Journalistes, opposants, espions… Qui sont les prisonniers échangés par la Russie et les Occidentaux ?

Un échange historique entre Moscou et plusieurs pays occidentaux, dont les Etats-Unis, a permis jeudi la libération de 16 personnes détenues en Russie et en Biélorussie contre 10 Russes.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le journaliste Evan Gershkovich à son arrivée à la base aérienne Andrews, dans le Maryland, aux Etats-Unis, après sa libération le 1er août 2024. (ANDREW THOMAS / NURPHOTO / AFP)

C'est le plus grand accord de libération de prisonniers depuis la fin de la Guerre froide. La Russie et les Occidentaux ont échangé en Turquie, jeudi 1er août, 26 de leurs ressortissants, extraits de prisons de sept pays différents. Seize des personnes libérées étaient détenues en Russie et en Biélorussie. Moscou, de son côté, a obtenu le retour de dix personnes, dont deux enfants, incarcérées aux Etats-Unis, en Allemagne, en Pologne, en Slovénie et en Norvège. Ces derniers ont été accueillis sur le tarmac moscovite par le président russe Vladimir Poutine en personne. Ce vaste échange a relevé de la "prouesse diplomatique", s'est félicité le président américain Joe Biden, même si un prisonnier de taille manquait à l'appel : l'opposant russe Alexeï Navalny, mort en prison en février. Franceinfo vous présente ceux qui ont bénéficié de cet accord historique. 

Du côté des Occidentaux, des journalistes, un ex-Marine, une artiste et des opposants au Kremlin

Le journaliste Evan Gershkovich. Le reporter américain du Wall Street Journal, âgé de 32 ans, était le premier journaliste occidental écroué en Russie pour espionnage depuis l'époque soviétique. Arrêté alors qu'il était en reportage à Ekaterinbourg (Oural), il était accusé d'avoir collecté des informations sur une usine de chars russes pour le compte de la CIA, ce que son journal et Washington ont fermement démenti. Le trentenaire, originaire du New Jersey, près de New York, est issu d'une famille juive ayant quitté l'URSS à la fin des années 1970. Il avait été condamné le 19 juillet à 16 ans de prison dans un procès expéditif et à huis clos. Le Wall Street Journal et l'organisation Reporters sans frontières se sont déclarés "immensément soulagés" de sa libération.

L'ex-Marine Paul Whelan. Cet homme de 54 ans, qui a également les nationalités britannique, irlandaise et canadienne, était emprisonné en Russie depuis décembre 2018. Directeur de la sécurité internationale du groupe américain BorgWarner, un fabricant de pièces détachées dans le secteur automobile, il avait été arrêté par les services spéciaux russes (FSB) dans un hôtel du centre de Moscou. Les accusations d'espionnage, qu'il conteste, lui avaient valu en juin 2020 une peine de seize ans de prison.

La journaliste Alsu Kurmasheva. Cette reporter russo-Américaine de 47 ans résidait à Prague et travaillait pour Radio Free Europe/Radio Liberty quand elle a été arrêtée en Russie en octobre 2023 au cours d'un voyage d'ordre privé. Elle avait été condamnée le 19 juillet à six ans et demi de prison pour des écrits sur l'offensive russe en Ukraine.

Des alliés d'Alexeï Navalny. Experte comptable à Oufa, dans l'ouest de la Russie, Lilia Tchanycheva, 42 ans, avait abandonné son emploi pour rejoindre en 2017 le Fonds de lutte contre la corruption d'Alexeï Navalny, participant activement au mouvement de protestation contre la corruption dans sa région. L'opposante avait été arrêtée en novembre 2021 et condamnée à neuf ans et demi de prison pour "extrémisme". Autre alliée d'Alexeï Navalny, Ksenia Fadeïeva, 32 ans, avait été élue en 2020 au conseil municipal de Tomsk, en Sibérie, avec d'autres militants indépendants, un rare succès pour l'opposition russe à l'époque. Après l'interdiction en 2021 du mouvement de Navalny, Ksenia Fadeïeva avait refusé l'exil à l'étranger, malgré les risques. Elle avait été condamnée en décembre 2023 à neuf ans de prison, également pour "extrémisme". Enfin, Vadim Ostanine, 47 ans, avait été condamné à neuf de prison pour "extrémisme" après avoir dirigé le bureau de l'équipe de Navalny à Biïsk, dans l'Altaï, dans le sud de la Russie.

Cinq détenus allemands ou binationaux russo-allemands. L'Allemand Rico Krieger est soupçonné d'avoir photographié des sites militaires en Biélorussie en octobre 2023 pour le compte des services secrets ukrainiens et d'avoir déposé sous leurs ordres un engin explosif sur une voie ferrée près de Minsk. Condamné à mort le 24 juin par un tribunal de Minsk pour "terrorisme" et "mercenariat" il a été gracié mardi par le président biélorusse Alexandre Loukachenko. Patrick Schoebel, un touriste allemand, était accusé de trafic de drogue après avoir interpellé fin janvier à l'aéroport de Saint-Pétersbourg avec des gommes à mâcher au cannabis. German Moïjes, un juriste russo-allemand, avait, lui, été arrêté fin mai 2024 à Saint-Pétersbourg, puis inculpé pour "haute trahison" et attendait son procès. Enfin, Dieter Voronine, un politologue russo-allemand, avait été condamné en mars 2023 à 13 ans de prison pour "haute trahison".

