Italie : néofascisme, post-fascisme, extrême droite... Comment faut-il qualifier l'idéologie de Giorgia Meloni ?
Depuis la victoire de la leader de Fratelli d'Italia dimanche, médias et analystes multiplient les termes pour désigner son positionnement politique. Nous avons demandé à Marie Anne-Matard Bonucci, historienne du fascisme, de nous aider à choisir les bons mots.
Après la victoire de Giorgia Meloni aux élections législatives, dimanche 25 septembre, l'Italie entre dans une phase d'incertitude politique et les médias étrangers, eux, ne savent plus avec quel vocabulaire politique composer. Souvent décrite comme "néofasciste", la leader de Fratelli d'Italia est aussi parfois désignée dans la presse comme "post-fasciste". Marie Anne-Matard Bonucci, historienne spécialiste du fascisme italien, préfère parler de "droite radicale". Enseignante à Paris VIII et présidente de l'association anti-raciste Alarmer, elle revient pour franceinfo sur l'origine de ces différents termes et sur le positionnement idéologique de celle que les Italiens appellent "La Meloni".
franceinfo : Qu'entend-on par néofascisme et post-fascisme ?
Marie Anne-Matard Bonucci : Le néofascisme désigne les mouvements qui ont été créés après la chute du régime fasciste et qui avaient pour projet de refaire vivre, éventuellement dans des modalités différentes, voire de prolonger l'expérience du fascisme. Ça a été le cas du Mouvement social italien (MSI) qui a été créé en 1946, et Giorgina Meloni s'est engagée en 1992 dans le Front de la jeunesse, l'organisation de jeunesse du Mouvement social italien. Ensuite, le post-fascisme est un terme ambigu et qui, de mon point de vue, n'est pas satisfaisant. Il semble renvoyer à l'idée d'un "après". On se demande alors si l"'après" est simplement chronologique ou s'il s'agit de dire que ces mouvements ont tourné la page avec l'héritage fasciste. C'est un terme qui est employé lorsqu'il y a un lien généalogique, mais qui, en même temps, semble indiquer qu'on est dans une autre dimension que celle du fascisme.
Quel est, selon vous, le terme le plus adapté pour décrire le programme de Giorgia Meloni ?
Je pense qu'il est préférable de parler, pour caractériser le mouvement de Fratelli d'Italia, de droite radicale populiste ou éventuellement d'extrême droite populiste. Droite radicale est plus satisfaisant qu'extrême droite, parce que l'expression renvoie à l'idée de radicalisation, de radicalisation potentielle et c'est bien le cas du mouvement de Giorgia Meloni. Pour définir cette droite radicale, le politiste américain Cass Mudde a proposé trois caractéristiques : le nativisme, l'autoritarisme et le populisme. Et ces trois composantes sont effectivement présentes dans le programme et le discours de Fratelli d'Italia. Le nativisme est l'idée que dans la conception de la Nation, il convient de privilégier une forme de loi du sang. Chez Giorgia Meloni, le nativisme passe en fait par l'invocation du christianisme.
Elle a beaucoup insisté dans sa campagne sur le fait qu'elle était chrétienne. Ce marqueur du christianisme est surtout destiné à se démarquer de ceux qui ne le sont pas et en l'occurrence bien évidemment, des migrants, de tous ceux qui ont une histoire étrangère à l'Europe.
Marie-Anne Matard-Bonucci, historienneà franceinfo
Elle Identifie christianisme et Europe, ce qui, évidemment, est un raccourci historique. L'autoritarisme, lui, est présent dans son programme en ce sens qu'elle voudrait créer une république présidentielle en donnant plus de pouvoir à l'exécutif. Et par ailleurs, on trouvera un legs de cette culture politique néofasciste - qui est sa culture politique initiale - si on se plonge dans sa biographie où on trouvera maints éloges du chef. Et effectivement, elle incarne, d'une certaine façon, un certain idéal du chef avec un réel charisme qui explique en partie d'ailleurs son succès électoral. La troisième composante, c'est le populisme. Terme effectivement sur lequel on a beaucoup discuté, mais dont l'une des caractéristiques majeures consiste à opposer le peuple et les élites. Et ça, en effet, ça a été aussi un élément récurrent dans le discours de Giorgia Meloni.
