PORTRAITS

Procès des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy : qui sont les protagonistes de l'affaire ?

Treize prévenus sont au total renvoyés devant la justice à partir de lundi, pour un procès qui doit durer trois mois. Au-delà de ceux appelés à comparaître, l'ombre de certains acteurs du dossier planera sur cette affaire d'Etat.


Catherine Fournier, avec les illustrations de Pauline Le Nours

Publié

Un ancien chef de l'Etat qui clame son innocence, des intermédiaires sulfureux, des témoins-clés disparus, un dictateur mort… Le procès sur les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 s'ouvre lundi 6 janvier devant le tribunal correctionnel de Paris. L'ex-locataire de l'Elysée et trois de ses anciens ministres se retrouvent sur le banc des prévenus. Ils sont soupçonnés d'avoir scellé et mis en place "un pacte de corruption" avec le tyran libyen Mouammar Kadhafi.

Au total, 13 prévenus sont renvoyés devant la justice, majoritairement pour corruption active et passive, financement illégal de campagne électorale et association de malfaiteurs. La plupart d'entre eux encourent dix ans de prison, ainsi que l'interdiction des droits civiques et d'exercer une fonction publique. Tandis que quatre personnalités manqueront à l'appel, l'ombre de certains acteurs du dossier, morts, planera sur le procès qui doit durer trois mois. Voici les protagonistes de cette affaire d'Etat aux ramifications complexes.

Financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy : qui sont les protagonistes de l'affaire

Nicolas Sarkozy et le dictateur libyen Mouammar Kadhafi

Contestant depuis le début l'ensemble des accusations, Nicolas Sarkozy, 69 ans, est jugé pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale, association de malfaiteurs et recel de détournement de fonds publics libyens.  Les juges d'instruction, qui ont signé l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel consultée par franceinfo, lui reprochent d'avoir "noué"  avec le dictateur Mouammar Kadhafi "un pacte de corruption" pour le financement de sa campagne présidentielle victorieuse en 2007, lors d'une visite à Tripoli le 6 octobre 2005 en tant que ministre de l'Intérieur.

Pour les juges, le guide suprême libyen, coutumier des remises d'"argent de poche" aux décideurs politiques étrangers selon des témoins interrogés, a accordé cette aide financière – 50 millions d'euros promis à Nicolas Sarkozy, selon un document officiel libyen publié par Mediapart en 2012 – en échange de "contreparties"  diplomatiques, économiques et judiciaires. Après sa visite à Paris en grande pompe fin 2007, le dictateur a cependant été une nouvelle fois mis au ban de la communauté internationale. Le 10 mars 2011, alors que la révolution libyenne grondait, portée par le printemps arabe, l'Elysée a reconnu le Conseil national de transition libyen. Mouammar Kadhafi puis son fils ont alors affirmé avoir "donné" de l'argent au président de la République français "pour qu'il puisse gagner les élections chez lui".

Le 17 mars 2011, le conseil de sécurité de l'ONU a adopté la résolution 1973, initiée par la France, autorisant l'usage de la force pour protéger les populations civiles en Libye. Sept mois plus tard, le 20 octobre, Mouammar Kadhafi est mort après avoir été lynché par la foule.

Trois ministres et un collaborateur de la sarkozie

Nicolas Sarkozy est soupçonné d'avoir laissé agir en "parfaite connaissance de cause"  ses proches pour la récupération de l'argent. Parmi ses lieutenants, figure au premier plan Claude Guéant, 79 ans. Successivement directeur de cabinet puis directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, secrétaire général de l'Elysée et ministre de l'Intérieur, il a effectué plusieurs visites en Libye et, selon les juges, "organisé des transferts de fonds" entre les deux pays, notamment via l'intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine. 

