Etats-Unis : pourquoi la Californie fait face aux incendies les plus meurtriers de son histoire
Les incendies qui ravagent le nord et le sud de la Californie ont fait au moins 59 morts, selon un dernier bilan réalisé mercredi. Des vents violents et secs, une rapidité sans précédent du feu, les spécificités de la Californie expliquent ce lourd bilan humain.
"C'est l'incendie de forêt le plus meurtrier de l'histoire" de la Californie, a déclaré lundi 12 novembre le shérif du comté de Butte, en communiquant un nouveau bilan humain. Au moins 59 personnes ont péri dans les feux qui ravagent des dizaines de milliers d'hectares dans cet Etat américain, selon un dernier bilan communiqué mercredi 14 novembre. Les autorités accentuent leurs efforts pour retrouver la trace des 130 personnes toujours portées disparues, surtout des personnes âgées originaires de Paradise, ville prisée des retraités et presque entièrement détruite par l'incendie.
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Alimenté par des vents violents, le feu baptisé "Camp Fire", qui ravage le nord de la Californie, au pied des montagnes de la Sierra Nevada, a démarré jeudi. Le "Camp Fire" a donc désormais fauché plus de vies que le "Griffith Park Fire" (29 morts dans les environs de Los Angeles en 1933). Parallèlement, les pompiers doivent faire face à l'incendie "Woolsey Fire", dans le sud de l'Etat, qui a fait deux morts et déplacé quelque 200 000 personnes dans les environs de Malibu, à l'ouest de Los Angeles.
Comment expliquer un bilan si lourd ? Eléments de réponse.
Des conditions météo favorables
Ce feu violent qui se propage depuis une semaine est favorisé par des conditions climatiques particulières. La sécheresse sévit en effet depuis plusieurs années sur ce grand Etat de l'ouest des Etats-Unis et aucune pluie n'est attendue avant la semaine prochaine au moins, selon les services météorologiques. Les sols secs combinés à un terrain difficile compliquent la tâche des soldats du feu, venus de tout le pays.
Le travail des pompiers est d'autant plus difficile que les vents de Santa Ana, chauds et secs, venus de l'intérieur des terres, soufflaient ainsi à plus de 50 km/h sur le brasier Woolsey Fire, a indiqué Cal Fire dans la matinée. Ce «vent du diable», comme l'a surnommé un membre du Service météorologique national de College Park, dans le Maryland, cité par Reuters, est notamment issu de masses d'air traversant les déserts de l'ouest des États-Unis, dont la vallée de la Mort.
Un feu qui se propage à une vitesse extrêmement rapide
"Il y a dix ou vingt ans, vous restiez dans vos maisons quand il y avait un incendie et vous étiez capables de les protéger", a constaté Mark Lawrenson, le chef des pompiers du comté de Ventura, voisin du comté de Los Angeles, lors d'une conférence de presse. Désormais, les autorités californiennes mettent en garde contre une propagation des incendies plus rapide que par le passé. "Les choses ne sont plus ce qu'elles étaient. Le taux de propagation est exponentiellement supérieur à ce qu'il était. Je vous en prie, tenez compte des ordres d'évacuation. Ne restez pas chez vous", a ainsi imploré Mark Lawrenson.
"Ce n'est pas une nouvelle normalité, c'est une nouvelle anormalité. Et cette nouvelle anormalité va se poursuivre, sans doute dans les dix à quinze ou vingt ans", a estimé de son côté le gouverneur de Californie, Jerry Brown, lors d'une conférence de presse.
Malheureusement, la meilleure science nous dit que la sécheresse, la chaleur, toutes ces choses vont s'intensifier.
Jerry Brown, gouverneur de Californie
A Paradise, ville ravagée par les flammes, à 160 km au nord de Sacramento, les habitants ont eu très peu de temps pour fuir. Les flammes attisées par de violentes rafales ont rapidement recouvert les routes. "On a eu moins d'une heure pour s'enfuir, témoigne Don, un habitant, auprès de franceinfo. Quand on est descendus de la colline, il y avait des flammes tout autour de la voiture." Il ajoute : "Le feu sautait par-dessus le toit du véhicule. On était la dernière voiture à passer. Nous, on a eu de la chance." Certains décrivent aussi des "murs de flammes". Plusieurs personnes ont été piégées dans leur véhicule alors qu'elles tentaient de s'enfuir.
Toutes ces conditions créent des sortes de "méga feux". Ces incendies gigantesques deviennent des tourbillons de chaleur, susceptibles d'envoyer des particules incandescentes ou de revenir sur leur trajectoire. Une difficulté de plus pour les pompiers. Lundi, le "Camp Fire" n'était toujours contenu qu'à 25%, mais il a ravagé 4 500 hectares du comté de Butte, une zone où il n'est pas tombé plus d'un centimètre d'eau depuis plus de trente semaines.
