Canal de Panama, Groenland, Canada... On vous explique ce qui se cache derrière les velléités expansionnistes de Donald Trump

Article rédigé par Chloé Ferreux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Donald Trump s'adresse aux médias lors d'une conférence de presse, à Mar-a-Lago (Floride), le 7 janvier 2025. (SCOTT OLSON / AFP)
A quelques jours de son investiture, le milliardaire s'est dit prêt à employer la force militaire au Groenland ou au Panama. Il a aussi évoqué des pressions économiques pour pousser le Canada à devenir le 51e Etat américain, suscitant l'indignation sur la scène internationale.

Donald Trump persiste dans ses ambitions territoriales. Lors d'une conférence de presse le 7 janvier depuis sa résidence de Mar-a-Lago (Floride), le président élu des Etats-Unis a réitéré sa volonté de faire du Canada le 51e Etat américain, ainsi que d'annexer le canal de Panama et le Groenland, en recourant à la force si nécessaire. Une rhétorique "dramatique" suivie "de très près" par la Russie et l'UE, où la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a appelé au respect de la souveraineté du Danemark au Groenland. Le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, avait affirmé la veille qu'il n'était "pas question" que l'UE laisse des pays "s'en prendre à ses frontières souveraines".

Pour le chercheur Pierre-Alexandre Beylier, spécialiste des civilisations nord-américaines, la prise de position du milliardaire républicain reflète surtout sa volonté de faire passer l'Amérique en premier, une stratégie baptisée "America First", où les intérêts stratégiques et économiques des Etats-Unis priment. Cette tactique annonce-t-elle de nouveaux bouleversements sur la scène internationale ? Franceinfo fait le point sur les menaces expansionnistes du futur président américain.

Au Canada, une frontière à contrôler

Depuis sa réélection à la Maison Blanche, Donald Trump multiplie les attaques contre le Canada, dénonçant notamment un pays dont la sécurité est "subventionnée" par les Etats-Unis. Souhaitant que le pays devienne le 51e Etat américain, le président américain a notamment qualifié Justin Trudeau, encore Premier ministre à ce moment-là, de "gouverneur" sur son réseau Truth Social. Peu après l'annonce de sa démission, le milliardaire a réagi en publiant une carte des Etats-Unis englobant son immense voisin du nord.

"Jamais, au grand jamais, le Canada ne fera partie des Etats-Unis", a alors rétorqué Justin Trudeau sur le réseau social X. Pour l'ancien diplomate Jeff Hawkins, chercheur associé au Centre de recherches internationales (Ceri), "c'est une façon de taquiner et d'affaiblir Justin Trudeau en le traitant de subalterne".

Lors de sa conférence de presse, Donald Trump a toutefois affirmé qu'il était prêt à recourir à la "force économique" afin de convaincre son voisin d'intégrer les Etats-Unis. Cette annonce pourrait sérieusement déstabiliser le Canada, selon Jeff Hawkins, car "les Etats-Unis représentent leur plus grand marché".

"Imposer des tarifs douaniers représente un vrai risque pour l'économie canadienne."

Jeff Hawkins, chercheur associé au Centre de recherches internationales

à franceinfo

D'après l'ancien diplomate américain, ces déclarations relèvent davantage de calculs politiques internes que de véritables ambitions expansionnistes : "Il peut marquer des points auprès de sa base électorale avec ce genre de discours." Mais pour Pierre-Alexandre Beylier, "c'est une manière pour Donald Trump de se présenter comme un futur président garant d'un retour à l'expansionnisme américain". L'expert y voit aussi une stratégie de "harcèlement" destinée à renforcer la position de Donald Trump dans de futures négociations bilatérales.

"La toile de fond de ce conflit, c'est la politique migratoire du Canada. Il veut les pousser à adopter des mesures plus strictes."

Pierre-Alexandre Beylier, spécialiste des civilisations nord-américaines

à franceinfo

Les chiffres de la Customs and Border Protection semblent donner des munitions à Donald Trump. Preuve d'un nombre grandissant d'arrivées par le Canada, la Border Patrol a empêché 23 721 passages illégaux à la frontière nord des Etats-Unis en 2024 (contre 2 238 en 2022). "Cette situation montre surtout que la frontière avec le Canada va devenir la cible de la politique de Donald Trump au cours de son prochain mandat", estime Pierre-Alexandre Beylier.

Au Groenland, une île stratégiquement située 

"Pour des raisons de sécurité nationale et de liberté dans le monde, les Etats-Unis d'Amérique estiment que la propriété et le contrôle du Groenland sont une nécessité absolue", écrivait Donald Trump fin décembre sur son réseau Truth Social. Quelques semaines plus tard, il refusait d'exclure l'utilisation de la force militaire afin d'acquérir ce territoire danois tandis que son fils, Donald Trump Jr., atterrissait sur l'île à bord d'un avion du milliardaire. Ces événements ont suscité l'indignation au Danemark, mais aussi en France, où cette posture a été qualifiée d'"impérialisme", rapporte l'AFP.

