Guerre entre le Hamas et Israël : pourquoi les rebelles houthis du Yémen attaquent des "navires israéliens" en mer Rouge
Des attaques pour "soutenir pleinement le peuple palestinien". Dans un message posté sur le réseau social X, dimanche 3 décembre, le porte-parole des houthis du Yémen a revendiqué avoir ciblé "deux navires israéliens" dans le détroit de Bab el-Mandeb, en mer Rouge. L'un a été visé avec un "missile", l'autre "avec un drone", a-t-il assuré.
Les Etats-Unis ont même évoqué un autre tir de missile ayant touché un troisième bateau, sans faire de dégâts importants. Un destroyer américain qui se trouvait dans la zone est venu en aide aux navires, et a abattu trois drones. "Nous avons toutes les raisons de croire que ces attaques (...) sont entièrement financées par l'Iran", a avancé le Commandement militaire américain au Moyen-Orient.
Ces incidents surviennent dans un contexte de tensions accrues dans la région. Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre, les rebelles houthis ont multiplié les attaques visant le territoire israélien ou des cibles qu'ils présentent comme liées à l'Etat hébreu. Les trois navires ciblés dimanche battent pourtant les pavillons des Bahamas ou du Panama, et ne sont pas détenus par des entreprises israéliennes. Les houthis assurent qu'ils continueront ces manœuvres "jusqu'à ce que l'agression israélienne contre [nos] frères de la bande de Gaza cesse".
Un navire détourné par un commando
Environ 2 000 kilomètres séparent le Yémen d'Eilat, la ville la plus méridionale d'Israël. Pourtant, la région de la mer Rouge fait figure de nouveau front dans la guerre entre le Hamas et Israël. Le 27 octobre, six personnes ont été blessées après que deux drones se sont abattus dans le Sinaï égyptien, frontalier d'Israël. Le Premier ministre du gouvernement des houthis a affirmé que "ces drones apparten[aient] au Yémen". Quatre jours plus tard, l'armée israélienne a annoncé avoir intercepté un missile tiré depuis la région de la mer Rouge. Une attaque encore une fois revendiquée par les rebelles yéménites. D'autres tentatives similaires d'atteindre Israël depuis le Yémen ont eu lieu depuis.
La tension est montée d'un cran le 19 novembre. Ce jour-là, les rebelles houthis déclarent s'être emparés d'un navire commercial en mer Rouge, et l'avoir détourné vers la côte yéménite. Les houthis ont filmé leur opération et diffusé des images, sur lesquelles on voit un commando d'hommes en tenue de camouflage, cagoulés et armés de fusils, se poser en hélicoptère sur le pont du navire pour en prendre le contrôle.
Selon eux, le cargo Galaxy Leader est israélien. Tel-Aviv dément et assure qu'il "appartient à une société britannique et est exploité par une société japonaise". Mais l'entreprise britannique, Ray Car Carriers, est la propriété d'Abraham Rami Ungar, un homme d'affaires israélien. Aucun Israélien ne figure, en revanche, parmi les 25 membres d'équipage pris en otage, qui, comme le navire, sont toujours retenus par les houthis.
Des rebelles soutenus et entraînés par l'Iran
Comment ont-ils pu mener une telle attaque ? Depuis sa création, dans les années 1990 dans la région de Saada, dans le nord du Yémen, la rébellion houthie n'a cessé de se développer. "Son but de départ était de créer une 'renaissance' religieuse et culturelle dans le pays autour du zaïdisme, une branche du chiisme", retrace Franck Mermier, anthropologue et directeur de recherches au CNRS. Mais très vite, le mouvement s'est aligné sur l'Iran et a bénéficié de son soutien.
Selon une note de l'Institut d'études sur la sécurité nationale (INSS), affilié à l'université de Tel-Aviv, les houthis bénéficient du soutien de la force al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique, notamment en matière d'entraînement au combat, de financement, et d'assistance à la fabrication et à la contrebande d'armes. Depuis le début de la guerre du Yémen de 2014, "ils utilisent des missiles balistiques iraniens et des bateaux téléguidés de technologie iranienne, relève Franck Mermier. Ils font venir ces armes par la mer Rouge, voire par Oman".
Les rebelles houthis font partie de l'"axe de la résistance", un rassemblement de groupes armés soutenus par Téhéran, comme le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais, tous opposés à Israël.
