Deux ans après la mort de Mahsa Amini, le "cri des Iraniens est toujours présent"

Le 16 septembre 2022, le décès de cette jeune Kurde iranienne de 22 ans, trois jours après son arrestation pour non-respect du port du voile, provoquait une révolte historique en Iran. Aujourd'hui, l’héritage de cette colère se fait toujours sentir dans le pays.
Article rédigé par Chloé Ferreux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des femmes iraniennes ne portant pas le hijab obligatoire sont assises sur le Bam-e Tehran (toit de Téhéran), qui surplombe la ville de Téhéran. (SASAN / MIDDLE EAST IMAGES / AFP)

Elles ont défilé dans les rues de Téhéran, tête nue, pour défier la répression brutale de la République islamique. Deux ans après la mort de Mahsa Amini, survenue le 16 septembre 2022 après son arrestation par la police des mœurs pour un hijab jugé "inapproprié", les militantes du mouvement "Femme, Vie, Liberté" continuent de lutter pour leurs droits en Iran. Le soulèvement de 2022, qui avait ébranlé les fondations du régime, a coûté la vie à des centaines de manifestants et conduit à l'arrestation de plus de 22 000 personnes, selon l'ONU.

Malgré l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement dirigé par Masoud Pezeshkian, qualifié de "réformateur", la répression reste brutale en 2024. Si les manifestants ne foulent plus le pavé, une "révolution silencieuse" perdure, selon le Centre pour les droits humains en Iran (CHRI), basé à New York. De plus en plus de femmes pratiquent la désobéissance civile en refusant de porter le hijab obligatoire, devenu un symbole d'oppression, et font entendre leur colère jusque dans les prisons iraniennes.

Un régime toujours plus brutal avec les femmes

Malgré l'enracinement du mouvement "Femme, Vie, Liberté" en Iran depuis 2022, les revendications sont restées sans réponse et la répression s'est aggravée. En avril, le Guide suprême, Ali Khamenei, a fait entendre son irritation sur le non-respect du port du hijab, lors de deux discours publics, rapporte France 24. Les autorités ont "renforcé les mesures et les politiques répressives par le biais du plan dit 'Noor' ["lumière"], encourageant, sanctionnant et approuvant les violations des droits humains à l'encontre des femmes et des jeunes filles qui défient le port obligatoire du hijab obligatoire", selon des experts de l'ONU.

Depuis, les témoignages de violences subies par des femmes arrêtées dans la rue parce qu'elles refusaient de se couvrir la tête se sont multipliés. En juillet, Arezou Badri a été grièvement blessée après le tir de policiers sur sa voiture, alors qu’ils tentaient de saisir le véhicule afin d’appliquer l’application des lois sur le port du voile, rapporte la BBC. Le même mois, une vidéo issue de caméras de surveillance à Téhéran montre des agents arrêter violemment deux adolescentes sans foulard. La mère de l'une d'elles, Nafas Hajisharif, 14 ans, a déclaré qu'elle avait retrouvé sa fille avec "le visage meurtri, les lèvres tuméfiées, des marques sur le cou et des vêtements déchirés", lors d’une interview avec le média iranien Ensaf News, relayée par le site Iran International.

"Avec le temps, le régime cherche à être plus brutal. Dernièrement, la police des mœurs a embauché de nombreuses femmes pour pouvoir battre, harceler et arrêter les filles, y compris par des moyens comme les chocs électriques", confirme Mona Tajali, chercheuse sur les questions de genre et de politique dans les pays musulmans, en particulier en Iran, à l’université de Stanford (Etats-Unis).

“L’obligation du port du voile est l’une des premières lois du régime. Si elle venait à disparaître, c’est la République qui s'effondrerait.”

Mona Tajali, spécialiste des questions de genre dans les pays musulmans

à franceinfo

L'experte s'inquiète d’un nouveau projet visant à "utiliser la surveillance, l'intelligence artificielle et bien d'autres technologies pour identifier les femmes qui ne sont pas habillées correctement afin de les retrouver, les punir, voire les emprisonner".

La répression s’abat également sur les universitaires, en première ligne des protestations au début du mouvement. "Depuis deux, voire trois semaines, des opérations de police massives ont lieu en Iran. Je n’ai plus aucune nouvelle de la plupart des jeunes avec qui je travaillais. Ils ont été arrêtés simplement parce qu'ils avaient assisté à mes réunions virtuelles", s'inquiète Mahnaz Shirali, sociologue, politiste et autrice du livre Fenêtre sur l'Iran, le cri d'un peuple bâillonné.

