La victoire de Syriza peut-elle faire tache d'huile en Europe ?
Au lendemain de la victoire de la gauche radicale en Grèce, francetv info s'interroge sur les répercussions politiques possibles sur le continent.
"L'histoire de l'Europe est en train de basculer", assure Jean-Luc Mélenchon, député européen et membre du Parti de gauche, lundi 26 janvier, au lendemain des élections législatives en Grèce et de la victoire du parti anti-austérité Syriza. La gauche radicale a-t-elle raison de s'enthousiasmer ? Les résultats du parti d'Alexis Tsipras vont-ils bénéficier au Front de gauche français ou au Podemos espagnol ? Le succès de Syriza peut-il pondérer la politique de rigueur menée en Europe ? Francetv info tente d'évaluer l'influence que peuvent avoir les élections grecques sur le reste de l'Europe.
Non, même si les partis anti-austérité progressent
Le cas de Syriza n'est pas isolé : une adhésion à des alternatives anti-austérité est observée en Europe. En Espagne, Podemos ("Nous pouvons" en français), qui s'inscrit dans la lignée du mouvement des Indignés, fait de bons scores dans les sondages. En novembre, le parti était crédité de 27,7% d'intentions de vote dans un sondage publié par El Pais, souligne La Tribune.
Au Portugal, le succès de Syriza redonne de l'espoir à son équivalent, le Bloc de gauche. Si sa popularité est loin de celle de Syriza, il surfe comme lui sur le discrédit des partis traditionnels. L'ancien Premier ministre socialiste, José Socrates, à la tête du pays entre 2005 et 2011, a été mis en examen le 24 novembre pour fraude fiscale qualifiée, corruption et blanchiment d'argent.
En Italie, le Mouvement cinq étoiles de l'humoriste anti-système Beppe Grillo a émergé aux élections législatives de 2013 et a obtenu 21,2% des suffrages aux européennes, derrière le Parti démocrate de Matteo Renzi, le président du Conseil italien, à la tête d'une grande coalition de centre-droit.
Reste que l'essor de ces partis est à relativiser : en Italie, Renzi a, depuis son arrivée au pouvoir, réussi à "incarner le renouveau" aux yeux de l'opinion publique, précise Yves Bertoncini, directeur du think thank Notre Europe-Institut Jacques Delors, joint par francetv info. "Il a coupé l'herbe sous le pied de Beppe Grillo." Par ailleurs, même si le mouvement de Beppe Grillo a le vent en poupe, Yves Bertoncini estime que ce dernier s'est marginalisé ces derniers mois en se "droitisant". Il est aussi devenu "de plus en plus europhobe".
Syriza n'est pas tombé dans cet écueil. "Syriza n'est pas europhobe et a su évoluer", explique Yves Bertoncini. Contrairement, d'ailleurs, au Bloc de gauche portugais. "Les communistes portugais sont plus radicaux que Syriza", assure Yves Bertoncini.
En France, il existe un vote contestataire, mais il se porte surtout sur le Front national. "Un basculement de l'électorat de Marine Le Pen vers Jean-Luc Mélenchon me semble peu probable", analyse le spécialiste. Il rappelle aussi que la situation est très différente dans l'Hexagone : "La France connaît la rigueur mais pas l'austérité."
Non, la Grèce est dans une situation particulière
Si plusieurs pays voient la montée en puissance de partis anti-austérité ou plus généralement anti-système, l'ampleur de la victoire de Syriza tient aussi et surtout à la situation particulièrement catastrophique de la Grèce.
La politique d'austérité menée en Grèce depuis 2010 a entraîné une baisse du salaire minimum, des retraites mais aussi des salaires en général. Depuis, ni la gauche ni la droite n'ont semblé pouvoir apporter des solutions au pays. "Ces cinq dernières années, les Grecs ont eu droit à tout : un gouvernement mené par le Parti socialiste (le Pasok), par la droite (Nouvelle Démocratie), par les deux à la fois, et même un gouvernement de technocrates entre-temps", rappelle Kostas Vergopoulos, professeur émérite de sciences économiques à l'université Paris-8.
"Parce qu'il y a eu un grand soir à Athènes, il y aura un grand soir en Europe ? Non, je n'y crois pas", affirme Yves Bertoncini. Selon lui, la victoire de Syriza en Grèce résulte de conditions très spécifiques. "Il y a les conditions politiques avec la mise sous tutelle politique du pays, explique-t-il, les conditions socio-économiques avec la baisse des salaires, les conditions partisanes avec l'effondrement du Parti socialiste, jugé responsable du marasme du pays. Or, beaucoup de ces conditions ne sont pas réunies dans les autres pays d'Europe."
Ainsi, "l'Espagne n'a pas connu de plan d'austérité comparable à celui mis en place en Grèce. Le parti socialiste espagnol (PSOE) n'est pas dans le même état de délabrement que le Pasok, relativise Yves Bertoncini. Les élections législatives en Espagne sont à la fin de l'année et, entre-temps, il y a des élections au Danemark, en Finlande et au Royaume-Uni. Je ne suis pas sûr qu'elles porteront au pinacle la gauche radicale. Or les Espagnols prendront sûrement en compte ces situations."
Oui, cela va favoriser les tenants de la relance en Europe
Si la gauche radicale n'accède pas au pouvoir dans les autres pays d'Europe, la victoire de Syriza peut en revanche donner un nouveau souffle aux partisans d'une autre politique européenne. Le secrétaire général du Parti socialiste portugais d'opposition, Antonio Costa, estime que ce succès électoral est "le signal du changement en Europe" en matière de politique d'austérité. "Il faut mettre en place une autre politique en Europe" et "freiner l'austérité qui n'a réussi ni à relancer l'économie ni à assainir nos finances publiques", a-t-il déclaré dimanche, relaie le Huffington Post.
Le scrutin grec isole la chancelière allemande, tenante d'une politique de rigueur en Europe. Face à la ligne défendue par Angela Merkel, un front Hollande-Renzi souhaite une réorientation vers des politiques de relance. "Le nouvel axe franco-italien avait ardemment milité l'an dernier pour plus de croissance en Europe et un assouplissement du pacte de stabilité", rappelle ainsi Julian Rappold, chercheur à l'Institut allemand de politique étrangère (DGAP), un centre de réflexion berlinois.
Pour Bruno Le Roux, chef de file des députés PS, ce scrutin constitue d'ailleurs pour François Hollande un "point d'appui supplémentaire pour discuter avec l'Europe", relate lundi Le Parisien.
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