Sarkozy sur écoute : Hollande pouvait-il ignorer l'affaire ?
Plusieurs élus de l'opposition estiment que l'exécutif était nécessairement informé de la procédure judiciaire ayant abouti à la mise sur écoute de l'ancien président. Le gouvernement dément.
C'est la polémique dans la polémique. Alors que la mise sur écoute des conversations téléphoniques entre Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog provoque une levée de boucliers des robes noires, qui dénoncent une violation du "secret professionnel", l'opposition soulève une autre question : comment François Hollande pouvait-il ignorer ces écoutes ? L'UMP va jusqu'à évoquer un "complot politique" contre l'ancien chef de l'Etat. Explications.
La phrase de Hollande qui sème le trouble
Rapportée par Le Figaro magazine dans son édition du 21 février, puis reprise par le Journal du dimanche du 9 mars, une phrase de François Hollande jette le trouble. Devant des députés socialistes réunis à l'Elysée, le président de la République aurait déclaré au sujet de Nicolas Sarkozy : "Je le surveille, je sais exactement ce qu’il fait."
Les accusations de l'opposition
Dimanche, Henri Guaino, député UMP des Yvelines, n'hésite pas à parler de "complot politique". Le lendemain, l'ex-ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, lui-même mis sur écoute par les juges, estime que la succession d'affaires visant Nicolas Sarkozy et la droite n'est pas due au "hasard".
Le député UMP de l'Eure Bruno Le Maire embraye, demandant au gouvernement "des assurances" selon lesquelles il n'était pas informé de ces écoutes. Eric Ciotti, maire UMP de Nice, est en sûr : "Le pouvoir, forcément, quoi qu'il en dise, en a eu connaissance." Mardi, le patron de l'UMP, Jean-François Copé, repose "la question" : "François Hollande était oui ou non au courant ?" Le député proche du FN Gilbert Collard va plus loin : "Quand on entend Madame Taubira dire qu'elle n'était pas au courant, elle nous prend pour des blaireaux."
La défense de l'exécutif
Mardi, François Hollande assure qu'il répondra aux lettres reçues du bâtonnier de Paris et de l'Union syndicale des magistrats (majoritaire). Le même jour, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, jure qu'il n'y a "aucune immixtion" de la part de l'exécutif "dans le déroulement des instructions judiciaires".
La veille, la ministre de la Justice indique avoir découvert l'affaire des écoutes en lisant Le Monde. Sur France Inter, elle l'assure, lundi : "Moi je ne dispose pas du contenu de la procédure." Invitée au 20 heures de TF1, Christiane Taubira réitère : "Je n'avais pas l'information" que Nicolas Sarkozy et son avocat étaient écoutés. Et la ministre de rappeler qu'"il s'agit d'une information judiciaire" qui est donc "traitée par des magistrats du siège (...) qui sont totalement indépendants, sans relation avec la Chancellerie", qui gère le parquet.
Même commentaire à la Chancellerie, selon Europe 1 : "Les juges d’instruction sont indépendants, ils n'ont pas à rendre des comptes", martèle-t-on.
Du côté de Manuel Valls, le message de la place Beauvau est identique : le ministre de l'Intérieur n'a pas non plus été informé, ni par écrit, ni à l'oral. Comme le rapporte Europe 1, l'entourage du premier flic de France affirme que les conversations entre l’ex-président et son avocat n’ont sûrement pas été retranscrites par la justice, sinon tout aurait déjà fuité dans la presse.
Harlem Désir, premier secrétaire du PS, relaie la parole gouvernementale : prétendre que la publication de ces affaires est programmée avant les municipales, "c'est la théorie du complot, cela n'a pas de sens".
Ce que dit le droit…
Si l'indépendance des magistrats du siège (dont font partie les juges d'instruction) vis-à-vis du ministère de la Justice est inscrite dans la Constitution (via le principe de leur inamovibilité - ils ne peuvent recevoir d’affectation nouvelle sans leur consentement), "c'est le parquet, placé sous son autorité [la Chancellerie], qui ouvre les informations judiciaires et étend les saisines des juges d'instruction", rappelle Le Figaro.
Même si Christiane Taubira s'est engagée dès l'été 2013 à renoncer aux "instructions écrites" adressées aux parquets pour engager des poursuites dans une affaire, prévues par la loi Perben de 2004, elle a émis une circulaire pénale le 31 janvier "dans laquelle elle exige des procureurs généraux une remontée d'informations en fonction de la 'personnalité de l'auteur ou de la victime' et pour tout dossier faisant l'objet d'une 'médiatisation possible ou effective de la procédure'", relève le quotidien classé à droite.
… et ce qui se pratique dans les faits
Difficile de considérer que la mise sur écoute d'un ancien président de la République dans le cadre d'une instruction ouverte sur un possible financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 ne fasse pas partie de ce genre d'affaires sensibles. Dans l'usage, ces dernières remontent généralement du parquet vers la Direction des affaires criminelles et des grâces, qui transmet ensuite au directeur de cabinet de la garde des Sceaux.
Parfois, ce sont les policiers eux-mêmes qui remontent l'information aux autorités. Place Beauvau, on reconnaît, selon Europe 1, que le ministre peut être informé la veille d’une perquisition, parce que cela mobilise des effectifs de police. Dans les faits, cela va plus loin, selon un ex-ministre de l’intérieur, de droite, cité par la radio. Il assure qu’il pouvait avoir accès aux relevés d’écoutes. Libération abonde : "Les policiers qui ont procédé aux écoutes sous l’autorité du juge peuvent se retrouver dans la situation d’en informer leur hiérarchie." A savoir Manuel Valls. Et donc, potentiellement, François Hollande.
Un ancien directeur de la police judiciaire résume, dans Le Figaro : "Quand des écoutes durent depuis si longtemps, il est impensable que la Chancellerie et l'Intérieur n'aient pas été avisés et qu'ils n'aient pas fait remonter les informations." A l'Elysée, c'est silence radio. On se refuse à tout "commentaire" sur l'affaire.
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