Affaire Alexandre Benalla : l'Elysée aurait-il dû prévenir la justice après avoir pris connaissance des violences ?
Le parquet de Paris a ouvert, jeudi, une enquête visant ce collaborateur du chef de l'Etat, accusé d'avoir frappé un manifestant lors des rassemblements du 1er-Mai.
L'affaire Alexandre Benalla s'emballe. Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire, jeudi 19 juillet, après que Le Monde a révélé que ce collaborateur d'Emmanuel Macron a été identifié en train d'agresser un manifestant en marge des rassemblements du 1er-Mai. L'enquête porte sur les chefs de violences par personne chargée d'une mission de service public, usurpation de fonctions et usurpation de signes réservés à l'autorité publique. Elle a été confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne.
>> Affaire Alexandre Benalla : suivez les réactions dans notre direct
Alertés dès le 2 mai, les services du président de la République ont sanctionné Alexandre Benalla en le suspendant temporairement de ses fonctions et en le rétrogradant à un poste administratif. L'Elysée aurait-il dû aller plus loin, et saisir la justice ? Elements de réponse.
Autorisé sur la manifestation comme observateur
Retour sur la chronologie des faits. Interrogé par Le Monde, Patrick Strzoda, directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, indique qu'Alexandre Benalla lui a demandé "deux jours" avant les rassemblements du 1er-Mai l'autorisation "de participer à une intervention auprès de la préfecture de police pour voir comment se gérait une grande manifestation". Cette autorisation lui a été accordée, à condition que ce chargé de mission n'y assiste qu'en tant qu'observateur.
Le jour de la mobilisation, Alexandre Benalla est filmé en train de tirer par le cou une jeune femme et de frapper un jeune homme par des manifestants rassemblés place de la Contrescarpe, dans le 5e arrondissement. Il porte un casque avec visière orné d'un écusson et les CRS qui l'entourent le laissent agir.
Contacté par Le Monde, le directeur de cabinet du président de la République dit avoir été avisé le lendemain des faits par un collaborateur que "M. Benalla avait été reconnu sur le terrain en train de participer à des opérations de maintien de l’ordre." Il visionne les vidéos et convoque Alexandre Benalla, qui reconnaît être l'homme casqué. Patrick Strzoda alerte le président de la République, alors en déplacement en Australie. "Si les faits sont avérés, il faut prendre des sanctions", répond Emmanuel Macron.
Jeudi 3 mai, le directeur de cabinet du président adresse une lettre à Alexandre Benalla lui reprochant un "comportement manifestement inapproprié" lors des manifestations du 1er-Mai, et souligne un manquement à "l’exemplarité qui est attendue, en toutes circonstances, des agents de la présidence de la République". Chargé jusque-là de la sécurité des déplacements du président, le collaborateur d'Emmanuel Macron est suspendu de ses fonctions du 4 au 19 mai avec suspension de salaire, puis réaffecté à un poste administratif.
L'article 40 du Code de procédure pénale invoqué
La présidence de la République aurait-elle dû aller au-delà d'une simple sanction et avertir la justice des faits reprochés à Alexandre Benalla ? Le deuxième alinéa de l'article 40 du Code de procédure pénale prévoit que "tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".
Or, selon les informations de franceinfo, l'enquête ouverte à l'encontre du collaborateur d'Emmanuel Macron par le parquet de Paris l'a été de sa propre initiative. Ni le directeur du cabinet du président, ni le chef de l'Etat lui-même n'auraient donc saisi la justice de ces faits au moment où ceux-ci ont été portés à leur connaissance.
En vertu de l'article 67 de la Constitution, le président de la République ne peut pas être poursuivi durant l'exercice de son mandat. Son directeur de cabinet pourrait-il, de son côté, faire l'objet de poursuites pour n'avoir pas prévenu le procureur de la République des faits reprochés à Alexandre Benalla ? "Que risque le fonctionnaire qui ne dénonce pas ? A cette question, la jurisprudence n'a pas tranché", explique à franceinfo Delphine Meillet, avocate au barreau de Paris et spécialiste du droit pénal.
"Les fonctionnaires sont certes tenus de dénoncer des manquements à la loi, mais le Code pénal ne prévoit pas de sanction en cas de non-dénonciation", continue Delphine Meillet.
Dans des cas extrêmement graves, on pourrait imaginer que la responsabilité pénale du fonctionnaire pourrait être éventuellement recherchée sur le fondement de la complicité par abstention.
Delphine Meillet, avocate au barreau de Parisà franceinfo
Dans cette situation, les sanctions encourues dépendraient alors de la gravité du crime ou du délit que le fonctionnaire a omis de signaler à la justice, précise la spécialiste. "Cette abstention fautive pourrait également faire l'objet d'une sanction disciplinaire. Sur ce terrain-là, une sanction administrative pouvant aller d'un simple avertissement à une révocation pure et simple pourrait être prononcée", conclut l'avocate.
L'opposition vise Emmanuel Macron
De nombreux responsables politiques de droite comme de gauche ont invoqué ce fameux article 40 du Code de procédure pénale pour attaquer le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron et le président lui-même. Invité des "4 Vérités" de France 2, jeudi 19 juillet, Olivier Faure a ainsi estimé que Patrick Strzoda connaissait "parfaitement ces règles". "
Et de viser le chef de l'Etat. "On ne peut pas vouloir une République exemplaire et considérer qu'un collaborateur du président n'a pas à répondre des mêmes règles que n'importe quel Français. On ne peut pas faire la leçon à un collégien et ne pas la faire à quelqu'un qui est dans son propre cabinet", a lancé le premier secrétaire du PS.
La protection dont a bénéficié M. #Benalla au sein de l'équipe rapprochée d'@EmmanuelMacron est honteuse. Une suspension de quelques jours n'est pas une sanction. La saisine de l'autorité judiciaire, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, est évidemment nécessaire.
— Guillaume Larrivé (@GLarrive) 19 juillet 2018
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.