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Guerre entre Israël et le Hamas : pourquoi l'Union européenne n'arrive-t-elle pas à s'entendre et à s'imposer comme un médiateur crédible ?

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Les attentats du Hamas et la réponse militaire d'Israël ont été sources de désaccord entre les Etats membres de l'Union européenne, et entre ses différentes institutions. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Les prises de position diplomatiques de l'UE se font à l'unanimité des 27 Etats membres. Un handicap pour peser dans la résolution du conflit, alors que la Commission européenne joue sa propre partition.

Des heures de discussions pour aboutir à une demande de "pauses" et de "couloirs humanitaires". Des voix se sont élevées, vendredi 22 octobre, pour critiquer la réponse des dirigeants des 27 pays membres de l'Union européenne à la guerre entre le Hamas et Israël. Réunis à l'occasion d'un Conseil européen, les chefs d'Etats et de gouvernements ont eu bien du mal à se mettre d'accord sur leur message aux Palestiniens et aux Israéliens, se gardant de demander un cessez-le-feu, comme le rapporte Politico. Un signe que les points de vue sont très différents au sein de l'UE.

Les observateurs espéraient pourtant des mots forts, après deux semaines de cafouillages européens sur le sujet. Il y a d'abord eu, deux jours après les attentats du Hamas, l'annonce, par le commissaire européen hongrois Olivér Várhelyi, de l'arrêt de l'aide humanitaire aux Palestiniens, accueillie par un tollé et démentie quelques heures plus tard par le Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell. Puis c'est la présidente de la Commission européenne qui a créé un malaise chez les diplomates de l'UE, lors d'une visite en Israël, le 13 octobre. Ursula von der Leyen y a soutenu "le droit de se défendre" des Israéliens, mais n'a pas conditionné ce soutien au respect du droit international, ni pris le temps de visiter les territoires palestiniens. Un positionnement à rebours de la ligne politique de l'UE sur le sujet.

Un poids financier davantage que diplomatique

Traditionnellement, Bruxelles "a toujours argué pour une solution à deux Etats", souligne auprès de franceinfo Hugh Lovatt, spécialiste du conflit israélo-palestinien et analyste au Conseil européen pour les relations internationales. Un objectif que les 27 "ont toujours eu du mal à mener, notamment en raison d'un manque de consensus". Résultat, si "l'UE n'a pas rien fait, elle n'a jamais eu un poids politique très important sur ce dossier, contrairement aux Etats-Unis", explique l'expert.

Car l'implication des Européens dans ce conflit est d'abord "financière", note James Moran, chercheur au Centre for European Policy Study, et ancien conseiller de la diplomatie européenne. "L'Union et ses Etats membres sont devenus, au fil du temps, le premier soutien financier de l'Autorité palestinienne", qui administre la Cisjordanie, précise le spécialiste. Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza et que l'UE classe comme une organisation terroriste, ne reçoit pas d'argent des institutions européennes. Mais "le bloc est un acteur majeur en matière d'aide humanitaire et au développement" dans l'enclave palestinienne, souligne James Moran.

Loin d'être aussi incontournable que les Etats-Unis auprès d'Israël, l'UE s'est longtemps donné pour objectif diplomatique d'être "un intermédiaire" dans le conflit, explique l'ancien diplomate. Une ligne qui a semblé voler en éclat avec la déclaration de soutien "inconditionnel" d'Ursula von der Leyen à Tel-Aviv, critiquée par plus de 800 fonctionnaires de l'UE dans une lettre interne consultée par Le Monde. "L'attaque du Hamas a vraiment surpris tout le monde, y compris le gouvernement israélien, ce qui a provoqué des réactions très fortes de soutien de la part des Européens", analyse James Moran.

Ursula von der Leyen remise en cause

La réponse divisée des responsables européens "montre aussi la montée des rivalités entre les différentes institutions de l'UE", pointe Hugh Lovatt. Officiellement, la présidente de la Commission européenne n'a quasiment pas de pouvoir en matière de politique étrangère. Pas surprenant, donc, que la visite d'Ursula von der Leyen en Israël fasse chauffer les oreilles de diplomates, dont certains l'accusent de se comporter comme "une reine" ayant outrepassé son mandat, rapporte Politico

L'ancienne ministre de la Défense allemande avait pourtant promis de diriger une Commission plus "géopolitique" lors de son mandat, peu après sa prise de fonction en 2019. Un souhait accueilli par un haussement des sourcils des observateurs à l'époque, mais qui s'est concrétisé par la force des choses "ces dernières années, notamment avec le rôle de l'UE dans la guerre en Ukraine", estime auprès de franceinfo Gesine Weber, chercheuse au sein du bureau parisien du German Marshall Fund of the United States.