Vous parlez de culture néofasciste... Cela signifie-t-il que Giorgia Meloni n'a pas totalement rompu avec l'héritage politique de Mussolini ?
Il y a dans le discours de Meloni des thèmes qui étaient présents à l'évidence dans le fascisme, dans la culture politique fasciste, mais qui ne sont pas spécifiques au fascisme. Il y a des valeurs conservatrices - la défense de la famille, de la natalité, un hypernationalisme, la volonté de faire de l'Italie un grand pays -, quelquefois des rappels à un passé de grandeur, l'empire, etc. Des choses qui sont présentes effectivement dans le fascisme mais qu'on trouve dans d'autres régimes nationalistes.
Dans le fascisme, il y a la volonté de créer une société totalitaire, un régime totalitaire. Et cette ambition-là, elle n'est plus présente dans le discours de Giorgia Meloni.
Marie-Anne Matard-Bonuccià franceinfo
Dans son livre, parfois, elle parle d'une conception divine de la politique. Ça, c'est un peu inquiétant quand même. Mais globalement, je dirais qu'elle s'inscrit dans le cadre de la démocratie libérale, alors que le fascisme détestait la démocratie, combattait la démocratie. De ce point de vue-là, il y a une réelle rupture avec le passé fasciste. Mais, en revanche, je pense quand même qu'elle reste imprégnée d'une partie de cette culture politique qui est la sienne et qu'elle a acquise quand elle était jeune. Il faut lire son livre pour s'en convaincre. Elle dit très peu de choses sur le fascisme historique à proprement parler, mais, par exemple, c'est très intéressant de voir de quelle manière elle parle de sa jeunesse et donc de son engagement au sein du mouvement néofasciste avec une nostalgie incroyable.
Pour accéder au pouvoir, Giorgia Meloni va-t-elle justement devoir donner des signes de rupture plus forts vis-à-vis de cet héritage culturel fasciste ?
Elle les a donnés, en paroles en tout cas. Par exemple, elle avait fait il y a quinze jours à peu près une vidéo en trois langues, en français, en espagnol et en anglais, dans laquelle elle disait justement "Nous avons relégué le fascisme à l'histoire". Elle condamnait aussi les lois anti-juives. Et ça, c'était clairement destiné à rassurer les opinions européennes. La difficulté qu'elle va avoir, je pense, est de composer entre l'opinion internationale et une partie de sa base dont elle ne voudra pas se différencier. Il existe une extrême droite authentiquement fasciste en Italie, des partis comme CasaPound ou Forza Nuova. Aussi bien le MSI que l'Alliance nationale n'ont jamais complètement rompu avec ces partis plus extrémistes. Il y a toujours eu des liens, des passages d'un parti à l'autre. Ça va être intéressant de voir comment Giorgia Meloni se comporte et quel lien elle entretient justement avec eux.
Bien que l'histoire de nos deux pays soient très différentes, ce que vous décrivez fait un peu penser au parcours de Marine Le Pen. Il a fallu qu'elle prennent ses distances avec une frange historique du Front national, et de son père Jean-Marie Le Pen, pour élargir son électorat...
Il y a une démarche de dédiabolisation qui est en effet comparable. La différence peut être, est que le fascisme historique représente 20 ans de pouvoir, d'exercice du pouvoir et c'est un régime qui a pu, à un moment donné, exercer un ascendant sur la population. Il y a eu, au milieu des années 1930 probablement, un consensus d'une partie de la population autour du régime. C'est un régime qui a été effectivement populaire à un moment donné.
C'est plus facile, probablement, de se débarrasser de l'héritage d'un Front national [version] Jean-Marie le Pen, qui n'a jamais exercé le pouvoir, que d'une référence à un morceau d'histoire tel que l'a été le fascisme italien.
Anne-Marie Motard-Bonuccià franceinfo
Ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas une petite ville d'Italie où il n'y ait pas un bâtiment de l'époque fasciste. C'est un régime qui a été un régime extrêmement bâtisseur, qui a en partie transformé de ce point de vue-là, la physionomie architecturale italienne. Et ce legs-là, il est là, il est dans la ville.
Il y a tout de même la mémoire des victimes...
Justement, plus le temps passe, plus la mémoire de l'antifascisme et des victimes s'affaiblit aussi. On banalise, on défascise d'une certaine façon le fascisme. Et on oublie que ça a été un régime policier et belliciste, etc.
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