Cet article date de plus de deux ans.

Royaume-Uni : comment Boris Johnson résiste face aux multiples révélations du "Partygate"

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Boris Johnson lors de la COP26 à Glasgow en Ecosse, le 10 novembre 2021. (ANDY BUCHANAN / AFP)

Le Premier ministre britannique est accusé d'avoir participé ou laissé organiser des fêtes à Downing Street en plein confinement. En dépit des secousses, le chef du gouvernement conservateur tient bon. Mais pour combien de temps ?

Du sursis avant la fin de partie ? Boris Johnson a survécu, lundi 31 janvier, à la publication d'une première version d'un rapport administratif accablant sur le "Partygate", ce scandale provoqué par des fêtes données au 10 Downing Street durant les confinements de 2020 et 2021. Face aux députés de la Chambre des communes, le Premier ministre britannique a admis des "erreurs de leadership" et des "rassemblements injustifiés". "Je suis désolé pour les choses que nous n'avons tout simplement pas bien faites", a-t-il déclaré, assurant qu'il allait réorganiser son cabinet et que son gouvernement restait "digne de confiance".

Le chef du gouvernement conservateur s'est toutefois refusé à quitter son poste, disant attendre les résultats prochains d'une enquête de police, contenant plus de 300 images et 500 pages d'informations. Cette investigation porte sur des fêtes organisées dans sa résidence de travail et chez lui, avec des proches et collaborateurs. Ses conclusions seront déterminantes. Mais pour le moment, le Premier ministre britannique tient bon.

"Nier et rejeter la faute sur les autres"

Jusqu'ici, Boris Johnson a surtout cherché à gagner du temps. A chaque accusation, "il est tout de suite passé à l'attaque et a toujours fait ce qu'il aime faire, avec beaucoup de bruit et de gesticulation : nier et rejeter la responsabilité sur les autres", observe Jon Henley, correspondant à Paris du quotidien The Guardian. "Il a essayé de sauver ce qui était possible, en détournant l'attention et en répétant qu'il fallait attendre les conclusions de l'enquête de police", ajoute Florence Faucher, professeure au Centre d'études européennes et de politique comparée (CEE) à Sciences Po.

Mais au fil des révélations, plusieurs voix, dans l'opposition et la majorité, se sont élevées pour appeler à sa démission. Dans une vibrante prise de parole lundi à Westminster, le chef du parti travailliste, Keir Starmer, a accusé Boris Johnson d'avoir pris tout le monde "pour des idiots".

"Bien sûr, il ne [démissionnera] pas parce que c'est un homme sans vergogne, et comme il l'a fait tout au long de sa vie, il a nui à tout le monde et à tout ce qui l'entoure."

Keir Starmer, chef du Labour

devant la Chambre des communes

"Le Premier ministre a menti et trompé la Chambre, il doit donc démissionner", a renchéri Ian Blackford, chef du parti indépendantiste écossais (SNP), prié de quitter l'enceinte après son intervention.

Chez les conservateurs, plusieurs parlementaires appellent aussi Boris Johnson à la démission. Le député Tory David Davis, ancien secrétaire d'Etat au Brexit, a imploré le Premier ministre de démissionner, le 19 janvier. "Au nom de Dieu, partez !" a-t-il lancé, devant les parlementaires. Peu loquaces jusque-là, d'autres ténors du parti ont rejoint cet appel lundi. L'ancienne cheffe du gouvernement Theresa May a sèchement critiqué son successeur, lui demandant s'il "n'avait pas lu les règles, s'il ne comprenait pas ce qu'elles signifiaient ou s'il pensait que les règles ne s'appliquaient pas à Downing Street".

En fin de journée, la députée et conseillère ministérielle Angela Richardson est devenue la première membre du gouvernement à quitter son poste en raison de sa "profonde déception" vis-à-vis de Boris Johnson et des "manquements du numéro 10 de Downing Street".

De nombreux députés "lui doivent leur poste"

Malgré cette crise inédite, Boris Johnson semble toujours bien en place. Lors d'une réunion avec les membres de son parti après la session parlementaire, lundi, le Premier ministre a reçu l'appui (plus discret) de plusieurs Tories. "C'était une journée difficile", mais le Premier ministre bénéficie de soutiens et personne ne lui a demandé de partir, selon le député de Peterborough Paul Bristow, cité par The Guardian*. "J'ai écouté attentivement le Premier ministre (…) Il a fait des promesses pour changer sa façon de faire les choses (…) et je le soutiens dans cette démarche", a assuré Gary Sambrook, député de Birmingham, sur Twitter*.

"De nombreux conservateurs continuent de voir Boris Johnson comme un leader flamboyant, comme le meilleur candidat pour gagner des élections, ce qui est leur intérêt principal", analyse Martin Smith, professeur de sciences politiques à l'université de York. En 2019, Boris Johnson avait remporté une victoire éclatante aux législatives avec 43% des voix, le meilleur score des conservateurs depuis l'ère Thatcher en 1987, rappelle The Economist*. Des circonscriptions du "Mur rouge", dans le nord de l'Angleterre et du pays de Galles, historiquement à gauche, ont basculé à droite grâce au style de Boris Johnson et sa promesse de "get the Brexit done" ("accomplir le Brexit"). Sur les 650 sièges de la Chambre des communes, Boris Johnson en a remporté 365 (il en reste 359), assurant aux conservateurs une confortable majorité.

"De nombreux jeunes députés sont entrés au Parlement pour la première fois grâce à Boris Johnson. Ils lui doivent leur poste et sont réticents à l'abandonner."