Sur ce sujet, "la Commission possède clairement un leadership pour mener la politique de l'Union, d'autant plus que de nombreux outils de l'institution sont utilisés pour soutenir l'Ukraine", ajoute la chercheuse. Les visites de la présidente en Ukraine, ou ses appels à soutenir Kiev, ont eu d'autant plus de force qu'ils étaient soutenus par les Etats membres. 

"D'une certaine façon, Ursula von der Leyen a appliqué la même stratégie sur la question d'Israël et du Hamas [que sur l'Ukraine], sauf que sur ce sujet, les Etats sont en désaccord."

Gesine Weber, chercheuse au German Marshall Fund of the United States

à franceinfo

A croire que la guerre en Ukraine a fait oublier aux Européens que la politique étrangère reste la chasse gardée des Etats membres. "Ce sont les 27 qui décident de la politique extérieure de l'UE, à l'unanimité, rappelle Gesine Weber. Elle est ensuite incarnée par le Haut représentant aux affaires extérieures, une sorte de ministre des Affaires étrangères de l'UE." Car si l'union s'est dotée d'une politique étrangère et de sécurité commune il y a 30 ans, ce sont les 27 capitales qui ont le dernier mot sur le sujet. Lors de la préparation du dernier Conseil de l'Europe, les diplomates ont ainsi eu fort à faire pour réconcilier les positions irlandaises ou espagnoles, traditionnellement plus pro-palestiniennes, avec les vues tchèques et allemandes, largement plus pro-israéliennes.

"Le fait qu'un pays puisse utiliser un véto pour bloquer une action des 26 autres Etats membres a fait dérailler notre politique étrangère de nombreuse fois", souligne ainsi David McAllister, eurodéputé allemand et président de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen. "Toute cette question de prise de décision au consensus à un effet négatif sur capacité d'agir des institutions", confirme Gesine Weber, citant en exemple le blocage régulier de la Hongrie sur les sanctions contre la Russie.

"Ne rien faire serait une mauvaise nouvelle"

Au-delà du risque de rendre l'Union inaudible, "la paralysie politique pourrait encourager certains Etats membres à prioriser d'autres formats", comme les discussions bilatérales, s'inquiète David McAllister. Pire, cette cacophonie aurait même "empêché l'UE de désescalader le conflit", juge Nathalie Tocci, à la tête d'un think tank italien, l'Instituto Affari Internazionali, dans le Guardian.

Comme d'autres, David McAllister prône donc la fin des votes à l'unanimité et "la mise en place d'une majorité qualifiée" pour les décisions relatives à la politique étrangère. Mais pour que cette politique "soit véritablement européenne et cohérente, il faudrait un véritable transfert de compétence au niveau européen", souligne Gesine Weber. Une proposition qui ne récolte que peu d'approbation dans les capitales, pointe Mujtaba Rahman, de l'entreprise d'analyse Eurasia Group, dans un article publié par Politico.

L'UE est-elle condamnée à demeurer un "nain géopolitique" ? Pas forcément, d'abord parce que les institutions européennes offrent un espace "important" de coordination, souligne Mujtaba Rahman. Même si les négociations à 27 sont parfois difficiles, la guerre en Ukraine montre que le bloc peut parler d'une seule voix. Un état de fait "qui correspond à une demande accrue des citoyens européens (...) qui attendent que l'UE en fasse plus en matière de défense et de sécurité, comme le montrent des études d'opinions", selon Gesine Weber.

Reste que sur le conflit entre Israël et le Hamas, un sujet "moins existentiel" pour les 27 que la guerre en Ukraine, la feuille de route à suivre est moins évidente. "L'UE ne peut pas être un médiateur, puisqu'elle n'a pas de contact avec le Hamas", souligne Hugh Lovatt. "Mais à plus long terme, dans le cadre d'un processus de paix, elle a un rôle diplomatique à jouer politiquement grâce à ses liens avec Israël et l'Autorité palestinienne", ajoute le chercheur. "Certes, les Israéliens n'écoutent pas vraiment les Européens, mais l'UE doit défendre ses valeurs et ses principes, juge James Moran. Ne rien faire pour la paix en Palestine serait une mauvaise nouvelle pour l'UE, en particulier pour nos propres communautés [juives et arabes]."

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