Claude Guéant est également soupçonné de s'être personnellement enrichi. Il a justifié la provenance d'un virement de 500 000 euros, en février 2008, par la vente de deux tableaux flamands d'Andries Van Artvelt à un avocat d'affaires malaisien. Mais les experts ont estimé que leur valeur se situait entre 40 000 et 50 000 euros. Les juges décrivent un montage financier complexe destiné la maquiller la "vente fictive" de ces œuvres. Dans ce sous-volet de l'affaire, quatre personnes sont renvoyées devant la justice : le milliardaire saoudien Khaled Ali Bugshan, visé par un mandat d'arrêt, son cousin Ahmed Bugshan, le banquier franco-djiboutien Wahib Nacer et l'acheteur officiel des tableaux, Sivajothi Rajendram, dont la justice française a récemment appris le décès. L'extinction des poursuites le visant devrait être officialisée au cours du procès.

Autre membre de la sarkozie renvoyé devant la justice, Brice Hortefeux, 66 ans, est soupçonné d'avoir, lui aussi, agi comme intermédiaire, à travers le réseau de Ziad Takieddine. A l'époque ministre délégué aux Collectivités territoriales et trésorier de l'Association de soutien de l'action de Nicolas Sarkozy, il a notamment rencontré à deux reprises en Libye Abdallah Senoussi, chef des renseignements militaires et beau-frère de Mouammar Kadhafi. Elément compromettant le concernant : un relevé d'identité bancaire, qu'il est suspecté d'avoir fourni en novembre 2006 aux autorités libyennes pour le transfert de fonds.

S'agissant d'Eric Woerth, 68 ans, ex-trésorier de la campagne de 2007, il a participé, selon les juges, au système de financement illégal en faisant circuler de l'argent liquide au sein de l'équipe du candidat UMP. Pour sa défense, l'ancien ministre du Travail et du Budget sous Nicolas Sarkozy a affirmé que ces primes – autour de 200 000 euros, selon les estimations de la justice – provenaient de dons anonymes. Une version contredite par des témoins.

Ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly et au ministère du Budget, Thierry Gaubert, 74 ans, est pour sa part soupçonné d'avoir reçu 440 000 euros sur son compte aux Bahamas début 2006 via une société de Ziad Takieddine. Ce compte avait été au préalable crédité d'un virement du Trésor public libyen, soulignent les juges. Thierry Gaubert et l'homme d'affaires franco-libanais ont tous les deux été condamnés en première instance en juin 2020 – ils connaîtront leur sort en appel le 21 janvier – dans le volet financier de l'affaire Karachi, portant sur le versement de rétrocommissions illégales dans le cadre de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995.

Trois anciens dignitaires du régime libyen

Ils brilleront par leur absence. Trois hauts dignitaires du régime libyen sont considérés comme des protagonistes de cette affaire mais un seul est renvoyé devant la justice française : Bachir Saleh, 78 ans. Visé par un mandat d'arrêt, l'ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi doit être jugé par défaut. Selon les juges, "l'information judiciaire a mis en exergue le rôle central" de cet argentier du régime libyen. Il a rencontré "à plusieurs reprises Claude Guéant" "pendant la campagne" de 2007 et "connaissait les sommes exactes versées aux Français", estiment les magistrats.

Selon eux, ce proche de l'intermédiaire  franco-algérien Alexandre Djouhri a été exfiltré par le ministère de l'Intérieur français au moment de la chute du régime en 2011. Après quelques mois passés en France, Bachir Saleh a été envoyé au Niger, puis en Afrique du Sud, où il a échappé à une tentative d'assassinat début 2018. Il avait auparavant appuyé dans la presse les affirmations de Moummar Kadhafi sur le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy. 

L'autre personnage clé du dossier côté libyen est Abdallah Senoussi, 76 ans. Pour l'accusation, l'ancien chef des renseignements militaires fait partie des artisans du "pacte de corruption" et a bénéficié de contreparties. Toutefois, il n'est pas poursuivi dans ce dossier. Il est actuellement détenu à Tripoli, où il doit être jugé pour crimes de guerre. Visé par un mandat d'arrêt en France après sa condamnation pour son rôle dans l'attentat contre le DC-10 d'UTA, qui avait fait 170 morts, dont 54 Français, en 1989, il a négocié la promesse d'une amnistie et rencontré au moins à deux reprises, selon les juges, Claude Guéant et Brice Hortefeux. Des "virements" ont ensuite été "effectués" sur ses "instructions" .

