Pourquoi l'attribution de l'Exposition universelle 2030 provoque-t-elle autant de tensions diplomatiques ?
Un ballet de dirigeants à Paris. En l'espace de quelques jours, la capitale française a notamment reçu la visite du prince saoudien Mohammed ben Salmane, du président sud-coréen Yoon Suk-yeol et de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni – son premier déplacement officiel dans l'Hexagone. L'objet de leur venue : appuyer la candidature de villes de leurs pays pour l'édition 2030 de l'Exposition universelle, alors qu'une assemblée générale du bureau en charge de cet événement se tient à Paris mardi 20 et mercredi 21 juin.
Au cours de son passage en France, le sulfureux prince saoudien "MBS" s'est assuré du soutien de la France dans cette bataille qui doit encore durer cinq mois. Un affront pour l'Italie, qui espérait un geste de son voisin afin de faire gagner Rome, et relancer ainsi, à terme, une économie moribonde. Qu'il s'agisse de stratégie d'influence ou d'espoirs économiques, la bataille pour l'Exposition universelle de 2030 cristallise en tout cas les passions et mobilise au plus haut niveau. Franceinfo résume les enjeux de cette course internationale.
Un événement redevenu très populaire
Lancé il y a plus de cent soixante-dix ans, le cycle des expositions universelles a traversé une période de creux au XXe siècle avant de gagner en intensité au début des années 2000. L'événement a même renoué avec le rythme de ses débuts et voit désormais une nouvelle édition organisée tous les cinq ans. Après Milan (Italie) en 2015 et Dubaï (Emirats arabes unis) à l'automne 2021 (prévue en 2020 mais reportée d'un an à cause de la pandémie de Covid-19), c'est à Osaka (Japon) qu'aura lieu la prochaine Exposition universelle, en 2025.
"Si les pays occidentaux semblent moins intéressés par cet événement, il est loin d'être anodin pour les pays moins développés", explique à franceinfo Matthieu Anquez, spécialiste des stratégies d'influence et président du cabinet Arès. En deux siècles, l'Exposition universelle a énormément changé : "De la fin du XIXe au milieu du XXe, elle était très liée aux empires coloniaux européens, c'était une vitrine de la puissance, rembobine le spécialiste en géopolitique. Et ça, les pays émergents ne l'ont pas oublié !"
S'il est désormais courtisé par des pays comme la Turquie pour l'édition 2015, ou le Brésil pour celle de 2020, c'est que cet événement apporte "un certain prestige" à la nation qui l'organise, estime Matthieu Anquez. "C'est une façon de s'imposer, de montrer que c'est ici qu'ont lieu les innovations, en marge de la puissance purement militaire ou économique", détaille-t-il.
Des retombées économiques non négligeables
Les villes du monde entier se pressent pour organiser leur propre exposition universelle parce que "le jeu en vaut la chandelle", poursuit Matthieu Anquez. "Certes, c'est coûteux, mais cela attire des flux importants de personnes et de capitaux", note-t-il. Sur son site, le Bureau international des expositions (BIE), en charge de désigner les organisateurs de chaque édition, promet de son côté d'importantes retombées économiques. Ces "méga-événements" accueillent en effet "des dizaines de millions de visiteurs" et "permettent aux pays de construire d'extraordinaires pavillons et de transformer la ville hôte", assure le BIE.
En 2015, l'exposition de Milan avait ainsi vu défiler 20 millions de visiteurs, comme le rapportait Euronews. Six ans plus tard, et alors que la crise du Covid-19 était loin d'être terminée, celle de Dubaï avait comptabilisé plus de 24 millions de visites selon ses organisateurs. D'autant qu'une fois le public parti, les infrastructures subsistent. "De plus en plus d'installations ont vocation à être pérennes", souligne Matthieu Anquez. Fini, donc, l'époque des petites villes éphémères, dont les bâtiments étaient souvent détruits à la fin des festivités. La durabilité du projet et les "usages post-Expo" font d'ailleurs partie des critères examinés par le BIE dans son choix des villes organisatrices.
Un coup de fouet économique, c'est précisément ce que recherchent la Corée du Sud et surtout l'Italie, avec la candidature de Rome. "Ce sera une opportunité extraordinaire pour la ville et le pays au nom de la durabilité, de la cohésion et de la régénération", a lancé son maire, Roberto Gualtieri, cité par le site Roma Today. Les autorités italiennes espèrent ainsi dynamiser la zone de Tor Vergata, au sud-est de Rome, et construire le plus grand parc de panneaux photovoltaïques au monde, rapporte RFI. Les porteurs de ce projet ambitionnent également de générer 31,5 millions de visites, avec des retombées estimées à 50 milliards d'euros.
Mardi, le BIE a officialisé la liste finale des villes candidates : Busan (Corée du Sud), Rome et Riyad (Arabie saoudite). Soutenue par les institutions européennes, l'Italie ne pourra toutefois pas compter sur la France lors du vote, qui sera organisé en novembre sur le principe "un Etat, une voix". Eloignés politiquement, divisés sur la question de l'immigration en Europe, Emmanuel Macron et la dirigeante d'extrême droite Giorgia Meloni ont entretenu des relations pour le moins tendues ces derniers mois. Le président français avait de toute façon décidé dès l'été 2022 dans un communiqué de l'Elysée, soit avant l'arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir, d'appuyer le dossier de l'Arabie saoudite, l'un de ses fournisseurs privilégiés de pétrole et client fidèle de la France en matière de vente d'armes, comme l'expliquait France Culture en 2022.
Un important "coup à jouer" pour l'Arabie saoudite
En se portant candidate pour l'Expo de 2030, Riyad abat une nouvelle carte dans sa stratégie d'influence. Et espère gagner beaucoup en termes d'image. Loin d'être remis de l'affaire Jamal Khashoggi, ce journaliste saoudien assassiné et démembré en 2018 dans le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul (Turquie), le prince Mohammed ben Salmane est toujours très critiqué sur la scène internationale. La piètre situation des droits de l'homme dans son pays, la place limitée des femmes dans la société saoudienne et le rôle joué dans la sanglante guerre au Yémen ne plaident pas en faveur de l'Arabie saoudite, qui mise sur les grands événements de ce type pour redorer son blason.
"On peut dire que MBS est candidat à tout : non seulement à l'Exposition universelle, mais également à la Coupe du monde la même année, en 2030, peut-être aussi aux Jeux olympiques par la suite", explique à franceinfo Pascal Boniface, directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). "Il va faire du clientélisme, donner une image de modernisateur de l'Arabie saoudite. Et aussi de celui qui a beaucoup de cash et qui peut beaucoup distribuer : c'est une façon d'acheter de l'influence."
Cette stratégie, déjà employée par le Qatar avec l'organisation de la Coupe du monde de football 2022, n'avait pourtant pas évité à l'émirat gazier d'être épinglé par les critiques. "Ce n'est pas infaillible, mais l'Arabie saoudite a justement un coup à jouer, estime Matthieu Anquez, en montrant qu'elle peut organiser un événement majeur comme le Qatar, mais en traitant mieux ses travailleurs étrangers notamment." Le spécialiste appelle toutefois à la "vigilance concernant les droits humains", qui pourraient passer au second plan de cette course à l'Exposition universelle, "objet d'intenses tractations et loin d'être épargnée par le risque de pots-de-vin", alerte-t-il.
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