Un avion transportant prétendument l'homme d'affaires américain Donald Trump Jr. arrive à Nuuk, au Groenland, le 7 janvier 2025, quelques semaines après que son père, Donald Trump, a suggéré que Washington annexe ce territoire. (EMIL STACH / RITZAU SCANPIX / AFP)

Depuis 2019, Donald Trump ne cache plus son intérêt pour le Groenland, où les Etats-Unis détiennent une base à Pituffik. Située à l'est du Canada, l'île est en effet stratégique car elle représente un moyen de renforcer l'influence américaine dans l'Arctique. Car l'apparition de nouvelles routes dans l'océan septentrional à cause du réchauffement climatique suscite l'intérêt des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine, selon Jeff Hawkins.

Les ressources présentes dans le sol de l'île, essentielles pour la production de batteries électriques et d'éoliennes, sont aussi convoitées par Donald Trump. Selon Ditte Brasso Sørensen, une experte en géopolitique et directrice adjointe du groupe de réflexion Europa interrogée par l'AFP, les Etats-Unis craignent que la Chine ne mette la main sur ces ressources minérales.

Le ministre des Affaires étrangères danois, Lars Løkke Rasmussen, a affirmé au lendemain de la conférence de presse de Donald Trump que son pays restait "ouvert au dialogue" afin de "s'assurer que les ambitions américaines" dans l'Arctique soient considérées. Dans une interview accordée au New York Times, Aaja Chemnitz, représentante groenlandaise au Parlement danois, redoute quant à elle que Donald Trump ne cherche à instrumentaliser les aspirations indépendantistes de l'île pour ses propres intérêts.

"Nous risquons de devenir un pion dans une partie d'échecs entre le Danemark et les États-Unis."

Aaja Chemnitz, représentante groenlandaise au Parlement danois

dans le "New York Times"

Pour Jeff Hawkins, l'annexion militaire du Groenland reste "inconcevable". "Surtout pour un Trump qui a toujours dit qu'il était contre les expéditions militaires et les guerres de toujours", souligne l'expert. Une idée confirmée par Pierre-Alexandre Beylier, selon lequel "il y a un principe en droit international qui est l'autodétermination, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et que ce soit le Groenland ou le Canada, les individus ne veulent pas devenir américains".

Le canal du Panama, un passage à négocier

Le canal de Panama, qui relie les océans Atlantique et Pacifique, est également dans le viseur du président américain. Agacé par le coût des droits de passage, Donald Trump a menacé d'en prendre le contrôle si ces "prix exorbitants" n'étaient pas réduits après son entrée en fonction. Mick Mulvaney, ancien chef de cabinet de Donald Trump, a ainsi affirmé sur le site TheHill.com qu'il s'agissait d'une tactique de négociation afin de faire baisser ces tarifs. Mais la "souveraineté" du canal "n'était pas négociable", a réagi de son côté le président panaméen José Raúl Mulino. 

Si l'ancien président républicain Ronald Reagan avait déjà soutenu que les Etats-Unis étaient les "propriétaires légitimes" du passage, car construit par des soldats américains au début du XXe siècle, Donald Trump dénonce désormais le contrôle des soldats chinois sur la voie maritime, note le New York Times. Selon un expert interrogé par le quotidien américain, les investissements chinois dans les infrastructures portuaires aux abords du canal pourraient offrir à Pékin des opportunités en matière de collecte de données et de renseignement maritime.

A la crainte d'espionnage, s'ajoute également l'emplacement stratégique du canal. "Si jamais on avait un conflit par exemple avec la Chine, la flotte Atlantique américaine basée à Norfolk devrait forcément passer par le canal du Panama. Sinon, les Etats-Unis seraient obligés de faire tout le tour de l'Amérique du Sud", souligne Jeff Hawkins.

"Parler de reprendre le canal par la force appartient à un autre siècle où les Etats-Unis se croyaient autorisés à intervenir à Cuba ou encore au Nicaragua."

Jeff Hawkins, chercheur associé au Centre de recherches internationales

à franceinfo

"Cette pensée stratégique est révolue", rappelle toutefois Jeff Hawkins, évoquant l'image désastreuse qu'un tel acte représenterait pour les Etats-Unis sur la scène internationale. Pour l'ancien diplomate, "ce qui inquiète le plus, ce n'est pas l'hypothèse d'envahir le Panama, mais l'impact durable de cette rhétorique sur les alliances et la stabilité internationale".

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