ENTRETIEN. "Tapie" sur Netflix : l'ancien procureur Eric de Montgolfier a vu la série et replonge dans ses souvenirs du face-à-face judiciaire avec l'homme d'affaires
C'est une scène haletante de 25 minutes, dans le huis clos du modeste bureau du procureur de Valenciennes. L'ancien ministre et puissant président de l'OM Bernard Tapie se présente à l'improviste, de nuit, pour y rencontrer Eric de Montgolfier, celui qu'il pense alors convaincre d'abandonner les poursuites dans l'affaire du match truqué VA-OM. Évidemment, tout ne va pas se passer comme prévu et une intense joute verbale s'engage alors entre l'homme d'affaires et le procureur Eric de Montgolfier. Issue du dernier épisode de la série "Tapie", sur Netflix, cette scène, entièrement fictive, retrace la rencontre, pourtant bien réelle, des deux personnalités. Trente ans plus tard – et deux ans après le décès de Bernard Tapie – le magistrat retraité a regardé la série, qu'il qualifie de "travail plaisant". Même s'il ne s'est pas reconnu "dans le côté sournois du procureur".
franceinfo : Qu’est-ce que cela vous a fait de vous voir incarné dans une fiction ?
Rien, parce que c'était peut-être moi, mais ce n'était pas uniquement moi, manifestement. J'ai entendu des mots que j'avais prononcés – "Vous auriez pu être une constellation, vous avez été un météore" lors du réquisitoire à l'audience – ou que d'autres que moi avaient prononcés. J'ai trouvé que c'était un travail plaisant, mais souvent, je me suis dit : non, ça, ce n'est pas moi. Certains jugent mon portrait assez flatteur, mais cela ne ressemble pas tout à fait à mes souvenirs. Là où je ne me reconnais pas, c'est dans le côté sournois de ce procureur.
Comment s'était déroulée cette rencontre avec Bernard Tapie en 1993 ?
Elle n'était pas du tout improvisée. Bernard Tapie me l'a demandé, j'ai accepté. Dans la série, le procureur fait semblant de ne pas le reconnaître et fait le naïf, comme un jeu du chat et de la souris que je ne me voyais pas jouer. Dans le cours de la conversation, j'avais une stratégie peut-être un peu plus fine qui ne consistait pas à donner à l'intéressé, alors qu'il n'était pas officiellement impliqué dans le dossier, tous les arguments que je pouvais avoir contre lui. Je n'avais pas de preuves mais j'avais des éléments. Comme le fait qu'on avait découvert dans l'après-midi même de l'argent dans le jardin de la tante d'un joueur de Valenciennes. Voilà, Bernard Tapie a voulu me voir. Il a commencé par se poser en personnage important, influent, sortant de l'Elysée, ce qui expliquait son retard. Il est venu m'expliquer le football, me parler de la fragilité des joueurs, mais je n'avais rien à lui dire et certainement pas à lui faire la morale. C'est quelque chose qui m'a un peu gêné dans la série. Je ne crois pas que ce soit très digne d'un procureur de se moquer de celui qu'il pourrait un jour poursuivre.
Quel effet vous avait fait Bernard Tapie à l'époque ?
Il était fidèle à son personnage tel qu'on pouvait l'apercevoir dans ses émissions. Une espèce de fonceur, un peu baroudeur, un peu matamore. Franchement, j'ai toujours eu une forme d'estime pour ce personnage à facettes multiples et aux talents assez nombreux, il faut bien le dire, même si pour certains, ils suscitaient mes interventions. Mais il n'était pas antipathique, pas irritant et puis, c'est moi qui avais le meilleur rôle. Il suffisait d'écouter. Ça suscitait de l'amusement parfois quand celui qui vient vous trouver essaye de vous convaincre que ce que vous avez lancé n'a pas de sens, parce que c'est bien cela qu'il venait faire. Ou quand il vous dit : "Ah, un grand procureur comme vous dans un si petit tribunal !" C'est difficile, même si vous manquez d'humilité, de ne pas rire. Moi, je l'ai pris comme un aveu de faiblesse.
Vous avez dit, par le passé, qu'"un autre que Bernard Tapie n'aurait pas été condamné à de la prison ferme pour les mêmes faits". Vous le pensez toujours ?
C'est ce que je crois. Mais ce n'est pas parce que c'était Bernard Tapie, je l'ai expliqué, c'est parce que c'était un ancien ministre. À l'audience, je lui ai dit qu'il avait également entraîné un autre ancien ministre dans cette débâcle, Jacques Mellick [condamné pour faux témoignage dans l'affaire VA-OM]. Ce qu'il représentait parce qu'il avait été membre du gouvernement lui interdisait le comportement que j'étais en train de lui reprocher. On se doit d'être exemplaire. Je crois que l'erreur des politiques, c'est de ne pas comprendre qu'ils doivent être absolument exemplaires. Je pense souvent à Jean-Luc Mélenchon qui, alors qu'il devait subir une perquisition, ce qui, je le conçois, n'est pas très agréable, a eu des mots qui défigurent la République. Quand on a fait le choix de servir l'intérêt général, on n'a pas le droit d'être en dessous de ce qu'on doit attendre de vous. Et ça vaut aussi pour les magistrats.
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