"Sans évolution, les dérives se reproduiront dans quatre ans" : Anticor réagit au classement de sa plainte sur les comptes de campagne de la présidentielle
Franceinfo a interrogé Jean-Christophe Picard, président de l'association de lutte contre la corruption en politique.
Coup dur pour Anticor ? Jeudi 20 septembre, le parquet de Paris a classé sans suite la plainte de l'association de lutte contre la corruption dans la vie politique, qui réclamait une enquête pour "vérifier la transparence et la probité des comptes" de campagne présidentielle d'Emmanuel Macron, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen.
Ce classement ne concerne toutefois pas certaines dépenses de Jean-Luc Mélenchon, déjà visées par une enquête préliminaire ouverte à Paris après un signalement en avril, ni une soirée électorale d'Emmanuel Macron qui fait l'objet depuis fin juin d'une enquête à Lyon.
Nous avons demandé à Jean-Christophe Picard, président d'Anticor, son opinion sur cette décision.
Franceinfo : Comment réagissez-vous au classement sans suite de la plainte que votre association avait déposée ?
Jean-Christophe Picard : Avec sang-froid. C'est un classement sans suite un peu curieux, car le parquet a quand même pris la peine de questionner la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP) et nous a adressé une réponse circonstanciée de onze pages. Nous saluons et respectons ce travail.
Ensuite, le procureur relève tout de même qu'une partie des faits que nous visions font l'objet d'enquêtes : la première a été ouverte un peu avant le dépôt de nôtre plainte [le parquet de Paris se penche sur d'éventuelles "surfacturations" de prestataires ayant travaillé pour la campagne de Jean-Luc Mélenchon], et une seconde un peu après [par le parquet de Lyon sur des soupçons d'avantages accordés pendant la campagne d'Emmanuel Macron par Gérard Collomb].
Que ces faits soient visés par des enquêtes qui ne sont pas techniquement ouvertes par nous, ce n'est pas grave, nous ne sommes pas susceptibles !
Jean-Christophe Picard, président d'Anticorà franceinfo
Après, concernant les faits qui ne sont pas soumis à une enquête, nous sommes forcément un peu déçus. Le procureur s'appuie en effet sur l'analyse effectuée par la CNCCFP, qui elle-même n'a pas les moyens humains, matériels ou juridiques d'investiguer sur ces faits. Ce n'est donc pas complètement satisfaisant. Nous allons demander l'accès au dossier pour réfléchir aux suites éventuelles.
Que reprochez-vous à la Commission nationale des comptes de campagne ?
Nous mettons en cause à la fois son indépendance et les moyens dont elle dispose. Nous avions d'ailleurs lancé une pétition pour que ce dispositif soit revu.
Nous pointons de nombreux problèmes la concernant. D'abord le fait qu'elle n'ait pas les moyens d'investiguer. Ensuite, le fait qu'on puisse augmenter le salaire du président de cette autorité administrative indépendante en cours de mandat pose le problème de son indépendance. Nous regrettons donc que le procureur s'arqueboute sur l'analyse de cette commission pour justifier sa décision, car nous estimons justement que le travail de celle-ci n'est pas satisfaisant. C'est le serpent qui se mord la queue !
Il faut réformer cette commission, notamment pour que ses séances soient ouvertes à des observateurs extérieurs, comme par exemple des représentants de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, de l'Agence française anticorruption, ou encore d'associations agrées telles que la nôtre. Nous voulons également que les infractions détectées dans les comptes de campagne soient automatiquement signalées au procureur de la République.
Quelles autres modifications législatives réclamez-vous ?
Ce qui s'est passé en 2017 pose de graves problèmes démocratiques. Outre le problème de l'utilisation de l'argent public – car c'est l'argent des Français qui rembourse les candidats quand leurs comptes sont validés par la commission –, se pose également la question de l'égalité entre les candidats : que certains candidats puissent surfacturer des prestations à leurs proches ou bénéficier de sous-facturations pose problème.
Il faudrait donc toiletter la loi, clarifier les règles en vigueur et renforcer les moyens de la Commission nationale des comptes de campagne. Il faudrait sans doute créer une sanction d'inéligibilité pour les candidats à l'élection présidentielle qui fauteraient.
Aujourd'hui, la seule élection en France où un candidat qui a son compte de campagne rejeté pour fraude n'est pas déclaré inéligible est l'élection présidentielle. Cela provoque certains comportements problématiques contre lesquels il faut lutter.
Jean-Christophe Picard, président d'Anticorà franceinfo
On souhaiterait, au-delà des suites judiciaires, engager une grande réflexion et une évolution législative qui n'est aujourd'hui pas annoncée. Alors que les scandales concernant le financement des campagnes présidentielles se répètent, rien ne bouge. C'est pour cela que nous avons lancé une pétition pour modifier le dispositif de contrôle des comptes de campagne, car si le dispositif actuel, qui comporte de nombreuses carences, n'évolue pas, ces dérives se reproduiront dans quatre ans.
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