Apologie du terrorisme : on vous résume la polémique autour de la proposition de loi de La France insoumise visant à abroger ce délit

Les députés LFI, qui jugent que la loi existante est "dévoyée", veulent que ce type de propos soit puni par le droit de la presse, comme c'était le cas avant 2014. L'initiative a provoqué un tollé au sein de la classe politique.
Article rédigé par Catherine Fournier - avec AFP
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Temps de lecture : 9min
Le député La France insoumise Ugo Bernalicis salue la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, à l'Assemblée nationale, le 23 octobre 2023. (BERTRAND GUAY / AFP)

Alors que la France s'apprête à commémorer les dix ans des attentats de janvier 2015, début d'une vague d'attaques terroristes dans le pays, la proposition de loi de La France insoumise sur l'apologie du terrorisme ne passe pas. Le député Ugo Bernalicis et ses collègues insoumis, qui ont déposé ce texte mardi 19 novembre, souhaitent abroger ce délit afin de le "remettre" dans le droit de la presse, dont il relevait avant 2014. La loi créant un délit spécifique d'apologie du terrorisme, "dans la manière dont elle est dévoyée aujourd'hui, est une atteinte à la liberté d'expression" et à "l'Etat de droit", a plaidé la présidente du groupe LFI à l'Assemblée, Mathilde Panot, dimanche sur BFMTV. Franceinfo vous résume les enjeux de cette proposition de loi et les réactions qu'elle a suscitées.

La législation avait été renforcée en 2014

Jusqu'alors réprimée dans le cadre du droit de la presse, régi par la loi du 29 juillet 1881, l'apologie du terrorisme en avait été extirpée par une loi de 2014 pour devenir un délit à part entière dans le Code pénal, dans un contexte de recrudescence des départs de jeunes candidats au jihad depuis la France vers la Syrie.

L'objectif était alors de sortir cette infraction d'un régime juridique jugé trop protecteur, conçu avant tout pour préserver la liberté d'expression. La peine encourue est restée de cinq ans de prison, mais l'amende maximale est passée de 45 000 euros à 75 000 euros. Et les sanctions ont été renforcées quand les propos visés étaient tenus sur internet, jusqu'à sept ans et 100 000 euros d'amende. "La définition du délit n'a pas changé, mais c'est devenu une infraction de droit commun. Cela a changé le régime de poursuites", souligne auprès de l'AFP Christophe Bigot, avocat spécialiste du droit de la presse. Le délai de prescription a ainsi été allongé, de nouvelles techniques ont été autorisées lors des enquêtes et les mis en cause ont pu être jugés par davantage de juridictions, y compris en comparution immédiate, dans la foulée de leur garde à vue.

A l'époque, la Commission consultative des droits de l'homme s'était opposée à cette dernière évolution, arguant que "certaines procédures d'urgence" n'étaient "pas adaptées au contentieux des abus de la liberté d'expression, dont la complexité et les valeurs en jeu imposent un traitement ferme, mais mesuré". Lors du débat à l'Assemblée nationale, cette disposition avait d'ailleurs été contestée par plusieurs députés socialistes et écologistes, mais aussi quelques élus de l'UMP. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, le socialiste Bernard Cazeneuve, avait alors défendu une loi "nécessaire" face à la "stratégie médiatique" des groupes jihadistes. Le Conseil constitutionnel lui avait donné raison en mai 2018.

La France insoumise dénonce une dérive dans le recours à cette infraction

Aujourd'hui, les insoumis pointent des dérives liées à ce changement de régime de l'apologie du terrorisme. "Quelle démocratie peut encore conserver son nom lorsque les méthodes de l'antiterrorisme sont utilisées pour réprimer des militants politiques, des militants associatifs, des journalistes ou encore des syndicalistes ?", s'interrogent-ils dans l'exposé des motifs de leur proposition de loi. Et de citer, parmi les exemples, le cas de Mathilde Panot elle-même, entendue en avril par la police au sujet d'un communiqué publié par son groupe le 7 octobre 2023. L'attaque du Hamas en Israël y était décrite comme "une offensive armée de forces palestiniennes" dans un "contexte d'intensification de la politique d'occupation israélienne" de territoires palestiniens.

