Pourquoi il est inapproprié de considérer le Mouvement 5 étoiles comme le cousin italien de La France insoumise
Le M5S, une formation populiste, a noué une alliance avec l'extrême droite pour former un gouvernement de coalition en Italie. Le positionnement du mouvement est atypique et reprend à la fois des thèmes de gauche et de droite. Difficile, dans ces conditions, de le considérer comme le frère jumeau de La France insoumise.
"Nous n'avons rien à voir avec le Mouvement 5 étoiles". Jean-Luc Mélenchon a mis les points sur les i, dimanche 20 mai, sur RTL, en qualifiant même la formation politique italienne d'"adversaire". Deux jours plus tôt, sur France 2, il avait déjà été interrogé sur la possibilité d'un rapprochement avec Marine Le Pen, à la façon de la coalition entre le M5S et la droitière Ligue de Matteo Salvini. Ce parallèle laisse toutefois de côté l'identité propre du mouvement emmené par Luigi Di Maio : ses propositions éclectiques composent un programme parfois qualifié "d'attrape-tout". Ni de droite, ni de gauche. Ou un peu des deux.
Un socle de gauche contre une doctrine hybride
"Le M5S est plus volatil et plus hybride du point de vue doctrinal, estime Sylvain Kahn, professeur agrégé au sein du master affaires européennes et du département d'histoire de Sciences Po et chroniqueur à Explicite, ce qui gêne beaucoup de commentateurs français." Le M5S défend l'écologie et la démocratie directe, tout comme La France insoumise. Mais dans le même temps, il emprunte plusieurs thèmes à la droite radicale, notamment sur la sécurité et l'islam. "Il n'y a pas de socle idéologique au M5S", analyse Jérémy Dousson, journaliste à Alternatives économiques et auteur d'Un populisme à l'italienne ? Comprendre le Mouvement 5 étoiles (éd. Les Petits matins). L'accord de gouvernement avec la Ligue prévoit notamment le renvoi de 500 000 immigrés clandestins.
Il y a une différence philosophique. Le M5S s'est créé depuis le départ, en 2011, comme un mouvement ni à gauche ni à droite. La France insoumise, elle, est issue de la gauche.
Jérémy Doussonà franceinfo
Une position inacceptable pour Jean-Luc Mélenchon, qui n'hésite pas à qualifier Luigi Di Maio et Matteo Salvini de "fachos". "La classe politique italienne a mis un coup de barre à droite depuis deux ans, dans un contexte particulier, analyse Jérémy Dousson. Le Parti démocrate (centre gauche) de Matteo Renzi a financé des milices libyennes pour retenir les migrants. Le M5S est en ligne avec ça, ni plus ni moins." Par le passé, le fondateur du mouvement, Beppe Grillo, a largement fustigé le droit du sol et dénoncé "la gauche caviar", coupable selon lui de justifier les flux migratoires.
Le mouvement est né et a grandi dans le sillage d'un blog tenu par Beppe Grillo. Jérémy Dousson a interrogé plusieurs anciens membres du M5S qui ont travaillé avec l'humoriste et Giancarlo Casaleggio, éminence grise du mouvement, aujourd'hui décédé. "Ils m'ont expliqué que les posts du blog étaient conçus pour faire sortir les gauchistes du mouvement. La stratégie était de ne pas balancer d'un côté, trop à gauche, ou de l'autre." Tout en restant cohérent au fil des ans, le programme du M5S a toujours cherché à s'affranchir des étiquettes classiques.
Lors de ses alliances putatives, Luigi Di Maio a essayé de nouer une coalition avec tout le monde (sauf Forza Italia). En Italie, ses adversaires politiques disent qu’il est opportuniste. Je dirais qu’il est idéologiquement très plastique.
Sylvain Kahnà franceinfo
Pour Jérémy Dousson, la ligne jaune d'une alliance avec l'extrême droite représente une réelle divergence. "Jean-Luc Mélenchon est attaché certes à la souveraineté, aux frontières, à une certaine forme d'ordre républicain, à la nation, mais il est clairement internationaliste et multiculturaliste", estime également le politologue Jean-Yves Camus, interrogé par l'AFP.
Le M5S n'est pas un parti antilibéral
Gare donc aux apparences. Certes, le mouvement de Luigi Di Maio et La France insoumise vantent une redistribution des richesses et une relance économique par le pouvoir d'achat, grâce notamment à des baisses d'impôt. Mais "le M5S n'est pas du tout jacobin et rejette l'économie administrée, précise aussitôt Sylvain Kahn. Il promeut d'ailleurs l'entrepreunariat et la libre entreprise et a obtenu d'excellents scores dans le centre du pays, où existe un fort réseau de PME." Lors des élections législatives, les listes du mouvement ont ainsi glané 31,2% des voix dans les catégories supérieures (dirigeants et entrepreneurs), loin devant le PD (centre gauche, 22,5%) et la Ligue (12,9%).
Le M5S a un programme pro-entreprises et de nombreux entrepreneurs ont voté pour Luigi Di Maio. Ce dernier est très dur contre les multinationales et l’évasion fiscale, mais il défend les petits entrepreneurs.