"Le slogan des houthis, 'Mort à l'Amérique, mort à Israël, malédiction sur les Juifs, victoire à l'islam', reprend les slogans scandés en Iran".
Franck Mermier, anthropologueà franceinfo
Toutefois, imaginer que les houthis sont téléguidés par Téhéran serait une erreur, pour Franck Mermier. "Ils ont besoin de l'aide militaire iranienne, mais ils ont une marge d'autonomie assez grande et décident de leur propre politique. Ils sont islamistes et nationalistes", rappelle le chercheur.
Dès le début de leur guerre contre les forces loyalistes du président yéménite Ali Abdallah Saleh, les houthis réussissent à s'emparer de la capitale, Sanaa. "Aujourd'hui, ils contrôlent une grande partie du nord du Yémen, dont leur fief – le gouvernorat de Saada –, la capitale Sanaa et le port d'Hodeida, sur la mer Rouge, explique Franck Mermier. Ils administrent la majorité de la population yéménite."
Une manière d'affirmer une influence dans la région
Les opérations menées par les houthis en mer Rouge ne sont pas uniquement destinées à déstabiliser l'Etat hébreu. Viser Israël est aussi un moyen de "réaffirmer leur légitimité au sein de la population yéménite", souligne Franck Mermier. Mohammed Albasha, analyste pour l'entreprise de conseil américaine Navanti Group, confirme à l'AFP cette volonté du groupe rebelle de rallier sa base populaire, dans un pays en proie à une guerre sanglante depuis 2014. Les Nations unies estimaient, fin 2021, que le conflit avait fait près de 380 000 morts. Plus de 80% de la population a besoin d'aide humanitaire et des millions d'habitants ont été déplacés, relève La Croix.
Les houthis entendent également "montrer les muscles" par rapport à leurs voisins dans la péninsule arabique. L'Arabie saoudite dirige une coalition internationale, appuyée par les Etats-Unis, qui soutient le gouvernement central yéménite contre les rebelles. Or, Ryad "a très envie de se désengager de ce bourbier", note Franck Mermier. Depuis le mois d'avril, des émissaires saoudiens et houthis mènent des négociations pour un accord de paix. Dans ce contexte, les attaques menées en mer Rouge relèvent d'une "stratégie calculée" dont l'objectif est de "faire pression sur les Américains" afin "d'accélérer la conclusion d'un accord avec les Saoudiens", analyse Majid al-Madhaji, chercheur au Sanaa Center for Strategic Studies, interrogé par l'AFP.
D'autant que plusieurs pays du Golfe membres de la coalition contre les houthis se sont rapprochés de Tel-Aviv. En 2020, les Emirats arabes unis et le Bahreïn ont signé avec Israël les accords d'Abraham, renouant des relations diplomatiques. Un accord similaire avec l'Arabie saoudite est en négociations. Les houthis ont même accusé les Emirats arabes unis d'avoir participé à "l'agression contre la bande de Gaza", observe l'INSS. "Nous disposons d’informations selon lesquelles Abou Dhabi était partie prenante", a assuré Mohammed al-Bukhaiti, membre du bureau politique des houthis.
De faibles capacités de nuisance envers Israël
Pour le moment, ces ennemis des rebelles yéménites voient malgré tout "d'un bon œil le soutien des houthis aux Palestiniens", assure Franck Mermier. Mais si leurs attaques se multiplient et menacent la sécurité maritime, "il y aura inévitablement des représailles" des pays du Golfe, voire des Occidentaux. La mer Rouge est en effet une région stratégique pour le commerce mondial. Large au plus de 350 kilomètres environ, elle relie l'Afrique et l'Asie. Des porte-conteneurs et pétroliers la sillonnent chaque jour pour approvisionner l'Europe, rappelle l'émission d'Arte "Le Dessous des cartes". Le détroit de Bab el-Mandeb constitue le quatrième passage maritime mondial pour le transport des hydrocarbures.
Pour autant, ces attaques des houthis contre Israël risquent peu de fragiliser l'Etat hébreu, selon Fabian Hinz, chercheur à l'Institut international des études stratégiques. Même si les rebelles possèdent des missiles balistiques, des missiles de croisière et des drones pouvant théoriquement traverser le sud de la péninsule arabique jusqu'en Israël. Ils pourraient atteindre le sol israélien par un "coup de chance", estime-t-il auprès de l'AFP, mais "il y a très peu de risques".
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