Amiens, Paris, Le Touquet : Emmanuel Macron, candidat sans fief
Emmanuel Macron repart en campagne : il est mercredi à Amiens, où il a grandi, dans les Hauts-de-France. S'il y revendique ses racines, l'homme quitte pourtant Amiens à l'âge de 16 ans pour devenir un pur produit de l'élite parisienne. Macron, candidat sans fief ?
En déplacement mercredi 26 avril dans les Hauts-de-France, Emmanuel Macron repart en campagne. Attendu à Amiens pour une rencontre avec les salariés de Whirlpool dont l'usine doit fermer, il tiendra ensuite un meeting à Arras.
Outre les salariés du fabricant américain d'électroménager, le candidat à l'élection présidentielle retrouvera ses racines : si ses grands-parents sont pyrénéens, si son parcours sans faute - Henri IV, Science Po, ENA, inspection des finances - en fait un pur produit de l'élite parisienne, c'est à Amiens qu'Emmanuel Macron naît en décembre 77. On l'y verra devant les pianos du conservatoire, mais aussi s'essayer au football, et à la boxe le mercredi.
À Amiens, il se rêve en écrivain ou philosophe
Sur les bancs de la Providence, lycée privé jésuite, le jeune homme se rêve en écrivain ou philosophe. "Que de chemin parcouru !, se souvient son professeur d'histoire, Arnaud de Bretagne, ancien giscardien devenu militant d'En Marche ! "Emmanuel était un battant, quelqu'un de très mature pour son âge, qui aimait le contact des adultes et qui posait énormément de questions. Quelqu'un d'enthousiaste."
Sa professeur d'allemand, Dominique, ne se souvient pas avoir eu deux élèves comme lui : "C'est vraiment quelqu'un qui marque un enseignant. Sans jamais donner l'impression d'écraser. Il n'a jamais été en dehors de sa génération, déconnecté." Dans ce concert d'éloges, l'enseignante souligne notamment que s'il devait rencontrer Angela Merkel, il saurait se remettre à l'allemand "sans aucun souci".
>> Emmanuel Macron est-il si différent ?
Parmi ses camarades, au lycée, François Ruffin, réalisateur du documentaire Merci Patron, soutien de Jean-Luc Mélenchon. C'était il y a 22 ans. "Seulement" 22 ans, s'amusent les adolescents rencontrés à la sortie de l'établissement. "Cela fait quelque chose de savoir que, peut-être, le futur président vient de notre lycée, s'enthousiasme une élève. On sent que l'on peut y arriver, même en venant d'un petit lycée de la campagne."
Pour fuir l'amour, il rejoint les bancs d'Henri IV
Si Emmanuel Macron revendique ses racines amiénoises, l'homme quitte cependant la ville en classe de première, lorsqu'il s'éprend de sa professeure de français, de vingt ans son aînée. Pour s'éloigner de cette liaison interdite, le jeune homme rejoint en terminale le prestigieux lycée parisien Henri IV. "Cela ne fera que décupler la passion", racontera plus tard la professeure en question, devenue sa femme.
La famille de Brigitte Macron reste incontournable à Amiens. Les Trogneux y sont propriétaires de pâtisseries depuis cinq générations. Pour autant, dans les boutiques, on ne souhaite pas commenter l'ascension fulgurante du gendre. Discret, lui aussi, le père d'Emmanuel Macron, neurologue au CHU de la ville, professeur à la faculté de médecine.
Si Emmanuel Macron a bien lancé son mouvement En Marche ! dans la ville picarde il y a un an, on ne l'y a vu depuis qu'une seule fois, lors d'une visite éclair pour une séance de dédicaces à la librairie Martelle, en novembre dernier. Aussi peut-on difficilement dire qu'Amiens est son fief. Il n'y a jamais été élu. C'est son atout autant que sa faiblesse : il n'a jamais été élu nulle part.
