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Cinq questions sur la crise politique au Venezuela depuis que Juan Guaido s'est autoproclamé "président par intérim"

Le président du Parlement vénézuélien, figure de l'opposition, a pris les manettes du pouvoir mercredi, estimant que le chef de l'Etat actuel, Nicolas Maduro, avait "usurpé" la présidence. Un nouvel épisode qui illustre les tensions qui fracturent le pays depuis plusieurs mois, sur fond de grave crise économique.

Article rédigé par franceinfo avec AFP et Reuters
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Juan Guaido, qui s'est autoproclamé "président par intérim" du Venezuela, s'adresse à la foule lors d'une manifestation d'opposants au régime de Nicolas Maduro, le 23 janvier 2019 à Caracas (Venezuela).  (FEDERICO PARRA / AFP)

Vers une sortie de crise au Venezuela ? Juan Guaido, le président du Parlement contrôlé par l'opposition, et qui s'est autoproclamé "président par intérim" du pays face à Nicolas Maduro, mercredi 23 janvier, a déclaré samedi avoir rencontré plusieurs membres du gouvernement, afin de les persuader de la nécessité d'organiser des élections libres. En parallèle, le colonel José Luis Silva, l'attaché militaire du Venezuela à Washington (Etats-Unis), a annoncé ne plus reconnaître Nicolas Maduro comme le dirigeant légitime du pays, et a appelé ses "frères militaires" à soutenir Juan Guaido.

Porté par des dizaines de milliers d'opposants dans les rues mercredi, le leader du Parlement, 35 ans, a défié le président Nicolas Maduro à travers cette autoproclamation. L'opposition – et tout un pan de la communauté internationale – conteste la réélection en mai dernier du chef de l'Etat vénézuélien. Ce dernier a été investi le 10 janvier pour un deuxième mandat. 

Que se passe-t-il exactement au Venezuela, et pourquoi ? Comment réagit la communauté internationale, et quelles sont les possibles sorties de crise ? Eléments de réponse. 

1Que se passe-t-il au Venezuela ?

Tout commence il y a six jours, le 21 janvier.  Des hommes en uniforme s'emparent d'armes dans un poste militaire de Petare, près de Caracas. Ces derniers affirment qu'ils appartiennent à la Garde nationale bolivarienne (GNB), et qu'ils ne reconnaissent pas Nicolas Maduro. Ils appellent les Vénézuéliens à descendre dans la rue. Selon l'Observatoire vénézuélien des conflits sociaux (OVCS), qui soutient l'opposition, plusieurs émeutes éclatent dans des quartiers populaires de la capitale, en soutien aux rebelles. Après quelques heures, l'armée annonce que 27 mutins ont été arrêtés. La Cour suprême déclare que la direction du Parlement, seule institution gérée par l'opposition, est illégitime. 

Tout bascule deux jours plus tard, le 23 janvier. Le leader du Parlement, Juan Guaido, estime qu'il y a un vide du pouvoir et se proclame "président en exercice"

Je jure d'assumer formellement les compétences de l'exécutif national comme président en exercice du Venezuela pour parvenir (...) à un gouvernement de transition et obtenir des élections libres.

Juan Guaido

le 23 janvier

A travers le pays, opposants et soutiens du régime de Nicolas Maduro descendent massivement dans les rues. Les uns réclament, comme Juan Guaido, des élections libres, et les autres demandent le maintien au pouvoir du successeur d'Hugo Chavez. Les manifestations sont émaillées de heurts. En réaction, Nicolas Maduro décide de rompre les relations diplomatiques avec les Etats-Unis, qui soutiennent l'opposition. "Dehors ! Qu'ils s'en aillent du Venezuela", clame-t-il. Les représentants diplomatiques américains ont 72 heures pour partir. 

Un grand nombre de Vénézuéliens manifestent contre le régime de Nicolas Maduro, le 23 janvier 2019 à Caracas (Venezuela).  (RODOLFO CHURION / DPA / AFP)

Le lendemain, l'armée confirme qu'elle soutient toujours Nicolas Maduro. Le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino, évoque "un coup d'Etat" de l'opposition. Vendredi, Nicolas Maduro se dit prêt à rencontrer Juan Guaido, mais ce dernier refuse, assurant qu'il ne participera à aucun "faux dialogue" avec le gouvernement. Le leader de l'opposition appelle à une "grande mobilisation" la semaine prochaine, quand son rival invite à "la rébellion populaire contre le coup d'Etat".

