Offensive en Syrie : jihadistes, rebelles... Qui sont les groupes armés qui s'attaquent au régime de Bachar al-Assad ?

Article rédigé par Zoé Aucaigne
France Télévisions
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Des rebelles au régime syrien atteignent l'autoroute près de la ville d'Azaz, dans le nord de la Syrie, le 1er décembre 2024. (RAMI AL SAYED / AFP)
Le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham, anciennement affilié à Al-Qaïda, est à l'origine de l'attaque dans le nord-ouest de la Syrie. Ces jihadistes ont été épaulés par des combattants hostiles au régime.

C'est un revers cinglant pour Bachar al-Assad. En trois jours seulement, jihadistes et rebelles se sont emparés d'Alep, la deuxième ville de Syrie, à l'issue d'une offensive lancée mercredi 27 novembre, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). C'est la première fois depuis le début de la guerre en 2011 que la citadelle échappe aux mains du régime.

En réponse, l'armée syrienne et son alliée russe ont effectué, d'après Damas, des bombardements aériens contre "des positions, des dépôts et des lignes d'approvisionnement des terroristes" dans le nord-ouest de la Syrie, où les groupes armés continuent de gagner du terrain. Ils ont conquis des dizaines de localités initialement contrôlées par les autorités syriennes, selon l'OSDH.

Le HTS, des islamistes jadis liés à Al-Qaïda

Derrière cette incursion, qui a fait plus de 514 morts d'après un bilan provisoire de l'OSDH, et près de 50 000 déplacés selon l'ONU, se trouvent les jihadistes du Hayat Tahrir al-Sham (HTS) – "Organisation pour la libération du Levant" en français. "Ce sont eux qui ont pris l'initiative de l'offensive", observe Adel Bakawan, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Cette organisation est dirigée par Abou Mohammed al-Joulani, l'ancien chef du Front al-Nosra, organisation fondée en 2011, considérée comme la branche syrienne d'Al-Qaïda et classée "terroriste" par Washington. 

En 2016, le Front al-Nosra, alors "en quête de normalisation et d'acceptation sur la scène syrienne", comme le rappelle Adel Bakawan, décide de couper les ponts avec Al-Qaïda. Abou Mohammed al-Joulani dissout alors le Front al-Nosra pour créer une nouvelle organisation. L'alliance entre plusieurs groupes islamistes donne naissance au HTS en 2017. "Son objectif est de se cantonner à un jihad local et pas international. L'élément syrien est central dans son discours", explique Bayram Balci, chercheur au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris. 

Concernant leur idéologie, "ils sont rigoristes et islamistes, mais ce ne sont pas des jihadistes dans le sens d'Al-Qaïda ou du groupe Etat islamique", précise à franceinfo le journaliste Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes. "Ce sont des ennemis déclarés du groupe Etat islamique. Leurs prisons sont pleines de sympathisants" de cette organisation, ajoute-t-il. En 2018, le HTS comptait entre 12 000 et 15 000 membres, d'après le Centre d'études stratégiques et internationales, un institut de recherche américain. 

Des groupes implantés à Idleb

Aux côtés des jihadistes du HTS, des rebelles au régime syrien ont également pris les armes. "Il y a des membres de l'Armée nationale syrienne et d'autres groupes rebelles plus modérés, certains pro-Occident", détaille Adel Bakawan. D'après l'OSDH, "des factions proturques" participent également à l'offensive : les combattants se sont emparés de plusieurs localités, dont Tal Rifaat, et "assiègent environ 200 000 Kurdes syriens"

Ces groupes rebelles sont implantés dans la province d'Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie, où "le HTS a mis en place un mini-Etat, qui fonctionne avec une administration, une armée...", explique Bayram Balci. Le gouvernement "autoproclamé" "s'est doté d'une force de police formée, de programmes de santé et bien plus encore", précise Charles Lister, expert au Middle East Institute, sur X. Dans un rapport (PDF) publié en juillet, l'ONU explique que le HTS "entreprend des initiatives civiles, en introduisant des cartes d'identité (...) et cherche à convaincre les chefs de villages d'accepter volontairement son autorité"

Des personnes manifestent dans la ville de Binnish, dans la province d'Idleb (Syrie), contre Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et son dirigeant, le 8 mars 2024. (OMAR HAJ KADOUR / AFP)

A la différence du groupe Etat islamique, qui a assis son autorité à Raqqa jusqu'en 2017 en insufflant la peur, "le HTS n'a pas mis en pratique des exécutions de masse, d'attaques envers les minorités… Toujours avec l'objectif d'obtenir la reconnaissance des communautés et pour la normalisation de leur situation", avance Adel Bakawan. Malgré ces tentatives, "les manifestations incessantes à Idleb en réponse à la dureté de la gouvernance du HTS et aux arrestations arbitraires peuvent saper l'autorité du HTS parmi les civils", juge l'ONU dans son rapport.

L'ombre de la Turquie derrière l'incursion

Difficile de connaître le degré d'entente entre les différentes factions, selon les observateurs interrogés. "Mais ce qui leur a été fatal à l'époque [de la guerre civile syrienne en 2011], ça a été leur désunion, avance Bayram Balci. Ils ont dû apprendre à travailler ensemble". Le "gouvernement" d'Idleb s'est en tout cas montré uni derrière son chef, Mohammad al-Bachir, qui a affirmé que l'offensive avait été lancée "car le régime criminel avait massé des forces sur les lignes de front et commencé à bombarder les zones civiles".

La Turquie a joué un rôle dans cette union, selon Adel Bakawan. "L'alliance a été coordonnée par Ankara, qui a organisé plusieurs réunions entre les différentes factions", assure le spécialiste. Proche de certains rebelles, le pays a aussi des liens avec le HTS, "qui bénéficie d'aides turques et dont les blessés sont soignés dans des hôpitaux de Turquie", souligne Adel Bakawan. Au point de lui attribuer la responsabilité de l'incursion ? "Ankara n'a pas encouragé les combattants, mais ne les a pas arrêtés non plus", estime Bayram Balci. 

"Ce serait une erreur, à ce stade, d'essayer d'expliquer les événements en Syrie par une quelconque ingérence étrangère", a affirmé, lundi, le ministre des Affaires étrangères turc, Hakan Fidan. Reste que le contexte géopolitique était devenu favorable à la Turquie face au régime, soutenu par l'Iran et la Russie. "L'ordre milicien organisé par Téhéran est à terre à Gaza [avec le Hamas] et au Liban [avec le Hezbollah], tandis que la Russie est préoccupée par ce qu'il se passe en Ukraine", souligne Adel Bakawan. Le président turc, qui tente de rencontrer Bachar al-Assad pour normaliser leurs relations, "est pragmatique : il a saisi l'opportunité pour renverser les rapports de force", conclut-il. 

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