Affaire Benalla : "Je ne sais pas ce que ce monsieur vient faire dans le décor", estime le fondateur du groupe de sécurité de la présidence
Pour tenter de mieux comprendre les fonctions occupées à l'Elysée par cet homme visé par une enquête, franceinfo a interrogé le fondateur du groupe de sécurité de la présidence de la République, Alain Le Caro.
Quel était le rôle d'Alexandre Benalla au sein du dispositif de sécurité qui entoure Emmanuel Macron ? Adjoint au chef de cabinet du président de la République, ce collaborateur du chef de l'Etat a été rétrogradé à un poste administratif après avoir reconnu avoir frappé un manifestant lors des rassemblements du 1er-Mai.
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Réserviste de la gendarmerie depuis 2009, Alexandre Benalla n'avait, selon l'AFP, été appelé sur aucune mission depuis 2015. Il avait toutefois participé à une formation "de haut niveau organisée à l’école des officiers de la gendarmerie à Melun" au printemps de cette année-là, rapporte Le Monde.
Pour tenter de mieux comprendre les prérogatives dont peut bénéficier cet homme – en charge de la sécurité d'Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle – à l'Elysée, franceinfo a interrogé Alain Le Caro. Ancien membre du GIGN, ce fondateur du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et qui l'a dirigé de 1983 à 1988 se pose des questions sur le rôle d'Alexandre Benalla.
Franceinfo : Comment avez-vous réagi en apprenant l'existence d'Alexandre Benalla, qui était visiblement l'un des responsables de la protection du président avant sa rétrogradation ?
Alain Le Caro : Je ne sais pas ce que ce monsieur vient faire dans le décor ! Je ne connais pas le personnage, son niveau ou ses capacités. Mais quelqu'un qui apparaît de nulle part pour assurer la sécurité du président alors que celui-ci dispose un service compétent sur place… Je ne vois pas ce que cela peut apporter de plus au point de vue de l'efficacité du dispositif. Et en matière de discrétion, je n'en parle même pas ! Cela ne peut être que sujet à des débordements.
En cas d'intervention, vous avez déjà le GIGN et la police. Si en plus, quelqu'un qui ne fait pas partie du sérail s'en occupe... Même si je ne sais pas comment tout cela était organisé, cela me semble aberrant vu de l'extérieur.
Je ne connais pas ce monsieur, mais je l'avais déjà remarqué à la télévision. Je croyais qu'il appartenait aux services de police. Je ne sais vraiment pas ce qu'il venait faire dans le dispositif. La sécurité, c'est un dispositif qui se travaille, où chacun connaît son poste et sait comment il doit intervenir. Quelqu'un d'extérieur qui vient s'immiscer dans un dispositif comme cela, c'est une source d'emmerdes assurée.
Pourquoi a été créé le GSPR et comment s'organisait-il ?
Le GSPR a été officiellement créé en janvier 1983. Il a été mis en place à la demande des proches du président de la République, avec bien sûr son aval. Son but était de faire face à des menaces de type terroriste.
Nous avions besoin d'une unité capable de s'adapter à cette nouvelle donne au caractère bien spécifique. À l'époque, les services du ministère de l'Intérieur ne pouvaient pas répondre à cette mission de façon efficace. C'est donc tout naturellement que les autorités se sont tournées vers le créateur du GIGN de l'époque, Christian Prouteau, pour monter une unité spéciale.
Il s'agissait bien sûr de répondre à des impératifs d'efficacité, mais aussi de discrétion. La première mission de sécurité d'un président dans un contexte terroriste s'est en effet élargie pour couvrir la protection de certains secrets d'Etat, que j'évoque dans mon livre, Les Mousquetaires du président (éditions Fayard, 2017). En l'occurrence, il s'agissait de trouver des hommes capables d'une discrétion absolue au sujet de la maladie et de la deuxième famille de François Mitterrand.
Au départ, ce service n'était donc composé que de gendarmes spécifiquement formés pour ces missions...
Avant la création du GSPR, la sécurité générale du président – lorsqu'il était en déplacement en France et à l'étranger – était assurée par le service des voyages officiels. En plus de cela, une dizaine de policiers dits "privés" assuraient sa sécurité quotidienne. Il s'agissait pour la plupart de policiers qui s'étaient chargés de sa protection lors de sa campagne présidentielle.
À notre arrivée, nous avons mis en place un nouveau dispositif composé uniquement de membres du GIGN. En tant que gendarmes, nous n'avions de comptes à rendre qu'au président en personne, contrairement au service des voyages officiels qui répondaient à l'époque au ministère de l'Intérieur.
À cette époque, les membres de l'entourage du président, comme Alexandre Benalla, pouvaient-ils intervenir dans l'organisation des dispositifs de sécurité ou dans la protection directe du chef de l'Etat ?
Lors des déplacements, nous travaillions évidemment en étroite collaboration avec les dispositifs généraux mis en place par la police nationale et par les préfets. Mais la "sécurité proche" n'était assurée que par le GSPR.
Tout cela était conduit et harmonisé par le chef de cabinet de la présidence pour les déplacements effectués en France : celui-ci effectuait la coordination entre notre unité et les forces de l'ordre mobilisées par les services des voyages officiels. Lorsqu'il s'agissait de se déplacer à l'étranger, nous étions sous la direction des services du protocole. C'est par cet intermédiaire que s'effectuaient les contacts avec les services de sécurité étrangers. Mais là encore, la sécurité personnelle du président était toujours assurée par le GSPR.
Il y avait enfin les voyages privés. Dans ce cas-là, il n'était plus question de chef de cabinet, de protocole ou de services des voyages officiels : nous assurions seul les voyages privés du président en France et à l'étranger. Il n'y avait aucune interférence avec un quelconque service.
L'organisation du GSPR a-t-elle évolué au fil des années ?
Pendant les deux septennats de François Mitterrand, nous avons subi une forte pression venue du ministère de l'Intérieur et des policiers qui souhaitaient nous reprendre les prérogatives de protection du président. A son arrivée à l'Elysée, Jacques Chirac a choisi de couper la poire en deux, en faisant à la fois appel à des gendarmes et des policiers pour assurer sa protection. Il y avait alors une superposition de deux services avec des pratiques, des techniques et des entraînements différents. Cela n'a pas simplifié les rapports entre ces services, sans parler de l'efficacité et de la discrétion…
Nicolas Sarkozy, lui, a fait l'inverse de François Mitterand : il n'a pris que des policiers ! Il n'avait confiance qu'en la police… Chacun ses goûts !
Alain Le Caro, fondateur du GSPRà franceinfo
François Hollande est ensuite revenu à l'ancien système en combinant police et gendarmerie, ce qui ne peut, selon moi, conduire qu'à des problèmes. On l'a d'ailleurs vu en juin 2017, quand un gendarme a accidentellement fait feu avec son arme lors d'un discours du président qui était seul à son pupitre : personne n'avait plongé pour le protéger.
Emmanuel Macron est également protégé par des policiers issus du service de la protection (SDLP) et de gendarmes du GIGN. Mais ces deux unités sont sous le commandement d'un général du GIGN. Il organise, je crois, des entraînements communs : il y a en tout cas eu un effort vers une unicité de commandement et de réactivité.
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