: Récit franceinfo "Tout a disparu si soudainement" : les habitants d'Alep-Est tentent de se reconstruire
Deux semaines après la reprise d'Alep-Est par le régime syrien, les envoyés spéciaux de franceinfo ont pu se rendre dans les quartiers ravagés par les combats. Quelques habitants commencent à rentrer chez eux.
Des voitures calcinées barrent encore l’accès au quartier Bostam Lal Qasem, à deux pas de l’ancienne frontière entre l’est et l’ouest d'Alep. Deux semaines après la fin des combats et la reprise de tous les quartiers de la ville par le régime syrien fin décembre, les rues sont encore jonchées de gravats.
Sous nos pieds, un enchevêtrement de morceaux de béton, de tôle et de pierres. Face à nous, un poteau électrique à moitié cassé. Devant nous, des immeubles éventrés, des bouts de structures métalliques éclatés. Il reste de la vie passée ces rideaux qui pendent dans le vide ou ces habits accrochés au bout d’une barre en fer que l’on devine être un ancien balcon.
Quelques habitants de retour chez eux
Une pelle à la main, Amri déblaie ce qui reste de sa supérette. "J’ai perdu près de 20 millions de livres syriennes de matériel", confie-t-il. La somme équivaut à 37 000 euros. Le magasin d'Amri n’a pas résisté aux bombardements de ces deux derniers mois, comme une grande partie du quartier.
De l’autre côté de la rue, il ne reste d’un immeuble que des étages empilés les uns sur les autres, témoins de la violence des combats. Nour a attendu huit jours, coincée dans les décombres de son appartement. "Quand j’ai entendu du bruit pour la première fois, j’ai commencé à frapper avec un caillou sur un morceau de bois. Puis j’ai encore frappé, frappé, frappé, raconte la jeune femme de 22 ans. Et là quelqu’un m’a dit : 'Si vous pouvez m’entendre, frappez encore !'"
Résister au froid sans chauffage ni fenêtre
Le visage blafard, encadré d’un voile noir, Nour est une miraculée. Elle a perdu ses deux jeunes enfants dans l’effondrement de son immeuble. Elle vit aujourd'hui chez ses parents, dont l’appartement est encore debout. "Tout a disparu si soudainement, dit-elle. Je voudrais que mon mari soit près de moi. Je n’ai plus personne autour de moi, exceptés mes parents."
J’ai perdu mes enfants, ma belle-famille, ma maison que j’avais complètement aménagée... Mon mari est loin et il me manque.
Nour, habitante d'Alep-Està franceinfo
La jeune femme est emmitouflée dans une parka rose. L’appartement n’a plus de fenêtre, alors que les températures avoisinent les zéro degrés la nuit. Le chauffage ne fonctionne plus. "À cause du froid, on dort une à deux heures par nuit, raconte Mahmoud, le père de Nour. Il fait froid. Un froid glacial... On n’a plus d’électricité. Comme vous le voyez, ils ont coupé les câbles électriques dans la rue et ils ont fait exploser les canalisations d’eau potable."
Qui sont les personnes que Mahmoud désigne en disant "ils" ? L'homme ne précise pas, se méfiant peut-être du traducteur qui nous accompagne. Visage exténué, il nous dit ne pas avoir les moyens de vivre ailleurs. Il veut aussi surveiller son appartement qui a été pillé quand il a fui vers l’ouest de la ville en décembre. Vêtements, tapis, couvertures... Il ne lui reste plus rien. En début de soirée, nous apercevons dans les rues quelques camionnettes pleines d’objets. Tout autour, aucun policier ou soldat ne surveille ce quartier fantôme.
Reconstruire pour effacer cinq années de combats
Le souvenir de la vie à Alep-Est aux côtés des rebelles est douloureux pour Mahmoud : "Les rebelles nous ont menacés car j’avais un fils militaire. Ils m’ont dit : 'Tu as le choix. Soit tu ramènes ton fils ici, soit je te tue'. J’ai dû jurer sur le Coran que je n’avais pas de fils militaire."
Les rebelles ont déchiré ma carte d’identité. Ils nous ont alignés dans la rue avec ma famille et ont fait semblant de nous tirer dessus.
Mahmoud, habitant d'Alep-Està franceinfo
Mahmoud assure que les rebelles l’ont empêché de fuir à plusieurs reprises. Impossible de vérifier son témoignage, mais nous l'entendons dans la bouche de nombreux habitants.
En bas de chez Mahmoud, dans la nuit noire, quelques habitants se réchauffent autour d’un brasero. Bachir, barbe taillée, bonnet sur la tête, vit aujourd’hui dans l’appartement d’un voisin qui a fui en Turquie. Les traits creusés, le quinquagénaire désigne de sa main le paysage de désolation tout autour de lui. "Nous étions unis ici. On s’aimait tous, regrette-t-il. Mais nous avons été influencés par l’étranger. L’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie... On a tout de suite jeté ses portraits (ceux de Bachar Al-Assad ndlr) dans la rue et on les a piétinés. Ce n’est pas comme ça qu’on change de président !"
Nous avons détruit notre beau pays de nos propres mains
Bachir, habitant d'Alep-Està franceinfo
Il faudra des années, voire des dizaines d’années, pour reconstruire Alep. Amri, le commerçant, le sait. "Je reconstruis mon magasin maintenant, car les gens vont rentrer chez eux un jour, confie-t-il. Ils vont revenir cet été, quand mon magasin sera presque terminé." Amri veut rapidement effacer ces cinq années de conflit... cinq années de souffrance qu’il lui faut oublier pour pouvoir avancer.
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