En quatre jours, les manifestations ont fait 26 morts au Venezuela, selon l'Observatoire vénézuélien des conflits sociaux. Plus de 350 personnes ont été arrêtées, selon l'ONU. 

2Pourquoi le régime de Nicolas Maduro est-il contesté ?

Juan Guaido estime que son geste est légitimé par la Constitution, car Nicolas Maduro a selon lui "usurpé" la présidence du Venezuela. Le 10 janvier, le dirigeant a été investi devant la Cour suprême pour un nouveau mandat de six ans, et non devant le Parlement, comme le prévoit la Constitution. L'élection présidentielle qui a mené à sa réelection a également été avancée au 20 mai 2018. 

"La situation actuelle n'est pas tombée du ciel", analyse pour L'Obs Paula Vasquez Lezama, chargée de recherches au CNRS. "L’opposition, majoritaire à l’Assemblée nationale, s’est vue peu à peu retirer ses prérogatives législatives par l’exécutif", explique-t-elle. Selon la spécialiste du pays, Nicolas Maduro a "supprimé" "la séparation des pouvoirs" au Venezuela. Le 1er mai 2017, quatre ans après son arrivée au pouvoir, Nicolas Maduro a annoncé une Assemblée constituante, élue trois mois plus tard lors d'une élection boycottée par l'opposition. Composée de chavistes, elle s'arroge la majorité des pouvoirs du Parlement, malgré quatre mois de manifestations qui ont fait au moins 125 morts. 

L'opposition dénonce aussi la crise économique qui frappe de plein fouet le Venezuela. Le pays, connu pour ses ressources en pétrole, a vu sa production pétrolière chuter à 1,1 million de barils par jour – son niveau le plus bas en trente ans – en raison d'un manque d'investissements. Selon L'Express, cette production a été divisée par deux ans dix ans. Or, 96% des revenus de l'Etat en dépendent. Depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro, en 2013, le PIB a chuté de 50%, et l'inflation était de 1 700 000% en 2018. Elle devrait atteindre 10 000 000% en 2019, selon le Fonds monétaire international. Les Vénézuéliens souffrent de graves pénuries de nourriture et de médicaments. En trois ans, 2,3 millions de personnes ont quitté le pays, selon l'ONU. 

La rapidité de l'appauvrissement des Vénézuéliens est terrifiante. Près de 80% d'entre eux sont actuellement en situation de pauvreté.

Luis Alberto Moreno, président de la Banque interaméricaine de développement (BID)

à l'AFP

3Qui est Juan Guaido ?

Le leader de l'Assemblée nationale vénézuélienne Juan Guaido, qui s'est autoproclamé "président par intérim" du Venezuela, le 26 janvier 2019 à Caracas (Venezuela).  (FEDERICO PARRA / AFP)

Le jeune président du Parlement est entré en politique en 2007, en prenant part aux manifestations étudiantes contre Hugo Chavez. Deux ans plus tard, il est l'un des membres fondateurs du parti Volonté populaire, puis devient l'une de ses figures. En 2015, il est élu député de l'Etat de Vargas, proche de Caracas. Le 5 janvier, Juan Guaido a été nommé président du Parlement. Il est ainsi devenu le plus jeune leader de cette institution. 

Le Vénézuélien de 35 ans a passé son enfance à La Guaira, près de Caracas. Son père était "pilote de ligne" et sa mère "mère au foyer", relate Bloomberg. Juan Guaido a étudié l'ingénierie industrielle dans la capitale du Venezuela, puis l'administration publique aux Etats-Unis. 

Ouvertement opposé au régime de Nicolas Maduro, le président du Parlement a été arrêté au beau milieu de l'autoroute par les services de renseignement vénézuéliens, alors qu'il allait à une réunion politique. Il a finalement été relâché une heure plus tard. 

4Comment la communauté internationale réagit-elle?

