"Une grande partie du jeu lui échappe" : Emmanuel Macron "laisse faire" Michel Barnier, en attendant des jours meilleurs
"Je vous rassure, je n'ai pas changé de fonction." Dans les travées du Salon de l'automobile, à Paris, lundi, Emmanuel Macron se voit obligé de rappeler une évidence à la presse qui l'accompagne : il est toujours président de la République. Présent à Bruxelles depuis jeudi 17 octobre afin de participer au Conseil européen, qui réunit les dirigeants des 27 Etats membres, le chef de l'Etat a aussi multiplié les prises de parole sur le Proche-Orient. Pourtant, son rôle a bien changé depuis la nomination, le 5 septembre, de Michel Barnier à Matignon. Pour la première fois depuis sept ans, le Premier ministre, figure des Républicains, n'est pas issu du camp macroniste.
En quelques semaines, le changement est spectaculaire. "Ce n'est plus l'Elysée qui impulse la dynamique politique, cela vient désormais de Matignon ou du Parlement", résume un conseiller ministériel. Le chef de l'Etat est dorénavant en arrière-plan du débat politique. "Emmanuel Macron n'a plus la maîtrise totale sur les événements (...), il est plus dans l'observation de ce qui se passe au national", note un cadre du camp présidentiel.
"Il ne lui reste plus grand-chose"
"Je ne suis pas un commentateur de ce qui a été présenté la semaine dernière", a d'ailleurs botté en touche le chef de l'Etat, lorsque des journalistes l'ont questionné sur la présentation du budget, le 14 octobre. Sur d'autres sujets, Emmanuel Macron a été plus prolixe, que ce soit sur l'affaire de Sanofi et de sa filiale qui produit le Doliprane, ou sur l'avenir de la voiture électrique. "Je souhaite que le gouvernement et le Parlement trouvent le bon chemin", entre "équilibres financiers" et "équation politique", a-t-il souligné.
Voilà donc Emmanuel Macron, jusqu'à présent omniprésent dans la conduite de la politique des affaires du pays, réduit à exprimer un souhait. Mais sa sortie n'est pas passée inaperçue chez les Républicains. "Il a fait ses commentaires ici et là, il met quelques bâtons dans les roues du Premier ministre, peste un député LR. Une grande partie du jeu lui échappe, c'est une façon de montrer qu'il existe. Il ne lui reste plus grand-chose."
"Il laisse vraiment faire le gouvernement"
Emmanuel Macron garde encore plusieurs atouts dans sa manche, à commencer par les questions internationales, à propos desquelles il n'a pas cessé de faire entendre sa voix. En déplacement à Chypre, le 11 octobre, le chef de l'Etat s'est, par exemple, exprimé sur la situation au Proche-Orient, jugeant "inacceptables" les tirs de l'armée israélienne en direction de la Finul. Il s'est encore attiré les foudres du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, en déclarant qu'il fallait cesser "de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza". Emmanuel Macron a par ailleurs accordé un long entretien portant sur les questions culturelles et numériques au magazine américain Variety.
En Conseil des ministres, le président "ne s'exprime que sur les questions internationales", confie à France Télévisions un membre du gouvernement.
"Ce n'est pas glacial, comme lors de la cohabitation entre Mitterrand et Chirac en 1986, mais le président ne parle pas beaucoup."
Une ministreà France Télévisions
Emmanuel Macron ne fait d'ailleurs plus de propos liminaires comme il en avait l'habitude en ouverture du Conseil des ministres. "Il laisse vraiment faire le gouvernement", assure un de ses proches. "Si ce n'est pas une cohabitation, ça y ressemble", livre un conseiller ministériel, qui décrit un président "beaucoup plus en retrait".
Finie la relecture des interviews de ministres
Résultat, les propos du chef de l'Etat sont désormais scrutés. Quand il déclare en Conseil des ministres que c'est une "décision de l'ONU" qui a "créé" l'Etat d'Israël, la petite phrase est vite transmise à la presse par des ministres sous couvert d'anonymat. Emmanuel Macron a beau dénoncer un "manque de professionnalisme" des ministres de Michel Barnier, le mal est fait.
Le président s'habitue à cette nouvelle forme de cohabitation. "C'est son gouvernement", confie-t-il en privé au moment de la composition de l'équipe de Michel Barnier. Le Premier ministre a menacé de claquer la porte quand sa première liste de ministres n'a pas reçu l'assentiment d'Emmanuel Macron. A ses proches, le président a confié avoir finalement "lâché", après avoir sauvé le domaine régalien avec Sébastien Lecornu aux Armées et Jean-Noël Barrot aux Affaires étrangères.
