Opération immobilière, emploi familial, possible conflit d'intérêt : les cinq révélations qui plombent Richard Ferrand
Mardi, le journal "Le Monde" a publié une enquête mettant en lumière les fois où le ministre de la Cohésion des territoires a mêlé ses engagements publics et les affaires.
Faut-il désormais parler des affaires Richard Ferrand, au pluriel ? Depuis le premier article du Canard enchaîné, mercredi 24 mai, au sujet d'un montage immobilier impliquant sa compagne, la presse multiplie les révélations sur le ministre de la Cohésion des territoires, ancien député socialiste.
Ainsi, mardi 30 mai, Le Monde s'est penché sur plusieurs exemples illustrant ce qu'ils décrivent non pas comme des pratiques illégales, mais comme un exemple de "mélange des genres". Un article auquel Richard Ferrand a répondu point par point dans un communiqué où il dénonce les "amalgames" et les "sous-entendus" du journal. Franceinfo résume les cinq principales affaires qui le concernent.
Le montage immobilier impliquant sa compagne
C'est l'affaire qui a le plus retenu l'attention. Dans son édition du 24 mai, le Canard enchaîné décrit une transaction immobilière datant de 2011. Richard Ferrand est alors directeur général des Mutuelles de Bretagne, qui cherche une nouvelle adresse pour un centre de soins à Brest. Parmi trois propositions, le conseil d'administration choisit à l'unanimité des locaux loués par une société immobilière, la Saca, pour un loyer de 42 000 euros annuels.
Cette société, qui n'existait pas encore au moment où elle a obtenu le marché, est la propriété de la compagne de Richard Ferrand, Sandrine Doucen. Cette dernière a déposé les statuts de sa SCI après le vote, et n'a acheté les locaux qu'ensuite, alors qu'elle avait déjà la certitude de les louer. Signe de l'implication personnelle de Richard Ferrand dans ce dossier : il avait lui-même signé le compromis de vente, conclu fin 2010, raconte l'avocat qui a monté l'opération immobilière. Lequel dénonce un "enfumage" de Richard Ferrand.
Cet avocat explique, dans Le Parisien, pourquoi la démarche de l'actuel ministre n'était pas éthique à ses yeux : "La vraie question, c'est pourquoi Richard Ferrand n'a pas fait acheter l'immeuble par la mutuelle. Elle faisait un prêt, engageait des travaux et se retrouvait, quinze ans plus tard, propriétaire d'un bien largement fructifié. Là, c'est la compagne de Richard Ferrand qui se retrouve dans cette position." La mutuelle de Bretagne a en effet rénové les locaux à ses frais, pour 184 000 euros. Si cette opération immobilière pose des questions morales, les spécialistes assurent qu'elle n'est pas illégale. Le parquet national financier et le parquet de Brest ont tous deux refusé de se saisir de l'affaire.
Ce que répond Richard Ferrand. "Je considère qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts. Je ne suis ni marié, ni pacsé avec Sandrine Doucen [sa compagne]", balaye Richard Ferrand dans le Parisien. "Nous n'avons pas de patrimoine en commun. On peut se séparer demain, chacun gardera ses biens. Je ne suis pas partie à l'affaire." Par ailleurs, il assure que "tout le monde savait que cette SCI était la propriété de ma compagne" au moment où le conseil d'administration a pris sa décision.
L'emploi de sa compagne et de son ex-femme par les Mutuelles de Bretagne
Quand il était directeur général des Mutuelles de Bretagne, Richard Ferrand n'a pas seulement permis à sa compagne, Sandrine Doucen, d'acquérir des locaux à peu de frais. Selon Le Monde, elle a également été employée par les Mutuelles pour des consultations juridiques régulières, et comme assistante de Richard Ferrand lui-même "au tournant des années 2000".
Quant à l'ex-femme de ce dernier, Françoise Coustal, elle a également bénéficié de contrats avec les Mutuelles de Bretagne. Artiste plasticienne, elle a gagné au moins trois fois des marchés pour l'aménagement de locaux gérés par le réseau. Dont les fameux locaux appartenant à la nouvelle compagne de Richard Ferrand. Mais aussi une résidence médicalisée pour les malades d'Alzheimer située à Guilers, près de Brest, pour lequel elle a "conçu des installations sonores et visuelles", entre septembre 2009 et décembre 2010. Là encore, rien d'illégal, souligne Le Monde, d'autant que le couple a divorcé en 1994.
Mais l'établissement, et donc indirectement le travail de Françoise Coustal, a notamment été financé par des subventions publiques d'un montant total de 1,66 million d'euros accordées par le conseil général du Finistère, dont Richard Ferrand était alors un des vice-présidents. Responsable de ces subventions au Conseil général, Gilbert Monfort affirme au Monde que l'actuel ministre n'est pour rien dans leur attribution, mais qu'il ne savait pas que l'ex-femme de ce dernier était liée au projet. Françoise Coustal, elle, se défend en assurant que ses "relations privées" avec son ex-mari "n’existent plus depuis longtemps".
Ce que répond Richard Ferrand. Là encore, le ministre de la Cohésion des territoires affirme, au Monde, que ses liens avec Françoise Coustal n'étaient pas un secret : "Tout le monde sait que nous avions été mariés." Dans un communiqué répondant à la publication de l'article, mardi, il assure qu'il n'est "bien évidemment jamais intervenu pour qu'elle obtienne un quelconque contrat". "Aucun élément n'est avancé dans ce sens", note Richard Ferrand, qui déplore des "amalgames". Selon lui, son ex-épouse a d'ailleurs "davantage travaillé" pour le réseau après son départ de la direction générale.