Les violences se sont aussi multipliées à l’étranger afin de réduire au silence les dissidents. Les services de sécurité iraniens ciblent ceux qui, à l'extérieur du pays, sont accusés d'attiser des divisions internes, rapporte le Washington Post. Selon le quotidien américain, le pays est considéré par les responsables occidentaux comme l’un des plus dangereux dans la répression de sa diaspora. Un phénomène loin d’épargner la France. "Je n'arrête pas de recevoir des messages qui me menacent de mort ou de kidnapping. Il y a une armée de policiers qui m'en protègent", confirme Mahnaz Shirali.

Les militantes, cibles de représailles sévères

Quelques mois avant le second anniversaire de la contestation, la répression menée par le pouvoir judiciaire contre les militantes iraniennes s'est aussi intensifiée. Parmi les nombreux cas, la condamnation de douze féministes à des peines allant jusqu’à 21 ans de prison, rapporte le CHRI.

L'organisation alerte sur les conditions de détention de ces femmes avant leur jugement et dénonce des violences sexuelles. "Certaines militantes ont été torturées, parfois dans le but d’obtenir de fausses déclarations", explique Bahar Ghandehari, directrice de communication au CHRI. Elle fait référence à une lettre de la Kurde Pakhshan Azizi publiée par l'ONG Hengaw. Aujourd’hui condamnée à mort, la militante a témoigné de la violence dont elle a fait l’objet pendant ses interrogatoires : "Pendue plusieurs fois", "frappée", "insultée", "humiliée", "placée à l'isolement pendant cinq mois, la terrible torture blanche".

Pakhshan Azizi, tout comme la défenseure des droits humains Sharifeh Mohammadi, ont récemment été reconnues coupables de "rébellion armée contre l'Etat" sur la "base de fausses accusations", dénonce Bahar Ghandehari. Selon elle, cette sentence est "une tentative claire de réprimer les militants pacifiques".

Depuis le début de la répression, le régime utilise la peine de mort comme un outil de "terreur" afin de "faire taire le peuple iranien", selon la chargée de communication de l'ONG. "En Iran, ce sont surtout des hommes qui sont condamnés à mort. Mais depuis le début des révoltes, nous avons constaté que les femmes sont également prises pour cible", pointe Bahar Ghandehari.

Depuis le début de l'année, 421 personnes ont été exécutées, dont 15 femmes, selon l'ONG Iran Human Rights (IHR). En 2023, on dénombrait au moins 834 exécutions, un chiffre en hausse de 43% par rapport à 2022 et un record depuis 2015, d’après un rapport publié par IHR et Ensemble contre la peine de mort.

Une révolution silencieuse qui gagne du terrain

En 2023, la répression brutale du régime avait freiné la poursuite des manifestations. Mais les Iraniens pourraient-ils s’emparer à nouveau de la rue en 2024 ? Mahnaz Shirali reste sceptique. "Les mouvements sociaux de ce genre ne peuvent pas tenir le même rythme sur le long terme. Pourtant, le cri des Iraniens, qui ne supportent pas la manière dont on les traite, est toujours présent", souligne la sociologue.

Mona Tajali observe, elle, une nouvelle forme de protestation : "L'une des preuves les plus visibles de résistance est l'apparition de femmes non voilées de plus en plus fréquemment dans l'espace public." A ce rejet du hijab s'ajoutent les grèves récurrentes. "La semaine dernière, les infirmières sont sorties dans les rues pour protester contre leurs conditions de travail. Avant, c'étaient les instituteurs et les agriculteurs", énumère Mahnaz Shirali.

Pendant la campagne présidentielle, tous les candidats ont cherché à se distancier des méthodes violentes du régime. Un signe qui montre que le mouvement "gagne du terrain", selon le New York Times. "La contestation pour la liberté des femmes a changé la société. Les femmes résistent davantage et les gens sont plus enclins à s'exprimer contre le gouvernement. La République islamique l'a vu et elle en a peur", assure Bahar Ghandehari.

Le faible taux de participation à l'élection présidentielle a aussi "montré que le peuple en avait assez, qu’il n’était pas d'accord avec le régime et qu’il allait essayer de priver le gouvernement de sa légitimité en ignorant les urnes", analyse Mona Tajali.

"Autrefois, on bataillait avec la police des mœurs pour des voiles mal ajustés, aujourd’hui, c’est parce que nous n’en portons plus du tout", avait résumé la journaliste irano-allemande Gilda Sahebi en juillet 2023, dans l'hebdomadaire allemand Die Zeit.

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