Cette proposition de loi n'a toutefois "rien à voir avec nos intérêts personnels", a assuré dimanche Mathilde Panot. "Je trouve incroyable qu'on explique partout que nous sommes en train d'abroger le délit d'apologie du terrorisme. Nous sommes en train de le remettre au bon endroit. (...) Le seul intérêt que nous avons dans cette question, c'est de faire l'apologie de l'Etat de droit", a assuré la cheffe de file des députés LFI sur BFMTV.

Concrètement, le texte déposé par les députés LFI mardi, s'il était adopté, supprimerait du Code pénal l'article qui définit comme des délits l’apologie du terrorisme, mais aussi la provocation à la commission d’actes terroristes. De tels propos relèveraient toujours du délit d'apologie de crime, de crime de guerre ou de crime contre l'humanité, dans le cadre de la loi sur la liberté de la presse.

Les réactions sont vives, à droite comme à gauche

Cette initiative a suscité un tollé au sein de la classe politique, y compris à gauche. Dans un message cinglant posté sur X, samedi, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a jugé que la définition du délit d'apologie du terrorisme demandait "seulement à être précisée pour en éviter les dérives". "Il est impératif de protéger les libertés publiques, mais aussi de protéger les Français du fanatisme et des appels à la violence et la haine", a-t-il ajouté. "Nous ne soutenons pas" la proposition de loi de LFI, a confirmé le lendemain sur franceinfo le chef des députés socialistes, Boris Vallaud. "Dans un pays comme le nôtre, qui a été endeuillé régulièrement par le terrorisme, la répression pénale de la provocation et de l'apologie est nécessaire à la lutte contre le terrorisme lui-même."

Au gouvernement, le ministre de la Justice Didier Migaud, ancien du PS, s'est dit "extrêmement choqué" et "résolument contre" cette proposition de loi. "Je ne comprends pas qu'on puisse baisser la garde devant la menace du terrorisme qui est aujourd'hui très présente", a-t-il déclaré lundi sur France 2 . "C'est ignoble, ça doit être combattu avec la plus grande force. (....) La liberté d'expression n'a jamais tout permis, il y a des limites à cette liberté d'expression." Toujours au sein de l'exécutif, mais à droite, le secrétaire d'Etat chargé de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations, Othman Nasrou, a pour sa part parlé de "honte absolue" sur franceinfo.

"Cette proposition de loi est indigne, c'est une insulte à toutes les victimes du terrorisme."

Othman Nasrou, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur

sur franceinfo

Son ministre de tutelle, Bruno Retailleau, a ajouté sa voix au concert de critiques, évoquant une proposition "innommable". "J'appelle vraiment ceux qui sont de gauche, (...) ceux qui ont encore une conscience politique, ceux qui tiennent à la République, (...) à se dissocier définitivement des insoumis" a déclaré le ministre de l'Intérieur juste après un discours devant la convention annuelle du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif).

Chez les macronistes, Gabriel Attal, président du groupe EPR à l'Assemblée, appelle lui aussi le reste de la gauche à se "désolidariser clairement" de LFI. "Je me souviens que c'est la gauche républicaine qui avait proposé et fait voter en 2014 ce texte qui protégeait la sécurité des Français et préservait donc leur liberté. En plein procès de l'assassinat de Samuel Paty, la proposition de loi de la France insoumise est une insulte et une tache indélébile sur ceux qui la portent", écrit-il dans un courrier adressé à ses homologues socialiste, écologiste et communiste.

Avocat historique de Charlie Hebdo, Richard Malka a qualifié lundi sur franceinfo ce projet d'"aberration". S'il ne conteste pas qu'il puisse exister "des plaintes abusives ou infondées" au nom de l'apologie du terrorisme, il estime que "les juges sont là pour juger" : "Si l'on retire du Code pénal tous les délits pour lesquels parfois des parties civiles déposent des plaintes infondées, alors il n'y a plus de Code pénal, on n'est plus dans un État de droit", a-t-il estimé. "C'est une insulte à la mémoire des victimes de tous les attentats qui ont ensanglanté la France. Face au terrorisme, la République doit rester ferme et unie", a pour sa part réagi le Crif.

Face aux critiques, le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon a défendu l'initiative et dénoncé sur X, samedi, "une nouvelle agression contre LFI venue de l'extrême droite et servilement reprise par l'officialité médiatico-politique". La proposition de loi n'a, pour l'heure, pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, y compris lors de la niche parlementaire réservée au groupe insoumis jeudi. LFI y déploiera en effet son texte phare : la proposition d'abolition de la réforme des retraites.

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