Union européenne : pourquoi la démission surprise de Thierry Breton est un symbole du jeu de pouvoir entre Ursula von der Leyen et les Etats membres
Une décision choc. Le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton a claqué la porte de la Commission européenne lundi 16 septembre. L'ancien ministre de l'Economie français a expliqué sa décision dans une lettre adressée à la présidente Ursula von der Leyen et diffusée sur X. La missive, au ton cinglant, est un exercice inhabituel dans l'univers policé de la politique européenne. D'autant qu'elle va même jusqu'à accuser l'Allemande de "gouvernance douteuse". Si l'Elysée n'a pas tardé à réagir, annonçant quelques heures plus tard proposer le ministre des Affaires étrangères démissionnaire, Stéphane Séjourné, au poste de commissaire, l'évènement n'en est pas moins inédit.
Quelle mouche a bien pu piquer Thierry Breton ? Très médiatique, celui qui avait été proposé par Emmanuel Macron pour un deuxième mandat était notamment connu pour ses attaques contre les géants du web et sa défense de l'industrie européenne. "Cette décision n'est pas très surprenante, car les relations entre Ursula von der Leyen et Thierry Breton n'étaient pas très bonnes", souligne Sophie Pornschlegel, directrice des études pour l'Institut Jacques Delors à Bruxelles, auprès de franceinfo. Le Français avait ainsi ouvertement critiqué la gouvernance de la présidente allemande lors de la campagne des élections européennes du 9 juin. "Les relations entre von der Leyen et Breton étaient notoirement exécrables", confirme l'eurodéputée Horizons Nathalie Loiseau.
"C’était un pari risqué qu’il se représente pour un poste de commissaire."
Nathalie Loiseau, eurodéputée Horizonsà franceinfo
Le responsable européen était parfois critiqué pour sa façon de communiquer, faite de coups d'éclat sur les réseaux sociaux, mais aussi pour sa tendance "à être perçu comme quelqu'un défendant surtout les intérêts français, plutôt qu'européens", complète Sophie Pornschlegel. Les tensions entre la présidente et son commissaire sont manifestes dans la lettre de démission de Thierry Breton. Le Français accuse ainsi la dirigeante allemande d'avoir proposé son remplacement "pour des raisons personnelles qu'en aucun cas, vous n'avez discutées directement avec [lui]". "C'est très inhabituel et un affront direct au style de gouvernance d'Ursula von der Leyen, jugé pas assez collectif", résume la directrice des études pour l'Institut Jacques Delors à Bruxelles.
"J'ai pris note et accepté la démission de Thierry Breton. Je le remercie pour son travail durant son mandat de commissaire", s'est exprimée Ursula von der Leyen sur X, lundi soir.
Symbole d'un bras de fer entre la présidente et les Etats membres
Au-delà des rapports qu'entretiennent les deux politiques, la démission de Thierry Breton vient mettre en lumière les difficultés d'Ursula von der Leyen à composer le casting de sa nouvelle Commission. Réélue à sa tête en juillet, elle doit présenter mardi aux chefs de groupe du Parlement européen les noms et les portefeuilles des 27 nouveaux commissaires (un pour chaque Etats membres). Un exercice qui relève du numéro d'équilibriste, révélateur du poids des Etats membres, des forces politiques et des orientations de l'exécutif européen.
L'autorité de la présidente avait été mise en cause durant l'été. Sa demande aux Etats membres de lui envoyer deux noms, celui d'un homme et celui d'une femme, était restée lettre morte. Résultat : la promesse d'un collège de commissaires paritaire s'est envolée, mettant à mal la parole de la dirigeante conservatrice.
La démission de Thierry Breton était-elle une tentative de reprendre la main ? Dans sa lettre, l'ex-commissaire affirme que la cheffe de l'exécutif européen "a demandé à la France de retirer" son nom et "et proposé, en guise de compromis politique, un portefeuille prétendument plus influent pour la France au sein du futur collège". De son côté, Ursula von der Leyen s'est contentée de remercier Thierry Breton "pour son travail", via un communiqué de son porte-parole. "Elle a tout intérêt à avoir un collège de commissaires qui travaillent bien ensemble, ce qui n'était pas toujours le cas en 2019", analyse Sophie Pornschlegel.
L'affaire est aussi symbolique d'une lutte entre les Etats membres et la présidente de la Commission, cette dernière accusée d'avoir trop pris la lumière lors de son premier mandat. L'eurodéputé socialiste Christophe Clergeau a ainsi qualifié sur X de "camouflet pour Emmanuel Macron" la démission de Thierry Breton. "C'est inquiétant pour l'influence de la France en Europe", s'alarme de son côté Nathalie Loiseau. L'eurodéputée Rassemblent national Mathilde Androuët déplore auprès de franceinfo "l'influence d'Ursula von der Leyen sur Emmanuel Macron", estimant qu'elle "dicte ses choix à des exécutifs nationaux".
Un destin en France pour Thierry Breton ?
Alors que plusieurs voix, dont l'eurodéputée écologiste Marie Toussaint sur X, appelaient le président français à proposer une femme au poste de commissaire, le chef de l'Etat a finalement désigné l'actuel ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. Preuve qu'Emmanuel Macron ne veut pas se faire dicter son choix par Ursula von der Leyen ? "Ce qui est certain, c'est que c'est l'un de ses proches", remarque Sophie Pornschlegel. Ce choix "permet à Emmanuel Macron de garder de l’influence à Bruxelles et donc à la France aussi", résume un député macroniste auprès de France Télévisions, qui note que le chef du Quai d'Orsay "s'entend bien" avec la présidente de la Commission.
L'ancien président du groupe Renew Europe au Parlement européen est un fin connaisseur des institutions européennes. "C'est une forme d'évidence, il est un européen convaincu et possède des talents de négociations et de diplomatie", relève l'eurodéputée et actuelle cheffe de Renew Europe Valérie Hayer, auprès de franceinfo.
Reste à savoir quel portefeuille obtiendra le chef de la diplomatie française. "C'est avant tout ce qui compte et je pense que l'on peut être confiant sur ce qui sera proposé à la France et la confirmation de son influence", espère Valérie Hayer. "Il sera une figure importante de la nouvelle équipe", prédit de son côté l'analyste Mujtaba Rhaman sur X.
En France, la démission de Thierry Breton a immédiatement déclenché une vague de questionnements sur une potentielle participation au gouvernement, que le nouveau Premier ministre Michel Barnier doit annoncer d'ici à la fin de la semaine. Tandis que Matignon se garde de tout commentaire, "Michel Barnier et [Thierry Breton] s’entendent bien", souligne toutefois un député Ensemble auprès de France Télévisions. "Sans doute Thierry Breton a-t-il trouvé un atterrissage ailleurs", suppute auprès de franceinfo une députée européenne macroniste.
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