Quatre questions sur les élections locales et régionales en Russie
Après un été de manifestations durement réprimées, les Russes se rendent aux urnes pour élire leurs représentants locaux et régionaux.
C'est la fin d'une campagne rythmée par les manifestations et les opérations de répression judiciaire. Les Russes élisent, dimanche 8 septembre, seize gouverneurs régionaux et les parlementaires locaux de treize régions, dont la Crimée, péninsule ukrainienne annexée par la Russie en 2014.
A Moscou, où 45 députés doivent être élus, des manifestations ont eu lieu presque chaque week-end depuis la mi-juillet pour protester contre l'éviction de candidats de l'opposition à l'élection du Parlement local. Pour la plupart non autorisées, elles ont donné lieu à près de 2 700 interpellations. Du jamais-vu depuis la vague de protestations de l'hiver 2011-2012 ayant précédé le retour de Vladimir Poutine à la présidence, après son mandat de Premier ministre. Dans ce contexte tendu, voilà ce qu'il faut savoir sur ces élections, qui risquent d'être déterminantes dans l'avenir de la Russie.
1Dans quel contexte interviennent ces élections ?
Ces élections interviennent alors que la Russie, et plus particulièrement la capitale, ont été le théâtre de gigantesques rassemblements tout au long de l'été. Ils ont réuni chaque week-end plusieurs dizaines de milliers de manifestants, dont le mot d'ordre était "La Russie sera libre !" En parallèle, pratiquement tous les candidats d'opposition voulant participer au scrutin moscovite ont été brièvement emprisonnés par les autorités. Plusieurs manifestants ont également écopé de lourdes peines, allant jusqu'à quatre ans de prison.
Les autorités russes ont par ailleurs invalidé l’enregistrement d’une soixantaine de candidats à l'élection du Parlement de Moscou pour des vices de forme ou des irrégularités. Selon la loi, les candidats indépendants sont censés recueillir le soutien d'au moins 3% de leurs électeurs potentiels pour avoir le droit de concourir. "Le problème, c'est que très souvent, la commission électorale a invalidé ces démarches selon des motifs assez fantaisistes, voire en dégradant les documents pour interdire les candidatures d'opposants", rappelait le 20 juillet à franceinfo Clémentine Fauconnier, docteure en sciences politiques à Sciences-Po Paris et spécialiste des élections en Russie. "C'est un classique du 'système Poutine' depuis les années 2000 : les pouvoirs publics mettent des bâtons administratifs dans les roues de l'opposition", ajoutait-elle.
Selon Tatiana Stanovaïa, cheffe du bureau d'analyses R.Politik citée par l'AFP, la campagne électorale a mis en lumière l'écart croissant entre les autorités soucieuses de préserver le statu quo et les Russes demandant du changement politique. "Les élections parlementaires de Moscou interrogent sur la capacité des autorités à accepter cette nouvelle réalité".
2Quels sont les enjeux pour le parti au pouvoir ?
Face aux contestations massives, l'objectif des autorités est évidemment de garder la majorité. "En 2012, déjà, les élections intermédiaires ont été remportées grâce à une forte abstention. L'inquiétude pour la majorité, c'est d'avoir cette année un taux de participation bien plus important qui jouerait en sa défaveur", expliquait Clémentine Fauconnier il y a quelques semaines.
Les regards sont braqués vers le Parlement de Moscou, actuellement dominé par le parti au pouvoir, Russie unie, et qui ne s'oppose jamais aux politiques du maire pro-Kremlin, Sergueï Sobianine. Quarante-cinq députés doivent être élus. Pas un seul candidat ne se présente toutefois officiellement sous les couleurs du parti, dont la popularité a atteint un score historiquement bas. Il subsiste un décalage important entre le soutien à Vladimir Poutine, qui reste apprécié, et celui à son parti. "Ce grand écart se fait notamment sentir lors des élections intermédiaires, qui deviennent paradoxalement bien plus dangereuses pour la majorité que la présidentielle", analysait Clémentine Fauconnier pour franceinfo.
3Et pour les opposants ?
Si les opposants n'espèrent pas obtenir de majorité, l'objectif est véritablement de réduire le plus possible l'écart avec le pouvoir en place. L'ex-oligarque en exil Mikhaïl Khodorkovski a appelé les Moscovites à ne voter que pour ceux qui condamnent la répression politique. De son côté, l'opposant Alexeï Navalny voit plus large et a appelé à "voter intelligent", en soutenant ceux qui sont les mieux placés pour battre les candidats affiliés au pouvoir.
Le "vote intelligent" est "un vote de protestation contre les candidats du parti au pouvoir, des fainéants, des voleurs et des escrocs qui ne travaillent pas dans l'intérêt du peuple", a abondé sur Twitter Lioubov Sobol, alliée d'Alexeï Navalny, qui a observé une grève de la faim d'un mois après avoir été exclue des élections. D'autres appellent au boycott. C'est le cas d'Ilya Azar, journaliste et élu municipal engagé dans la contestation, citée par Libération : "Je ne me sens pas capable d'aller voter comme si de rien n'était pour donner ma voix à un candidat que l'on aura généreusement autorisé à participer."
4A quoi faut-il s'attendre ?
Difficile à dire pour le moment. Cela dépendra surtout de la conduite adoptée par les différentes franges de l'opposition. Lors de l'élection présidentielle de 2018, Alexeï Navalny, interdit de participation, avait appelé au boycott alors que l’opposant historique Grigory Yavlinsky avait maintenu sa participation, tout comme la présentatrice de télévision Ksenia Sobtchak. Ces déchirements avaient conduit à la réélection triomphale et sans surprise de Vladimir Poutine.
Selon des experts, le mécontentement des Russes ne se traduira pas forcément par un vote de protestation à grande échelle, mais de nouvelles manifestations sont probables. "La situation devient inflammable, selon l'analyste Tatiana Stanovaïa. Il n'y a qu'à craquer une allumette."
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