Au Touquet, enthousiasme relatif et indifférence
Ni vraiment Amiens, ni vraiment Paris, donc. Tirons un bord au Touquet, l'autre ville des Hauts-de-France attribuée par les médias à Emmanuel Macron. Le couple Macron possède dans la très chic station balnéaire une grande villa, estimée à 1 400 000 euros. Si Emmanuel et Brigitte Macron viennent souvent, il serait pour autant incorrect d'évoquer véritablement un "fief".
Et pour cause : le Touquet est "la" ville de droite par excellence. L'ancien ministre de l'Économie de François Hollande y a réalisé un score de 30%. Honorable. Mais face à lui, François Fillon lui dame allègrement le pion en explosant les 50% de voix. Encarté trois ans au Parti socialiste, la référence Mitterrand en bandoulière, ancien ministre socialiste : à tout le moins, le plat de résistance s'est avéré indigeste pour le Touquettois moyen.
Jacques, habitant croisé au hasard d'une rue de la station balnéaire, s'abstiendra d'ailleurs de lui donner sa voix au second tour de l'élection. "Il n'a pas d'expérience et arrive comme un cheveu sur la soupe...", estime-t-il. Le candidat d'En Marche ! l'inquiète : "Il veut supprimer les impôts locaux, qui concernent 80% des Français. Je crains que les 20% qui restent paient tout le reste. Comme je possède un petit peu de biens, j'ai un peu peur pour tout cela..."
Du côté des commerçants, l'indifférence polie domine. "On le croise souvent, deux fois par mois.. A la braderie [du Touquet], on l'a même croisé avec Luchini", se souvient l'un d'eux. "On saura au moins placer le Touquet sur une carte, avance-t-il. Il y a quelques années, Le Point l'avait placé en Normandie. Mais si cela devient trop connu, il y a toujours le risque d'attentat..."
Tennis avec les notables, romans inachevés
À la maison de la presse, Delphine Dausque, elle, profite plutôt amusée d'un effet d'aubaine. "Cette année a été très importante au niveau presse : il n'y a pas eu un magazine où [le couple] ne figurait en couverture : Paris Match, Ici Paris, Voici. C'est toujours appréciable. Son livre La Révolution s'est d'ailleurs très bien vendu", se réjouit la libraire.
Quand il ne fuit pas les photographes, quand il s'évade au Touquet, Emmanuel Macron partage des moments avec les trois enfants et sept petits enfants de sa femme. L'une des trois filles, Tiphaine Auzière, 32 ans, avocate au barreau de Boulogne, anime d'ailleurs le comité local d'En Marche ! L'homme écrit, aussi : dans ses tiroirs sommeilleraient des romans signés de sa main, jamais publiés.
Il a également été longtemps membre du Tennis Club du Touquet, où on l'y a vu échanger quelques balles avec des notables locaux. Dont l'ancien maire, Léonce Deprez, qui a marié le couple en 2007. À 90 ans, ex-UDF puis UMP, il est aujourd'hui, contrairement au maire actuel, Daniel Fasquelle, trésorier des Républicains, un soutien convaincu d'Emmanuel Macron.
J'ai voté Macron comme j'ai voté pour un frère !
Léonce Deprez, ancien maire du Touquetà franceinfo
"D'ailleurs, je lui envoie des messages pour lui donner tel ou tel conseil. Je suis très heureux pour lui, pour sa génération", estime l'ancien maire du Touquet. Parmi les nombreux atouts que l'homme attribue au candidat à l'élection présidentielle, sa capacité de séduction. "Il est physiquement agréable, ajoute Léonce Deprez. C'est important, il ne faut pas séduire que les femmes. Les élus devraient s'entraîner à séduire, pour donner le goût de la vie politique."
Emmanuel Macron saura-t-il séduire les salariés de Whirpool en détresse, les habitants du Pas-de-Calais frappés par la crise ? Tant de réalités éloignées de la douceur bourgeoise du Touquet. La réponse se dessinera peut-être ce mardi.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.