Jon Henley, correspondant Europe du "Guardian"

à franceinfo

Une fois au pouvoir, le Premier ministre a en outre "réussi à évincer la vieille garde conservatrice, plutôt opposée au Brexit, et à placer ses plus fidèles soutiens dans son cabinet [il faut un poste parlementaire pour être au gouvernement]. Ces élus sont donc liés par la solidarité gouvernementale tant qu'ils ne démissionnent pas. Il y a une dépendance", pointe Florence Faucher.

Un vote de défiance hasardeux

Une procédure interne a bien été lancée pour tenter d'évincer Boris Johnson du parti conservateur, mais elle peine à aboutir. Le comité 1922, auquel appartiennent les députés conservateurs qui n'ont pas de fonction au sein du gouvernement, peut déclencher un "vote de non confiance" contre le Premier ministre. Il faut pour cela que 15% des députés de la majorité (54 élus) transmettent une lettre en ce sens au comité. Si le Premier ministre perd ce vote, de nouvelles élections doivent être organisées. Mais le nombre de courriers reçus par le secrétaire du comité est l'un des secrets les mieux gardés de Westminster. Le processus ne pouvant survenir qu'une fois en douze mois et aucun successeur naturel ne sortant des rangs, les députés tentés par la rébellion pourraient choisir la prudence.

"Perdre un Premier ministre après seulement deux ans de gouvernance serait un énorme revers pour les Tories. Il n'y aucun consensus sur une nouvelle figure pour le remplacer, ce qui rendrait la tenue de nouvelles élections très compliquée."

Martin Smith, professeur de sciences politiques à l'université de York

à franceinfo

Quelques noms circulent toutefois pour remplacer Boris Johnson, comme la secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, Liz Truss, ou le Chancelier de l'Echiquier, Rishi Sunak. "Mais ils ne font pas l'unanimité", constate Martin Smith. La procédure de désignation rend en outre difficile tout remplacement rapide Boris Johnson. "Les députés conservateurs votent pour les candidats, puis pour les deux finalistes. Les membres du parti désignent ensuite le Premier ministre, qui peut donc s'avérer différent du choix des députés", résume Martin Smith.

Le dilemme des Tories est de savoir si Boris Johnson reste ou non le mieux placé pour remporter les élections législatives de 2024, estime Florence Faucher. "Même s'il subit une chute vertigineuse des opinions favorables, les élections sont dans plus de deux ans", rappelle-t-elle. D'ici là,"il pourrait s'en sortir en faisant diversion, comme il commence à le faire en se rendant en Ukraine" ou en annonçant un projet de loi "libertés du Brexit". L'impact électoral de ce "Partygate" qui s'éternise s'est cependant déjà fait sentir. En décembre 2021, les Tories ont perdu le North Shropshire, un bastion historique de la droite, lors d'une législative partielle.

"L'habitude de mentir pour s'en sortir"

Outre des mécanismes institutionnels avantageux, Boris Johnson peut compter sur son caractère face à la tempête. "C'est un homme ambitieux qui n'assume pas ses responsabilités et qui a l'habitude de mentir pour s'en sortir", résume Tim Bale, professeur de politique à l'université Queen Mary de Londres. Les gaffes et les mensonges jalonnent la carrière de l'ancien maire de Londres.

Cet ancien journaliste a été renvoyé du Times en 1988 pour avoir inventé une citation. En 2004, alors membre du "shadow cabinet" des Tories, il ment à son chef sur une relation extraconjugale et est à nouveau écarté. En 2006, invité de l'émission "Booktalk" de la BBC*, il assume : "J'ai une nouvelle stratégie brillante, qui consiste à faire tellement de gaffes que personne ne sait sur laquelle se concentrer (…) Vous bombardez les médias de tant de gaffes qu'ils sont submergés."

"Il est souvent utile de donner l'impression que vous faites exprès de ne pas savoir ce qu'il se passe parce que ça peut être la vérité, mais les gens ne pourront pas faire la différence."

Boris Johnson

dans le documentaire "Dans la tête de Boris Johnson" sur Arte

En 2016, il recouvre les bus d'une publicité mensongère clamant que le Royaume-Uni envoyait "350 millions de livres hebdomadaires à l'UE", qui contribue à la victoire du "Leave" au moment du vote sur le Brexit.

"Il a toujours compté sur son charme, son humour et son rapport très flexible à la vérité pour s'en sortir, commente Jon Henley. Quelque part, il a toujours été fidèle à lui-même, même s'il s'agit d'une forme très particulière d'intégrité."

"Le vrai scandale ce ne sont pas les soirées ou le nombre de mensonges proférés, c'est que tout le monde a toujours su qu'il était comme ça. Mais les Tories l'ont choisi comme leader car il était une machine à gagner. Ils ont privilégié le pouvoir à la gouvernance."

Jon Henley

à franceinfo

Une démission ne semble même pas envisageable, selon le chercheur Martin Smith. "C'est possible qu'il soit convaincu qu'il n'a rien fait de mal. Partir deux ans après être arrivé au pouvoir avec une large majorité, après avoir gagné le Brexit et avoir été désigné comme leader des Tories, serait personnellement très humiliant", étaye-t-il.

L'éventuel départ de Premier ministre apparaît donc lié au moment où les députés conservateurs verront en lui un poids plutôt qu'un atout. Les élections régionales de mai pourraient esquisser une première réponse. Quoi qu'il en soit, "ces scandales resteront dévastateurs pour la démocratie britannique, prédit Martin Smith. La confiance des électeurs dans le système politique s'est érodée et il faudra beaucoup de temps pour la retrouver." 

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.