Retrouvé noyé dans le Danube, à Vienne (Autriche), le 29 avril 2012, l'ancien ministre du Pétrole libyen Choukri Ghanem ne peut plus témoigner mais ses carnets parleront pour lui. Saisis en 2015 par la justice française, ils font mention, à la date du 29 avril 2007, de trois paiements destinés à Nicolas Sarkozy, pour au moins 6,5 millions d'euros. "J'ignore s'ils croient vraiment qu'ils peuvent changer la politique de la France moyennant cet argent. D'abord, les montants qu'ils engagent sont dérisoires à l'échelle de l'Europe. Et d'autres pays paient bien plus", écrivait-il alors. La police autrichienne, qui a enquêté sur son décès, a conclu à un accident, mais ses proches n'y croient pas. 

Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri, intermédiaires de l'ombre

Ils sont ennemis jurés et leur vie est digne d'un roman noir. Proches de la droite française, le Franco-Libanais Ziad Takieddine, 74 ans, et le Franco-Algérien Alexandre Djouhri, 66 ans, sont les deux principaux intermédiaires officieux dans les transferts de fonds.

Le premier est l'homme par lequel le scandale a éclaté au grand jour. Lors d'un interrogatoire le 19 décembre 2012 dans le cadre du volet financier de l'affaire Karachi – dans laquelle il a été condamné mi-2020 à cinq ans de prison ferme – Ziad Takieddine évoque le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy à hauteur de 50 millions d'euros par le régime du colonel Kadhafi. Selon cet homme d'affaires proche des cercles balladuriens, les versements par son entremise ont commencé fin 2006 pour atteindre cinq millions millions d'euros début 2007. Ses principaux interlocuteurs, assure-t-il, étaient Claude Guéant et Abdallah Senoussi.

Mais fin 2020, coup de théâtre : depuis Beyrouth, le septuagénaire se rétracte. Une affaire dans l'affaire, qui vaut à Nicolas Sarkozy, son épouse, Carla, et Mimi Marchand, papesse de la presse people, d'être mis en examen pour subornation de témoin ou recel de la même infraction. Ziad Takieddine est finalement revenu à son témoignage initial, assurant s'être vu proposer "des millions d'euros" en échange de cette opération de sauvetage avortée de Nicolas Sarkozy. Visé par un mandat d'arrêt, il doit être jugé en son absence.

Alexandre Djouhri, lui, devrait bien prendre place sur le banc des prévenus. Issu des rangs de la chiraquie, cet ancien délinquant du Val-d'Oise devenu un puissant homme d'affaires, proche des réseaux de la Françafrique, est soupçonné d'avoir bénéficié de fonds publics libyens détournés, mais pas au profit de la campagne de Nicolas Sarkozy. Le réseau d'Alexandre Djouhri, par l'intermédiaire de l'argentier libyen Bachir Saleh et son fonds souverain, le Libya Africa Investment Portfolio,  a acquis après la présidentielle, selon les investigations, une villa de Mougins (Alpes-Maritimes) à un prix surévalué afin de dissimuler d'éventuels versements occultes. Le banquier franco-djiboutien Wahib Nacer, mis en cause dans le volet des tableaux, est également soupçonné d'avoir œuvré dans cette vente.

Selon les juges, Alexandre Djouhri s'est aussi imposé comme intermédiaire dans la vente de 12 Airbus auprès de la compagnie aérienne libyenne Afriqiyah Airways en 2006, et a perçu, a minima, 2 millions d'euros de rétrocommissions, sur les instructions d'Edouard Ullmo, un ancien cadre d'Airbus de 61 ans qui comparaît pour ces faits. Avec l'aide de l'ancien patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, il est aussi accusé d'avoir joué un rôle dans l'exfiltration de Bachir Saleh, le menaçant de mort s'il parlait aux autorités judiciaires françaises, d'après les affirmations du Libyen.


Design : Léa Girardot

Développement : Valentin Pigeau 

Texte et infographie : Catherine Fournier, Pauline Le Nours

Relecture : Antoine Aubert

Supervision éditoriale : Simon Gourmellet, Julie Rasplus

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.