L'emploi de son fils à l'Assemblée
Le 24 mai, le Canard enchaîné fait une autre révélation : alors que le gouvernement veut interdire les emplois familiaux aux parlementaires, Richard Ferrand a fait travailler son fils comme collaborateur à l'Assemblée nationale, où il est entré en 2012 après son départ des Mutuelles des Bretagne. Emile Ferrand, alors âgé de 23 ans, a été employé du 13 janvier au 16 mai 2014, touchant au total près de 6 800 euros. Là encore, un tel emploi n'est pas illégal tant qu'il n'est pas fictif.
A cette polémique s'est ajoutée une gaffe. En voulant défendre son ministre dans cette affaire, un membre de son cabinet a avancé cet argument à franceinfo : "Je vous invite à aller faire un tour en Centre-Bretagne. Ce n’est pas simple de trouver un jeune, volontaire, pour travailler cinq mois, qui sait lire et écrire correctement, aller sur internet." Des propos remarqués.
Ce que répond Richard Ferrand. Sur franceinfo, il s'est défendu d'avoir fourni un emploi fictif à son fils, expliquant en quoi consistait son activité : "Ce qu'il a eu à faire était la rédaction de la lettre du député, tenir différentes choses sur mon blog que j'édite quasi quotidiennement". Richard Ferrand a expliqué qu'il avait dû trouver un collaborateur "au débotté", mais reconnaît que "si c'était à refaire", il ne solliciterait pas son fils : "Je vois bien qu'il y a, aujourd'hui, un rejet total de l'idée qu'un parlementaire puisse embaucher un de ses proches."
Quant aux propos de son collaborateur sur la Centre-Bretagne, Richard Ferrand les a aussitôt condamnés : "Si un membre de mon équipe a effectivement employé de tels mots, des sanctions seront prises immédiatement", a-t-il promis.
L'emploi à l'Assemblée du compagnon de celle qui lui a succédé aux Mutuelles de Bretagne
Un autre collaborateur de celui qui était alors député du Finistère a attiré l'attention du Monde : jusqu'en 2014, il a employé comme assistant parlementaire Hervé Clabon, qui n'est autre que le compagnon de celle qui a succédé à Richard Ferrand à la direction générale des Mutuelles de Bretagne, Joëlle Salaün. Dans le même temps, celle-ci a continué de rémunérer Richard Ferrand comme chargé de mission auprès d'elle, pour 1 250 euros par mois, de 2012 à 2017. "Echange de bons procédés ?" s'interroge Le Monde.
Ce que répond Richard Ferrand. Dans son communiqué, mardi, le ministre s'explique sur sa rémunération par les Mutuelles de Bretagne. Selon lui, c'est l'assemblée générale de ces dernières qui a décidé, "hors de [sa] présence", de lui confier cette mission, en raison de sa "bonne gestion" en tant que directeur général. Son rôle : "apporter [son] expertise et [sa] connaissance" du poste à Joëlle Salaün.
Quant à Hervé Clabon, il "a toujours été un militant très actif", répond Richard Ferrand au Monde. "Il l’était déjà auprès de Kofi Yamgnane, secrétaire d’Etat entre 1991 et 1993, puis député de la 6e circonscription de 1997 à 2002, précise le ministre. Il n’y a aucun lien entre mes activités aux Mutuelles de Bretagne et la présence d’Hervé Clabon."
Un possible conflit d'intérêts sur le vote d'une loi sur les mutuelles
Devenu député, Richard Ferrand a continué de toucher, tout au long de son mandat, 1 250 euros par mois comme chargé de mission auprès de Joëlle Salaün, celle qui lui a succédé à la tête des Mutuelles de Bretagne, affirme Le Monde.
Mais une fois à l'Assemblée nationale, il a déposé avec plusieurs autres députés socialistes une proposition de loi concernant les mutuelles, à l'automne 2012. Un texte sur lequel il s'est également exprimé lors des débats en commission. Il visait à permettre aux réseaux mutualistes de réserver des prix plus avantageux à leurs adhérents, une possibilité dont disposaient déjà les mutuelles privées. Le texte, finalement censuré par le Conseil constitutionnel, concernait directement les Mutuelles de Bretagne, qui le rémunéraient.
"Richard Ferrand m’avait dit qu’il avait travaillé pour les Mutuelles de Bretagne, mais pour moi, c’était du passé", s'étonne la présidente socialiste de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Catherine Lemorton, interrogée par Le Monde. "Si j’avais su qu’il était encore chargé de mission [aux Mutuelles], la question, je l’aurais posée clairement. Il était en lien d’intérêts".
Ce que répond Richard Ferrand. Il se défend auprès du quotidien en expliquant qu'il avait "tenu à conserver une activité professionnelle" en parallèle de son mandat : "Cela me paraît totalement bénéfique par opposition à celles et ceux qui ne vivent que de la politique."
"Devais-je m’abstenir de défendre un principe au prétexte que je connais bien le sujet ?" s'interroge Richard Ferrand dans son communiqué, évoquant d'autres exemples de députés qui conservent des activités professionnelles : "Interdit-on aux députés qui sont médecins de voter le budget de la Sécurité sociale ?"
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