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Syrie : quelles sont les étapes qui attendent les mères et les enfants rapatriés en France ?

La procédure qui encadre le retour de ces ressortants qui vivaient jusqu'ici dans des camps de prisonniers jihadistes est désormais rodée et commence dès la descente de l'avion.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une femme portant un enfant passe devant des tentes dans le camp de prisonniers jihadistes d'Al-Hol, situé dans le nord-est de la Syrie, le 11 mai 2021. (DELIL SOULEIMAN / AFP)

Il s'agit du premier rapatriement massif depuis la chute, en 2019, du groupe Etat islamique. La France a organisé le retour de 35 mineurs et 16 femmes, âgées de 22 à 39 ans, qui vivaient depuis trois ans dans des camps de prisonniers jihadistes dans le nord-est de la Syrie. Ces 51 personnes ont posé le pied sur le sol français mardi 5 juillet. Et après ? Que va-t-il se passer pour elles ?

Les enfants sont séparés de leurs mères

Les femmes ont été remises aux autorités judiciaires et les enfants aux services d'aide à l'enfance, affirme le Quai d'Orsay. Cela signifie que la première étape, pour les douze femmes revenues accompagnées de leurs enfants, c'est la séparation. "J'espère que les services qui ont géré ce rapatriement préparent désormais à cette séparation", pointe Marc Bailly, avocat de familles d'enfants détenus en Syrie.

En février 2018, Stéphanie avait raconté à franceinfo cette étape douloureuse : "J'avais dit à mon fils qu'il allait partir chez sa mamie, mais le juge a changé d'avis." Son fils de trois ans et demi avait alors éclaté en sanglots. Mais en quatre ans, les retours se sont poursuivis et le processus s'est rodé. Depuis 2016, 126 enfants ont été rapatriés en France, auxquels s'ajoutent les 35 arrivés mardi.

Les femmes sont placées en garde à vue

Tout commence à la sortie de l'avion. Les femmes de jihadistes sont immédiatement placées en garde à vue au sein des locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). A l'issue de l'interrogatoire, qui peut être prolongé jusqu'à six jours, elles sont présentées à un juge d'instruction. La plupart d'entre elles sont ensuite mises en examen pour "association de malfaiteurs terroriste" et placées en détention provisoire. "Cela laisse le temps pour des investigations et pour faire la lumière sur leurs agissements", précise Vincent Brengarth, qui représente trois familles d'enfants rapatriés mardi. "La prise en charge de ces mères exige des efforts de la justice mais elles sont identifiées au préalable", poursuit l'avocat.

"Il n'y a pas de suspense sur le sort des mères."

Marc Bailly, avocat

à franceinfo

Ainsi, parmi les 16 femmes revenues en France mardi, huit ont été placées en garde à vue "en exécution d'un mandat de recherche" et "huit font l'objet d'un mandat d'arrêt", précise le Parquet national antiterroriste (Pnat) dans un communiqué. Emilie König, l'une des jihadistes françaises les plus connues, fait partie de ces dernières. De ce fait, elles doivent être présentées à un juge d'instruction dans les 24 heures qui suivent leur arrivée sur le sol français. Et leur mise en examen est inéluctable.

Emilie König a ainsi été mise en examen et placée en détention provisoire le soir-même de son retour en France. Cette femme de 37 ans, originaire de Lorient (Morbihan), a rejoint la zone irako-syrienne en 2012. Elle est mère de cinq enfants, dont trois nés en Syrie, rapatriés en France début 2021. Elle est accusée d'avoir recruté pour le groupe Etat islamique et appelé à commettre des attaques en Occident.

"Elle est rentrée pour s'expliquer et pour tenter le plus rapidement possible, selon une échéance qu'elle ne maîtrise pas, de revoir ses enfants."

Emmanuel Daoud, avocat d'Emilie König

à l'AFP

Les enfants sont pris en charge

Car les enfants, de leur côté, sont directement pris en charge par les services de l'Etat compétents. Soit en Seine-Saint-Denis, s'ils ont atterri à l'aéroport de Roissy, soit dans les Yvelines, si l'avion s'est posé à Villacoublay. Dans ce type de dossier, le ou la juge des enfants prononce une ordonnance de placement provisoire (OPP) dès leur descente de l'avion et les mineurs sont aussitôt pris en charge par les services de l'Aide sociale à l'enfance. 

"Le parquet compétent a huit jours pour nous saisir et une fois qu'on est saisi on a 15 jours pour organiser une audience."

Une juge pour enfants parisienne

à franceinfo

Dans ce laps de temps, les enfants sont placés dans une famille d'accueil. "Parfois c'est une famille relais. Les fratries peuvent être séparées. On fait comme on peut, en fonction des disponibilités", précise la magistrate.

D'après le Parquet national antiterroriste, un seul mineur de 17 ans, qui deviendra "majeur dans les jours qui viennent"a été placé en garde à vue, car "il existe des éléments susceptibles de caractériser sa participation à une association de malfaiteurs terroriste"Pour tous les autres, un long parcours commence. "Bilan tant somatique que médico-psychologique", "suivi psychothérapeutique", "scolarisation", "accompagnement"... La prise en charge des enfants de retour de Syrie est lourde, compte-tenu du traumatisme qui peut être le leur. Elle repose sur des circulaires du ministère de la Justice de 2018 et 2020.

Les enfants renouent avec leur famille

La première audience avec le ou la juge est l'occasion de décider du maintien du placement des enfants, de lancer des mesures d'investigation et d'en savoir plus sur la famille élargie. Il faut notamment s'assurer que les grands-parents, oncles, tantes, ou cousins n'adhèrent pas aux thèses de l'Etat islamique.

"On cherche à connaître l'histoire des parents, comprendre leur radicalisation, ce qui a conduit au départ en Syrie, et si un membre de la famille est, ou pas, en capacité de prendre en charge les enfants."

Une juge pour enfants parisienne

à franceinfo

Et d'expliquer : "On a six à huit mois pour faire ce travail-là", au terme duquel une deuxième audience est organisée. Puis elles ont lieu une fois par an, afin de faire le point sur l'évolution des enfants.

Le lien avec la famille en France, bien souvent des grands-parents, se noue ou se renoue de façon progressive. D'abord des échanges par courrier, dans lesquels les enfants peuvent envoyer des dessins, puis des appels téléphoniques, et, enfin des "visites médiatisées", c'est-à-dire encadrées par les services sociaux. "La famille doit être parfaitement équilibrée", souligne Marc Bailly, qui estime qu'il s'est écoulé un an et demi "entre le moment où les enfants ont atterri" et celui où ses clients ont pu obtenir la garde de leurs petits-enfants.

Pendant ce temps, les enfants doivent "s'habituer à une autre façon de vivre", estime la juge des enfants, en charge d'un dossier avec quatre enfants rapatriés en France depuis plus d'un an. Leur mère vient de rentrer de zone irako-syrienne. Des visites avec ses enfants vont pouvoir être organisées, y compris si elle est en détention. 

"Quand ils arrivent ils ne savent pas ce qu'est un escalator. Ils découvrent les glaces, la mer, les vacances..."

Une juge pour enfants parisienne

à franceinfo

Et pour certains, l'école. Un constat que partage Marc Bailly, qui reçoit de ses clients "des photos d'enfants pleinement heureux, intégrés, qui ont l'amour de leurs grands-parents".

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