en étant pro-UE.

Justement, les sondages donnaient une meilleure avance à la présidentielle à la dirigeante sortante proeuropéenne Maia Sandu. Est-elle bien engagée pour le second tour ?

Les sondages ne sont pas très fiables en Moldavie. Celui qui affrontera Maia Sandu au second tour, Alexandr Stoianoglo, soutenu par les socialistes prorusses, a récolté un peu plus de 26% des suffrages, un meilleur score que celui prédit par les enquêtes d'opinions. Il est difficile de prédire l'issue du second tour. Les observateurs occidentaux parient sur une victoire de la présidente actuelle. Je pense qu'elle peut encore gagner, mais cela va être compliqué, d'autant que de nombreux électeurs sont déçus par l'action du gouvernement. Si Alexandr Stoianoglo arrive à unir tous les candidats prorusses derrière lui, il pourrait avoir une chance de l'emporter.

Quel impact pourraient avoir ces élections sur l'adhésion de la Moldavie à l'UE ?

C'est difficile à dire. Le gouvernement va essayer de continuer sur sa lancée, de progresser et de faire avancer les négociations d'adhésion. Mais je pense qu'ils ne peuvent pas continuer comme avant. Ils doivent accepter le fait que, sans davantage d'union dans le pays, il n'y aura pas de chemin réussi vers l'adhésion. L'Union européenne a des attentes, notamment en matière de transcription du droit européen, et le conflit avec la Transnistrie [région prorusse de Moldavie ayant autoproclamé son indépendance] est toujours en cours. 

Il y a beaucoup de défis à relever. Il faut donc que le gouvernement réfléchisse à la façon dont il va agir. C'est une chose de faire venir des représentants européens dans la capitale pour expliquer les avantages de rejoindre l'UE, mais il faut aussi répondre à la peur d'une partie de la population. La Russie pousse l'idée selon laquelle une fois que la Moldavie aura rejoint l'UE, elle devra adhérer à l'Otan et abandonner sa neutralité inscrite dans sa constitution. Même si c'est faux, c'est perçu comme une menace pour de nombreux Moldaves. Je crois que l'adhésion à l'UE est la meilleure option pour la Moldavie, mais il faudra arriver à accompagner tout le monde.

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