La Ligue de défense juive, "prête à en découdre"
Après les violences en marge de manifestations pro-palestiniennes, certains politiques ont pointé le rôle de la LDJ. Francetv info est allé à la rencontre de ses membres, adeptes des expéditions punitives et "prêts à en découdre".
"Nous sommes armés et déterminés à défendre notre communauté. S'il doit y avoir des morts, il y en aura", prévient d'emblée un des membres de la Ligue de défense juive (LDJ). Autour de la table, à l'arrière d'un restaurant de la rue des Rosiers à Paris, ils sont quatre à avoir accepté de parler. Le rendez-vous a été pris la veille, avec les responsables de la LDJ, émanation française de la Jewish Defense League, qualifiée de "groupe terroriste" par le FBI et interdite aux Etats-Unis et en Israël.
Les quatre hommes, baraqués, la trentaine, se montrent méfiants. Avant une interview, ils vérifient toujours le background des journalistes. Très vite, ils tiennent à remettre les choses à leur place : "Nous ne sommes pas des casseurs." Et se présentent comme des pères de famille bien installés dans la vie. "On a l'air de voyous à votre avis ?", demande le plus costaud des quatre, crâne rasé, vêtu d'un blouson en cuir. Euh... Comment dire ?
"Une organisation criminelle barbare"
Après les heurts survenus à Paris, dans le quartier de Barbès, et à Sarcelles en marge des manifestations de soutien aux habitants de la bande de Gaza, l'heure est à la condamnation des débordements par les responsables politiques, qualifiés, lundi 21 juillet, d'"intolérables" par Bernard Cazeneuve. On accuse les pro-Palestiniens, mais aussi la Ligue de défense juive.
A gauche, de nombreuses voix se sont émues du rôle qu'aurait joué la milice sioniste, accusée par certains d'avoir attisé les tensions. Plutôt pro-palestinien, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon a ainsi réclamé une commission d'enquête parlementaire sur les échauffourées de la rue de la Roquette. Jean-Jacques Candelier, député communiste, dans une lettre ouverte à François Hollande, a dénoncé, vendredi 18 juillet, "une organisation criminelle barbare" et a appelé à la dissolution de la LDJ en lançant une pétition sur le site WeSignIt.fr.
Combien la Ligue de défense juive compte-t-elle de membres ? Quelles sont leurs activités entre deux actions musclées ? Les militants de la LDJ rencontrés par francetv info affirment disposer d'"un noyau dur de 250 à 300 personnes qui s'entraînent régulièrement au combat et qui sont prêtes à en découdre".
Un long passif de violences
Bien avant les incidents de la rue de la Roquette, le groupe de "protection de la communauté juive" et de "lutte contre l'antisionisme" s'est fait connaître par plusieurs autres faits de violences. Le quotidien Times Of Israel (en anglais) lui attribuait l'année dernière pas moins de 115 incidents depuis 2001. Comme le rapporte Le Nouvel Obs, les membres de la Ligue de défense juive se sont illustrés en 2012, en empêchant une séance de dédicaces de l'écrivain juif Jacob Cohen, le traitant de "collabo" à cause de ses positions pacifistes. La même année, après l'agression de militants, l'Union juive française pour la paix a demandé la dissolution de la LDJ, qualifiée de "fasciste". En 2009, quatre membres de la milice sioniste ont été condamnés à des peines de prison avec sursis pour le saccage d'une librairie pro-palestinienne.
Et "certains faits sont encore plus graves, comme lorsqu'en 2002, un commissaire de police se fait poignarder à l'issue d’une manifestation de soutien à Israël", rappelle Dominique Vidal, auteur de Le ventre est encore fécond : les nouvelles extrêmes droites européennes, interrogé par francetv info. Mais la LDJ a toujours nié être impliquée dans cette affaire.
Un mouvement "ultra-minoritaire et creux"
"La Ligue de défense juive est une forme de milice dont les seules activités connues sont des actes de violence, affirme Dominique Vidal. Il faut bien la distinguer du Bétar, qui est un vrai mouvement politique affilié au Likoud." Pour Jean-Francois Strouf, un des fondateurs du think-tank Avenir du judaïsme, la LDJ est constituée de "jeunes en mal d'identité". Et ce dernier de qualifier le mouvement d'"ultra-minoritaire" et "complètement creux sur le plan idéologique". "La Ligue de défense juive ne mérite pas l'intérêt médiatique qu'elle suscite", juge-t-il.
