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Turquie : ce que l'on sait sur la détention du journaliste français Loup Bureau

Le journaliste a été interpellé au poste-frontière de Habur entre l'Irak et la Turquie et emprisonné pour ses liens avec un groupe armé jugé terroriste par l'Etat turc.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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Capture écran de la photo de profil Facebook du journaliste français Loup Bureau, incarcéré en Turquie. (FACEBOOK / FRANCEINFO)

Un journaliste de plus incarcéré en Turquie. Loup Bureau, 27 ans, a été interpellé la semaine dernière à la frontière entre la Turquie et l'Irak, à proximité de la Syrie. Soupçonné d'"appartenance à un groupe terroriste", selon un de ses avocats joint par franceinfo, le Français a été mis en examen puis placé en détention, mardi 1er août. Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait de son interpellation.

Qui est Loup Bureau ?

Loup Bureau est un journaliste français indépendant, qui se présente sur Twitter comme un "étudiant en journalisme", mais qui a déjà réalisé plusieurs reportages en zone de conflit et qui a notamment collaboré avec la chaîne française TV5 Monde.

Agé de 27 ans, Loup Bureau a grandi à Orvault (Loire-Atlantique) avant de faire un BTS audiovisuel à Montaigu (Vendée), rapporte France 3 Pays de la Loire. Il a ensuite étudié en licence pro Journalisme à l'Université de Lannion (Côtes-d'Armor), "en 2011/2012, en spécialité TV", indique à franceinfo Olivier Trédan, responsable de cette même licence depuis 2015. Formé également à Bruxelles, Loup Bureau a contribué à la rédaction d'un reportage sur la place Tahrir, en Egypte, pour le site Slate.fr, en 2013. Il s'est également rendu dans l'est de l'Ukraine et au Pakistan pour des reportages. 

Dans quelles circonstances a-t-il été arrêté?

Loup Bureau a été arrêté la semaine dernière, alors qu'il entrait en Turquie, au point de passage de Habur, à la frontière avec l'Irak. Après avoir passé cinq jours en garde à vue, le journaliste a été incarcéré mardi, à Sirnak, ville à majorité kurde dans le sud-est de la Turquie. A l'issue d'une première audience au tribunal, son incarcération a été décidée pour une durée de "sept jours", rapporte Le Monde. Le jeune reporter est soupçonné d'activités "terroristes", en lien avec des combattants kurdes de Syrie, ont indiqué, mercredi 2 août, des sources judiciaires à l'AFP. 

Selon une source sécuritaire citée par l'agence de presse progouvernementale Anadolu, il a été arrêté après que des photos le montrant en compagnie de combattants kurdes syriens des YPG, ont été trouvées en sa possession. Sur son profil Facebook, une photo de Loup Bureau, publiée en mode "public" le montre aux côtés de combattants de YPG. 

"Contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse, ce n’est pas cette photo qui est mentionnée dans l’acte d’accusation visant Loup Bureau, mais seulement le reportage", explique Me Martin Pradel, l'un des avocats de Loup Bureau, interviewé par Le Monde. Le reportage en question date d'il y a trois ans. Diffusé par TV5 Monde et visible sur la chaîne Vimeo de Loup Bureau, il porte sur les miliciens kurdes des YPG qui luttent contre l'EI au nord de la Syrie.

Reportage au Kurdistan Syrien from Loup Bureau on Vimeo.

"Parmi les éléments qu’on lui reproche, il y aurait ce reportage réalisé en 2013 au Kurdistan syrien documentant l’offensive kurde contre Daech. C’est malheureusement quelque chose de courant, voire de systématique en Turquie, d’être accusé de terrorisme, lorsque l’on s’attache à ce genre de sujets", a déploré Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est-Asie centrale de Reporters sans frontières (RSF), jeudi 3 août, sur franceinfo.

Alors que les Etats-Unis soutiennent les YPG dans leur lutte contre le groupe Etat islamique (EI), Ankara considère ces groupes armés comme une extension des séparatistes kurdes de Turquie (PKK). Le YPG et le PKK sont considérés comme des organisations "terroristes" par la Turquie, qui les combat militairement.

Quelles sont les réactions à cet emprisonnement ?

En France, les réactions d'indignation se sont multipliées depuis l'annonce de l'emprisonnement de Loup Bureau. "On lui reproche d’avoir essayé de faire son travail, d’avoir couvert la question kurde qui est une question majeure au Proche-Orient ", a réagi, jeudi 3 août, Johann Bihr, au micro de franceinfo.

Dénonçant "une volonté d'intimidation" des journalistes de la part des pouvoirs turcs, et demandant à ces derniers de "remettre (Loup Bureau) en liberté au plus vite", le représentant de RSF a rappelé que "la Turquie est la plus grande prison du monde pour les journalistes, avec plus de 100 confrères derrière les barreaux". Très inquiet pour le sort de Loup Bureau, il a aussi appelé l’Union européenne et ses pays membres à adopter "une attitude beaucoup plus ferme et beaucoup plus claire sur la répression à laquelle on assiste en Turquie".

Les autorités françaises suivent "avec la plus grande attention la situation" de Loup Bureau, a par ailleurs indiqué le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères à Reuters, jeudi 3 août. "L’ambassade de France à Ankara est en contact avec les autorités locales, afin de pouvoir exercer au plus vite la protection consulaire", a précisé le parole du ministère.

Loup Bureau n'est pas le premier journaliste à être inquiété par le régime du président turc Recep Tayyip Erdogan. En mai 2017, le photojournaliste français Mathias Depardon, installé à Istanbul depuis cinq ans, a été arrêté et détenu en Turquie, soupçonné par les autorités turques d'avoir fait de la "propagande terroriste" pour le PKK, avant d'être libéré puis expulsé du pays. En novembre 2016, Olivier Bertrand, en reportage à Gaziantep pour le site Les Jours, a été détenu plusieurs jours avant d'être libéré puis expulsé de Turquie.

Mais "cette fois, la situation est bien plus alarmante : Loup Bureau est inculpé. Il est formellement mis en cause par les autorités turques qui emprisonnent en masse les journalistes qui souhaitent faire preuve d’indépendance en parlant de la guerre que mène la Turquie à sa frontière syrienne", s'alarme Me Martin Pradel, l'un des avocats de Loup Bureau, interviewé par Le Monde. Il rapporte qu'un avocat a été mandaté sur place pour réclamer la libération de son client lors d'une prochaine audience.

Sur Twitter, de nombreux journalistes et notamment des diplômés de l'IUT de Lannion, ont également exprimé leur indignation après l'incarcération du jeune reporter.

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