Crise politique en Italie : Matteo Salvini "est puissant et soutenu par l'opinion publique", mais "isolé au niveau européen"
Marc Lazar, spécialiste de l'Italie, revient sur la situation du chef de file de la Ligue, homme fort du gouvernement italien, qui a réclamé jeudi la tenue d'élections législatives anticipées, à la surprise générale.
L'Italie plonge dans la crise politique. Matteo Salvini, chef de file de la Ligue et ministre de l'Intérieur, a signifié jeudi 8 août la fin de la coalition au pouvoir depuis quatorze mois avec le Mouvement 5 étoiles (M5S), et réclame la tenue d'élections législatives anticipées. Matteo Salvini "est puissant et il est soutenu par l'opinion publique mais il est isolé au niveau européen", a estimé vendredi sur franceinfo Marc Lazar, professeur d'histoire et de sociologie politique, et directeur du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP).
franceinfo : Pourquoi Matteo Salvini déclenche-t-il cette crise "surprise", en plein milieu de l'été, alors que les divergences avec le Mouvement 5 étoiles ne sont pas nouvelles ?
Marc Lazar : Ce n'est pas nouveau. Le ver était dans le fruit depuis la constitution même de ce gouvernement. On se demandait quand, sur quel motif et qui déclencherait la rupture. On a la réponse maintenant : c'est Salvini et c'est au cœur de l'été.
Trois raisons expliquent cette décision. La première, ce sont les sondages. Matteo Salvini est actuellement crédité de 38 à 40% des voix. La deuxième raison, c'est qu'à l'intérieur de son propre parti, il y avait des pressions très fortes pour mettre fin à cette expérience, en particulier des puissants présidents des régions de la Lombardie et de la Vénétie qui veulent obtenir plus d'autonomie. Le dernier argument, et je crois qu'il pèse, est de type technique. Le 9 septembre prochain, la chambre des députés et le Sénat devaient prendre une disposition consistant à réduire le nombre de parlementaires. Or cette décision aurait entraîné six à sept mois de discussions diverses et variées, ce qui aurait retardé les élections.
Salvini choisit d'annoncer des élections anticipées, qui plus est au cœur du mois d'août, afin d'être au cœur de tout le débat public. Il polarise l'attention des médias italiens et internationaux. Il apparaît comme l'homme-clé, comme l'homme capable de dicter l'agenda, ce qui est totalement faux du point de vue institutionnel.
Est-ce qu'il peut réussir son coup ?
Oui, ce gouvernement est incontestablement fini. Cette coalition improbable est terminée et nous aurons des élections anticipées. Comment et selon quelles modalités ? Il va falloir attendre quelques jours pour le savoir. Mais ces élections ouvrent une voie royale, une voie républicaine, à Matteo Salvini. C'est la chronique d'une victoire annoncée qui est en train de s'écrire.
Le Mouvement 5 étoiles est en train d'exploser avec cette expérience gouvernementale. Luigi Di Maio, son dirigeant, apparaît comme un personnage falot à côté de Matteo Salvini. Forza Italia de Silvio Berlusconi est en pleine décrépitude. Et le Parti démocrate du centre-gauche est profondément divisé sur la stratégie à mettre en place contre Matteo Salvini, à part le diaboliser.
La perspective, que ça soit d'ici la fin de l'année 2019 ou début 2020, c'est un "gouvernement Ligue". La Ligue toute seule, ou la Ligue avec les Frères d'Italie, une organisation encore plus à droite et avec une perspective de posséder tous les pouvoirs : les pouvoirs de la chambre des députés et du Sénat, la présidence du Conseil, donc le gouvernement. Et en 2022 – c'est fondamental – l'élection par le Parlement du futur président de la République, dont on peut penser qu'il serait proche de cette majorité. En d'autres termes, Matteo Salvini aurait tous les pouvoirs et c'est un risque pour l'Italie et pour l'Europe.
Matteo Salvini seul à la barre de l'Italie, c'est un retour aux années 1930 qui peut faire peur ?
Je ne fais pas cette comparaison avec les années 1930. Je ne pense pas qu'il y ait un risque de fascisme. Il y a incontestablement des risques pour la démocratie italienne. Surtout Matteo Salvini essaiera de pousser la Commission européenne dans ses ultimes retranchements, d'engager un bras de fer pour essayer d'obtenir plus de latitude, notamment en termes de déficit et de dette publique.
Matteo Salvini est puissant, et il est soutenu par l'opinion publique. Mais il est isolé au niveau européen, car même avec ses alliés potentiels, c'est-à-dire les Hongrois et les Polonais, voire les Autrichiens qui vont voter bientôt, ils sont en désaccord complet sur deux sujets cruciaux pour Matteo Salvini : pas question de répartir les migrants comme le souhaiterait Salvini, et pas question de revenir sur la nécessité d'assainir les comptes publics. Salvini est fort, mais il est isolé en Europe.
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