Jérémy Doussonà franceinfo
En guerre contre la pression fiscale, Luigi Di Maio ne défend pas une position antilibérale. Il a d'ailleurs accepté l'idée du centre droit d'instaurer une "flat tax" avec des taux d'imposition de 15 et 20%, qui devrait profiter aux plus aisés. Ce sont "des partis qui ont un programme économique de droite", juge Jean-Luc Mélenchon, qui vante au contraire l'instauration de quatorze tranches d'imposition. En déplacement à Naples lors de la campagne législative, le 15 février, le dirigeant de La France insoumise a sans surprise apporté son soutien à Potere al Popolo !, une alliance de gauche antilibérale.
Un dégagisme en commun, mais le M5S veut s'affranchir des partis
Mais certains traits entretiennent la confusion entre les formations. Le parti français et le mouvement italien revendiquent tous deux une même aversion pour la presse et adoptent volontiers des accents "dégagistes" – on songe notamment au célèbre "Vaffanculo" de Beppe Grillo. Les deux formations se sont organisées autour d'une "personnalité clivante qui fixe un cap, résume Jérémy Dousson. Dans les deux cas, il y a eu des procès en populisme, avec des soupçons d'accointance avec la Russie". Ils partagent un goût pour les nouvelles technologies. Avant l'hologramme de Jean-Luc Mélenchon, lors de la dernière présidentielle, Beppe Grillo avait diffusé en simultané un meeting sur 120 écrans, il y a cinq ans.
"Cette critique des élites et du système économique crée un autre imaginaire chez les électeurs", selon Jérémy Dousson. Mais ce goût pour la tribune cache également des différences, estime Sylvain Kahn. "Jean-Luc Mélenchon est issu du monde partisan, d'un monde politique structuré par les partis." Le M5S, lui, est né en 2011 autour de la figure de l'humoriste Beppe Grillo, puis a grandi autour de son blog et des réseaux sociaux. Luigi Di Maio "croit en l'immédiateté du peuple qui n’a pas besoin de corps intermédiaires et donc de partis politiques pour se gouverner".
Quand Syriza et La France insoumise disent : 'dégagez-les tous', ils utilisent une rhétorique populiste, mais sans l'être à 100%. Car Jean-Luc Mélenchon estime qu'il existe encore des partis qui peuvent comprendre le peuple et le représenter.
Sylvain Kahnà franceinfo
Le M5S, version du souverainisme italien
Le positionnement eurosceptique du M5S est très affirmé depuis la création du mouvement. "Ils ont mis beaucoup d’eau dans leur vin avant et après élections, estime Jérémy Dousson. Ils sont passés d'une position proche de celle de Jean-Luc Mélenchon – on négocie avant un éventuel référendum de sortie – à une position proche de Benoît Hamon – on négocie sans envisager de sortie." La sortie de l'euro, par exemple, ne figure plus dans la dernière version de l'accord de gouvernement, ce qui contrarie d'ailleurs Beppe Grillo. Début mai, ce dernier a rappelé la nécessité d'un référendum pour sortir de la monnaie unique.
Il n'en reste pas moins que Jean-Luc Mélenchon et Luigi Di Maio ont tous deux une sainte horreur de la gouvernance européenne, à travers ses principales institutions comme la BCE. Ce souverainisme "de gauche" critique la technocratie bruxelloise et dénonce un déficit démocratique en raison d'une rupture supposée avec le peuple. Mais l'euroscepticisme du M5S ajoute une autre dimension à cette défiance, en défendant les prérogatives de l'Italie. "Luigi Di Maio est également souverainiste au sens où l’était le RPR français, estime Sylvain Kahn. Il refuse que la souveraineté soit mutualisée dans le cadre de l'UE et considère que l’Etat italien doit pouvoir décider seul."
Le M5S, un nouveau rapport à la politique reproductible par La France insoumise ?
"Ces concepts de souverainisme, de capitalisme et de peuple sont assez absents dans les propos de Luigi Di Maio", estime Jérémy Dousson, qui préfère insister sur l'organisation des deux formations. Selon lui, La France Insoumise et le M5S s'inscrivent dans la mouvance des "entreprises libérées", une expression utilisée en sciences de gestion. "Vous pouvez vous organiser en petites cellules et avoir une marge de décision, tant que vous respectez la vision et le cap du leader."
Sylvain Kahn, lui, évoque peu cet aspect de La France insoumise. La nouveauté du M5S, selon lui, est une conception horizontale de la politique, avec justement un rôle a minima des partis politiques. "De ce point de vue-là, nous sommes peut-être en train de changer d'ère avec le M5S, En marche !, Podemos, le Parti pirate... Ces mouvements n'ont pas le même programme, mais ils veulent faire de la politique autrement." Une analyse assez proche de celle de l'historien Jérémie Ferrer-Bartomeu, interrogé dans Marianne. "Le problème de la stratégie de La France insoumise, c'est qu'elle marche vite pour élargir son socle électoral, mais que pour aller plus loin, la transformation en Mouvement 5 étoiles est la seule issue possible."
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