Une végétation propice aux incendies
Aux vents violents – et particulièrement chauds – s'ajoutent la sécheresse qui sévit en Californie, le climat méditerranéen qui y règne et une végétation particulière. En effet, l'Etat est parsemé de gigantesques forêts qui constituent de véritables poudrières. La sécheresse de ces dernières années y a laissé des traces : "102 millions d'arbres morts", dénombre Scott McLean, porte-parole du département californien des forêts et de la protection contre les incendies, auprès de CNN (en anglais). Le taux d'humidité du bois est également bien plus faible que la moyenne.
A côté de ces vastes forêts, la Californie possède une végétation prête à s'enflammer. On la retrouve sur la chaîne côtière autour de Los Angeles et San Diego, qui est couverte de chaparral, l'équivalent du maquis ou de la garrigue en France. "C'est une végétation très fine, composée de buissons et d'herbes qui sèchent extrêmement vite", explique Thomas Curt, directeur de recherche à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), à franceinfo. Un écosystème qui favorise une combustion rapide : "Le chaparral dégage des huiles essentielles qui font que quand ça chauffe, ça s'enflamme très vite", ajoute Thomas Curt.
Samedi, dans un tweet, Donald Trump a jugé que la cause de ces incendies était la gestion des forêts et a menacé de supprimer les subventions fédérales si elle n'était pas améliorée.
There is no reason for these massive, deadly and costly forest fires in California except that forest management is so poor. Billions of dollars are given each year, with so many lives lost, all because of gross mismanagement of the forests. Remedy now, or no more Fed payments!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 10 novembre 2018
Ce tweet est "mal informé, inopportun et humiliant pour tous ceux qui souffrent aussi bien que pour les hommes et les femmes sur la ligne de front", a réagi Brian Rice, chef du syndicat des pompiers californiens, en qualifiant de "dangereusement fausse" l'affirmation selon laquelle les forêts seraient mal gérées. Mais dimanche, le président américain a récidivé, dans un tweet : "Avec une gestion adéquate de la forêt, nous pouvons stopper la dévastation qui frappe constamment la Californie. Soyez malins !"
With proper Forest Management, we can stop the devastation constantly going on in California. Get Smart!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 11 novembre 2018
Ces accusations ont été balayées par différents experts. D'une part, les incendies actuels concernent des zones urbaines où la gestion forestière ne saurait être mise en cause. D'autre part, certains observateurs y voient l'occasion pour Donald Trump de s'en prendre à l'Etat de Californie, "dont les valeurs et la politique sont aux antipodes du projet du président américain", souligne le Huff Post. En outre, une polémique oppose depuis des années défenseurs de l'environnement et industrie du bois : les premiers soupçonnent l'administration Trump d'autoriser une déforestation des forêts californiennes qui se trouvent sur des terres publiques, rapporte Le Monde (article abonnés).
Le cas spécifique de la ville de Paradise
La ville de Paradise, localité de 27 000 habitants au nord de Sacramento, a été littéralement rayée de la carte, laissant place à des paysages de désolation. Plus de 6 000 bâtiments ont été détruits – dont un hôpital et des maisons – et nombre de victimes des incendies sont originaires de cette ville. De nombreux retraités et des personnes modestes vivent à Paradise, rapporte Grégory Philipps, envoyé spécial de franceinfo sur place. Des personnes moins mobiles, qui n'avaient pas forcément de voiture et qui ont eu plus de mal à fuir les flammes.
Auprès du journaliste, Don, un septuagénaire qui vit à Paradise, redoute un lourd bilan. "Il y aura beaucoup plus de morts. Certains ont pu s'en sortir, pas d'autres : sans voiture, il était impossible de s'échapper. J'ai vu des gens sortir de leur véhicule et se mettre à courir paniqués sur la route."
"Paradise s'était bien préparée pour ce genre d'urgence, mais ce feu était sans précédent, irrésistible, et beaucoup de gens se sont retrouvés pris" malgré les ordres d'évacuation, a déclaré le gouverneur démocrate de Californie, Jerry Brown, venu à la rencontre des secours et des sinistrés de la région.
Les causes exactes des départs de feu n'ont pas encore été identifiées. Mais plusieurs victimes ont lancé une action en justice à San Francisco contre le fournisseur local d'électricité Pacific Gas & Electricity (PG&E). Selon la plainte de l'avocat Mike Danko, qui représente 20 victimes du "Camp Fire", l'incendie aurait été causé par des "étincelles" sur une ligne à haute tension de la société. Une porte-parole de PG&E a démenti toute responsabilité de la compagnie d'électricité.
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