Pour le reste, les services de Michel Barnier sont désormais seuls à la manœuvre. Les conseillers de l'Elysée "ne participent plus aux réunions interministérielles, sont beaucoup moins associés aux arbitrages", confie-t-on dans l'entourage d'un ministre. Autre exemple de ce nouveau fonctionnement : la présidence ne relit plus les interviews de ministre à paraître dans la presse. "Habituellement, Matignon transmettait à l'Elysée, et il y avait une double relecture, mais l'Elysée n'est plus responsable de la communication gouvernementale", relate un conseiller ministériel. Maud Bregeon, la porte-parole du gouvernement, réalise ses comptes-rendus du Conseil des ministres depuis Matignon, et non plus depuis le palais présidentiel.
C'est aussi la fin de la primauté de la parole du chef de l'Etat sur ses ministres. "Avant, nous recevions l'agenda d'Emmanuel Macron et les membres du gouvernement ne pouvaient pas parler en même temps que lui. C'est terminé maintenant. On ne nous envoie d'ailleurs plus aucun message pour relayer la parole du président", raconte un communicant gouvernemental.
"Nourrir le lien"
Officiellement, Emmanuel Macron se contente, pour ce qui est de la politique nationale, d'échanger avec son Premier ministre. "C'est une relation de travail fluide. Le président est dans une posture de conseil, d'aide et d'accompagnement", assure un proche du chef de l'Etat, qui évoque "des échanges [en présentiel] hebdomadaires et téléphoniques autant que de besoin" entre les deux têtes de l'exécutif. Mais, le locataire de l'Elysée continue aussi de recevoir les macronistes. Une manière de prendre le "pouls du pays et de nourrir le lien avec ses compagnons de route", vante le même proche.
Par petit groupe, des députés se retrouvent donc, sans personne d'autre dans la pièce, à déjeuner avec Emmanuel Macron. "C'est assez franc", raconte le député Ensemble pour la République (EPR) Ludovic Mendes, qui l'a vu le 1er octobre. "Il n'avait pas l'air d'être aussi à l'aise qu'à son habitude (…). Il voit bien que son rôle a changé et il comprend que la politique nationale est en train de se jouer au Parlement". Le président aurait-il le spleen ?
"Je doute qu'il vive ce retrait de gaieté de cœur."
Un ancien compagnon de route d'Emmanuel Macronà franceinfo
"Il doit gérer une situation inédite, avec un Premier ministre qui n'est pas de son camp et une configuration parlementaire qui ne s'est jamais vue. Pour lui, ce n'est pas simple, c'est clair", reconnaît Nadia Hai, qui fut l'une de ses ministres.
"Le Président est quelqu'un qui n'abandonne jamais, qui a toujours la capacité de se remettre en question et de se réinventer. Je le sens respectueux du message envoyé par les Français, qui ont demandé une forme d'alternance", nuance Pierre Cazeneuve, député EPR. Ce proche du chef de l'Etat lui conseille de "renouer la confiance et la proximité avec les Français en retournant sur le terrain, au plus près du quotidien, dans de longs déplacements".
"Le dernier mot"
Une gageure, tant la popularité du chef de l'Etat est à reconstruire. Selon un sondage de l'institut Ipsos pour La Tribune, datant du 12 octobre, seuls 25% des Français portent un jugement favorable sur l'action du chef de l'Etat (-5 points depuis septembre), au niveau le plus bas depuis janvier 2019, au moment de la crise des Gilets jaunes.
Seul lot de consolation pour Emmanuel Macron : les critiques à son égard venant de son propre camp, virulentes, voire violentes lors de la dissolution, sont beaucoup moins présentes. "On parle de moins en moins du président en réunion de groupe ou dans nos différents échanges", constate Ludovic Mendes. Le groupe EPR se soude tout de même autour de la défense du bilan du macronisme, "un bilan collectif, qui n'est pas seulement celui du président de la République", ajoute le député de Moselle.
Les membres de l'ancienne majorité "commencent à comprendre que lorsqu'ils critiquaient le président, ils se critiquaient eux-mêmes. La colère étant passée, ils se sont rappelés qu'ils étaient la réminiscence du président", se gausse un conseiller ministériel.
Alors que les ambitions des uns et des autres pointent déjà pour l'élection présidentielle de 2027 dans le bloc central, Emmanuel Macron, empêché de se représenter par la Constitution, va s'atteler à défendre son héritage, face à certains membres du gouvernement qui voudraient bien le détricoter. "Pour l'instant, il laisse les choses reposer, il observe, tout en continuant d'avoir des contacts avec certains députés, livre un ancien ministre. Mais je ne pense pas qu'il débranche, même si officiellement, il décroche. Il n'a pas dit son dernier mot".
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