Très vite, les Etats-Unis, le Canada et une majorité de pays d'Amérique latine ont reconnu Juan Guaido comme le président par intérim légitime du Venezuela. Le président américain, Donald Trump, a officiellement reconnu la légitimité de Juan Guaido mercredi, le jour-même de son autoproclamation. Les États-Unis sont le seul membre permanent du Conseil de sécurité à l'avoir formellement reconnu jusqu'à présent. "Les citoyens du Venezuela ont trop longtemps souffert à cause de l'illégitime régime de Maduro", a tweeté Donald Trump mercredi. 

Le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump a également averti, dimanche, que "toute violence et intimidation contre le personnel diplomatique américain, le leader démocrate du Venezuela, Juan Guaido, ou l'Assemblée Nationale elle-même, représenterait une grave agression contre l'état de droit et entraînera une réponse significative". 

Samedi, plusieurs pays européens – la France, l'Espagne, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique et le Portugal – ont lancé un ultimatum à Nicolas Maduro : ils ont exigé la convocation d'élections sous huit jours au Venezuela, faute de quoi ils reconnaîtront officiellement Juan Guaido comme "président" du pays. 

L'Union européenne a également annoncé qu'elle "prendra des mesures"  dans le cas où de nouvelles élections ne sont pas promises "dans les prochains jours". Mais cette décision ne fait pas l'unanimité dans l'UE. La Grèce, notamment, continue de soutenir Nicolas Maduro. 

La Russie fait de même. Dans un communiqué, Moscou s'est indigné d'une "mise en scène" et a appelé à "la fin" d'"une ingérence cynique et non-dissimulée dans les affaires d'un Etat souverain". Vassily Nebenzia, l'ambassadeur russe à l'ONU, a évoqué un "coup d'Etat" et accusé "les Etats-Unis et leurs alliés de vouloir renverser" Nicolas Maduro. Moscou et Pékin ont ensemble, à New York, mis un veto à un projet américain de déclaration du Conseil de sécurité, qui aurait apporté "un plein soutien" à Juan Guaido. Israël a, de son côté, reconnu "le nouveau pouvoir" au Venezuela dimanche. 

5Quels sont les scénarios possibles ?

Juan Guaido a salué la décision européenne d'appeler à des élections libres. Il a cependant expliqué qu'en cas de convocation d'élections au cours des prochains jours, des "experts" auraient à déterminer la date précise du scrutin. Il pourrait ne pas avoir lieu avant plusieurs mois, a-t-il prévenu. Mais dimanche, dans un entretien à la chaîne CNN Turk, Nicolas Maduro a rejeté cet appel européen. Le dirigeant a estimé que son pays n'était "pas lié" à l'Europe, et que les Européens "devraient retirer cet ultimatum". Les perspectives de négociation sont également bloquées entre les deux "présidents" du Venezuela, Juan Guaido refusant à ce stade de rencontrer Nicolas Maduro. 

Une transition est-elle possible ? L'armée jouera un rôle décisif. Si elle reste loyale à Nicolas Maduro, la "perspective de changement" dépendra de l'union de l'opposition et de propension à accepter une "transition sur le long terme", explique auprès de l'AFP Peter Hakim, du think-tank Dialogue interaméricain. Une transition pourrait émerger plus facilement si les militaires décident finalement de soutenir Juan Guaido, ou si les Etats-Unis imposent des sanctions sur les exportations de pétrole du Venezuela, qui auraient un impact économique considérable. 

Dans le cas d'une opposition toujours divisée et d'un soutien persistant de l'armée au régime de Nicolas Maduro, ce dernier pourrait encore se maintenir au pouvoir. Il pourrait demander un soutien de la Chine, de la Russie et de l'Iran, envisage auprès de l'AFP Paul Hare, de l'université de Boston. Moscou et Pékin "peuvent tenter de sauver le régime, en exigeant certaines réformes économiques sérieuses et la restructuration de l'activité pétrolière", estime-t-il. 

Autre possibilité : que l'armée prenne les commandes du pays. Michael Shifter, du Dialogue interaméricain, craint auprès de l'AFP une hausse de la "répression", voire une guerre civile. Des "dangers", dit-il, liés au fait d'avoir "deux gouvernements parallèles"

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