L'artiste russe Alexandra Skotchilenko. Cette femme de 33 ans avait été arrêtée en Russie en avril 2022 pour avoir remplacé les étiquettes de prix dans un supermarché par des messages dénonçant l'offensive en Ukraine. Elle avait écopé de sept ans d'emprisonnement en novembre 2023.

L'activiste russo-britannique Vladimir Kara-Mourza. Cinéaste puis journaliste, cet homme de 42 ans, engagé dans la défense des droits de l’homme et féroce détracteur du Kremlin, avait été condamné en avril 2023 à 25 ans de prison pour "trahison" et diffusion de "fausses informations" sur le conflit en Ukraine. Selon plusieurs médias d'investigation, dont Bellingcat et Der Spiegel, les services secrets russes sont impliqués dans deux empoisonnements qu'il a subis en 2015 et 2017. Il ne s'en est jamais totalement remis et souffre d'une pathologie neuromusculaire. Il a été honoré en mai par le jury du prix Pulitzer, pour "ses articles passionnés écrits au péril de sa vie depuis sa cellule de prison".

D'autres opposants, notamment à la guerre en Ukraine. Militant actif dans l'opposition libérale en Russie depuis les années 2000, Ilia Iachine, 41 ans, avait été condamné fin 2022 en Russie à huit ans et demi de prison pour avoir dénoncé des crimes imputés à Moscou en Ukraine, notamment dans la ville ukrainienne de Boutcha. Oleg Orlov, 71 ans, figure de la défense des droits humains, avait également été condamné fin février à deux ans et demi de prison pour des dénonciations répétées de l'offensive russe en Ukraine. Son état de santé en détention inquiétait ses proches. Arrêté en Russie en 2021, l'opposant russe Andreï Pivovarov, 42 ans, avait été condamné un an plus tard à quatre ans de prison pour avoir milité pour une organisation interdite, Otkritaïa Rossia (Russie ouverte), liée à l'ex-oligarque et opposant exilé Mikhaïl Khodorkovski. 

Du côté des Russes, des espions et des hackers

L'agent du FSB Vadim Krassikov, condamné pour meurtre. Cet homme, accusé d'avoir été recruté par le FSB (les services secrets russes), avait été condamné le 15 décembre 2021 à Berlin à la réclusion à perpétuité pour le meurtre d'un Géorgien issu de la minorité tchétchène, qui avait combattu contre les forces russes entre 2000 et 2004. Face aux critiques suscitées par sa libération, le chancelier allemand Scholz a répondu que cette décision avait été "difficile" mais qu'elle avait "sauvé des vies". Le porte-parole de la présidence russe a confirmé vendredi l'appartenance au FSB. "Il a servi dans Alfa", une unité d'élite du FSB, "avec plusieurs employés du service de sécurité" de Vladimir Poutine, a déclaré Dmitri Peskov.

Un couple d'espions présumés et leurs enfants. Ces deux agents présumés des services de renseignement extérieur russes étaient arrivés en Slovénie en 2017 avec des passeports argentins, sous les noms de Ludwig Gisch et de Maria Rosa Mayer Munos. Ils vivaient dans la capitale Ljubljana avec leurs deux enfants avant leur arrestation en décembre 2022. Un scénario digne de la série The Americans. Ils ont plaidé coupable et été condamnés mercredi par la justice slovène à plus d'un an et demi de prison pour "espionnage et falsification de documents", une peine équivalente au temps déjà passé en détention. Ils ont finalement pu regagner le sol russe. Les enfants du couple ignoraient jusqu'alors qu'ils étaient russes et "ne parlent pas russe", a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, vendredi.

Trois autres hommes accusés d'espionnage. Arrêté par les services de renseignement polonais près de la frontière ukrainienne, le 28 février 2022, Pavel Roubtsov avait été accusé d'être un espion de Moscou. Il a également la nationalité espagnole, sous le nom de Pablo González, et travaillait comme journaliste pour le média en ligne Público et la télévision La Sexta. Arrêté en octobre 2022 par la police norvégienne, Mikhaïl Mikouchine, lui, se faisait passer pour un Brésilien d'une trentaine d'années répondant au nom de José Assis Giammaria – même si, selon les médias norvégiens, il ne parle pas portugais. Cet homme de 46 ans avait été admis l'année précédente comme chercheur au sein de l'université de Tromsø, où il travaillait sur la politique de la Norvège dans le Grand Nord et les menaces hybrides. Selon un chercheur du site d'investigation Bellingcat, il était en réalité un colonel du renseignement militaire russe. Interpellé en Estonie, le Russe Vadim Konechtchenok avait pour sa part été extradé en juillet 2023 aux Etats-Unis. Il était soupçonné par la justice américaine d'avoir des liens avec le FSB et d'avoir fourni au secteur de la défense russe des technologies et munitions venant d'entreprises américaines.

Deux hackers extradés aux Etats-Unis. Arrêté en 2014 aux Maldives, puis transféré aux Etats-Unis, le hacker Roman Seleznev avait été condamné en 2017 à 27 ans de prison pour des fraudes à la carte bancaire dont le préjudice avait été estimé, par Washington, à plus de 169 millions de dollars. L'homme d'affaires russe Vladislav Kliouchine avait lui été arrêté en Suisse en 2021, puis extradé aux Etats-Unis. Il y avait été condamné en septembre 2023 par un tribunal de Boston à neuf ans de prison pour sa participation à des vols massifs de données informatiques confidentielles à des entreprises américaines.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.