Les différences entre la Ligue de défense juive et le Bétar, un autre mouvement de protection de la communauté juive, n'empêchent pas les deux entités de coopérer. Ils annoncent par exemple leurs présences respectives devant chaque synagogue proche de cortèges pro-palestiniens. Et, disent-ils, ni le Bétar, ni la LDJ n'hésitera à répondre par la force à toute agression.
Adeptes des expéditions punitives
"Nous cherchons surtout à sécuriser les lieux de cultes", affirment d'une même voix les militants de la LDJ et le Bétar rencontrés par francetv info. Lorsqu'elle use de la violence, la Ligue de défense juive assure avant tout être au service de la communauté juive : "Au quotidien, nous aidons notre communauté. Nous apportons un soutien psychologique et physique aux victimes d'agression. Jamais nous n'attaquons gratuitement, expliquent ses militants. Mais nous sommes sans pitié contre ceux que nous reconnaissons comme agresseurs." Et de préciser : "On achète aussi des paniers repas pour les pauvres." Le Bétar aussi revendique ce genre d'expéditions punitives. "Lorsqu'une personne est victime d'une agression antisémite, nous essayons de retrouver l'agresseur pour rendre la justice juive", affirme Yaïr, un de ses responsables.
Les méthodes musclées du Bétar et de la LDJ ne sont pas toujours les bienvenues au sein de la communauté juive. Contacté par francetv info, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) assure que "la présence de ces groupuscules devant les synagogues n’est jamais requise par la communauté". Le service de protection du Crif "fait très bien son travail, pas besoin de la LDJ", estime Alain Grabarz, un des dirigeants de Hachomer Hatzaïr, un mouvement de jeunesse juive de gauche. "Avec ses slogans racistes, la LDJ renvoie une image désastreuse de la communauté juive." Régis Hazan, président du DEJJ, un mouvement de jeunesse communautaire apolitique, confirme : "La Ligue de défense juive est une mouvance minoritaire, que l'on voit seulement sur les réseaux sociaux et dans les manifestations. Ils ne sont absolument pas représentatifs."
Propagande sur les réseaux sociaux
Hostiles à l’existence même de la Palestine, la milice sioniste et le Bétar livrent en effet une bataille sans relâche avec les radicaux pro-palestiniens sur Twitter et Facebook. Ils se félicitent d'avoir défendu la synagogue Don Isaac Abravanel, rue de la Roquette, ainsi que la synagogue de Sarcelles lors des violences en marge des manifestations pro-palestiniennes.
Nous sommes environ 200 devant la synagogue de #Sarcelles au cas où le cordon de CRS venait à ne pas suffir ! Aucun journaliste...
— LDJ Paris (@LDJ_France) 20 Juillet 2014
Et depuis une semaine, le compte de la Ligue de défense juive ne manque pas de retweeter les dizaines de messages de soutien qu'elle reçoit, comme pour souligner le succès croissant qu'elle revendique.
La ldj est à sarcelles, merci @LDJ_France !
— amnesia (@biebswxft) 20 Juillet 2014
Antisémitisme ambiant et conflit israélo-palestinien
Evidemment, la LDJ surfe sur la montée du sentiment d'antisémitisme en France, qui inquiète la communauté juive. Et ce, même si les chiffres du service de protection de la communauté juive (SPCJ) montrent que le nombre d'actes antisémites baisse. Ainsi, en 2013, le SPCJ a recensé 423 actes antisémites, soit une diminution de 31% par rapport à 2012. Jean-François Strouf, du think tank Avenir du judaïsme, dénonce l'amalgame qui est fait entre ce groupuscule et la communauté juive. Il rappelle notamment ce jour où des pro-Palestiniens se sont rassemblés devant la synagogue d'Asnières insultant la LDJ, alors que "seuls les fidèles étaient à l'intérieur de la synagogue".
"L'Etat manque à son devoir de protection des citoyens français. Nous demandons que les juifs puissent vivre en paix, souligne la LDJ. S'il n'y avait pas de problème, la LDJ n'existerait pas." Les manifestations de soutien aux Palestiniens et les dérapages antisémites qu'elles ont engendrés fournissent à la Ligue de défense juive l'occasion de dénoncer le manque de volonté des pouvoirs publics de punir ces actes.
Du côté des membres de la LDJ, on dénonce l'importation du conflit israélo-palestinien en France : "Un amalgame fait entre Israéliens et juifs français. Nous n'avons rien à voir avec ce qui se passe là-bas." Mais la conversation s'interrompt brusquement. La sonnerie d'un des smartphones imite le bruit d'un missile : une roquette vient d'être lancée sur Israël. Comme de nombreux Israëliens, ils se sont abonnés à l'application mobile Red Alert, et sont informés en temps réel des tirs de roquettes depuis la bande de Gaza.
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