Récit franceinfo "L'amour dure sept ans" : après la perte de sa majorité aux législatives, la fin d'une ère pour le macronisme

Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Les soutiens du président de la République, Emmanuel Macron, ont  perdu leur majorité relative, au soir du deuxième tour des électeurs législatives, le 7 juin 2024. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Les soutiens du président de la République s'interrogent sur l'héritage du mouvement politique engagé en 2017, désormais sur le déclin, après avoir perdu une centaine de sièges au Palais-Bourbon.

"Le soir où Emmanuel Macron a dissous l'Assemblée nationale, il a d'une certaine manière acté la fin du macronisme", soupire Benoît Bordat, ancien député macroniste de Côte-d'Or, que l'on cueille en train de vider sa permanence. Elu pour la première fois en 2022, son mandat s'est arrêté brutalement, au soir du premier tour des élections législatives. Troisième derrière le Nouveau Front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN), il s'est désisté, comme 80 de ses camarades, pour empêcher l'extrême droite de lui succéder. "Le macronisme est mort", lâchait, avant le second tour, Bruno Millienne, ex-député du MoDem des Yvelines, à 350 km de là. "Je ne sais même pas si ça existe. Le macronisme, c'est Macron", poursuivait celui qui s'est lui aussi désisté pour faire barrage. 

L'amertume règne chez les parlementaires du camp présidentiel qui ont perdu de nombreux collègues au terme de ces élections législatives anticipées, provoquées par la dissolution de l'Assemblée le dimanche 9 juin. Au soir du second tour, dimanche 7 juillet, ils sont 163 à être élus ou à retrouver leur siège, selon les résultats définitifs transmis par le ministère de l'Intérieur. Loin, très loin de la majorité hégémonique de 2017, où les macronistes détenaient 360 sièges au Palais-Bourbon, ou même de la majorité relative de 2022, lorsqu'ils avaient pu conserver 250 fauteuils. Une perte d'une centaine de sièges même si la défaite aurait pu être bien plus sévère, sans les désistements de la gauche pour contrer le RN.  

"L'amour dure sept ans", lâche un proche d'Emmanuel Macron. Est-ce vraiment l'épilogue de sept années de macronisme ? "C'est plutôt la fin d'une étape politique, puisque la majorité n'existera plus de la même manière qu'à ses débuts", veut croire une fidèle de la première heure du chef de l'Etat. "Cependant, je crois toujours sincèrement que le chemin de 2017 peut être utile au pays", estime-t-elle, concédant s'être "peut-être un peu perdue en chemin".

Un dépassement politique vite dépassé

L'histoire a été maintes fois racontée. Ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée, rappelé au gouvernement par François Hollande pour devenir ministre de l'Economie, Emmanuel Macron avait su ravir le pouvoir, en 2017, à la surprise générale, et après avoir créé son propre mouvement : En marche ! "Jusqu'à cette dissolution complètement ratée, il a réussi des choses exceptionnelles : être candidat à 39 ans, réussir à dépasser le clivage gauche-droite, obtenir la majorité absolue, puis être réélu en 2022", liste Gaspard Gantzer, ancien communicant du président socialiste.

En 2016, dans son livre Révolution, Emmanuel Macron promettait de "dépasser les clivages politiques" pour "essayer d'aller plus loin dans la nécessaire refondation du pays". Sept ans plus tard, le bilan est mitigé et contesté en interne. "Ce dépassement, c'est la clé de tout, assure un influent député Renaissance. C'est notre plus grande force car ça permet de créer du consensus. Mais c'est aussi notre plus grande faiblesse, car avec des gens qui ne pensent pas pareil tout le temps, ça frictionne."

Le "en même temps" a aussi difficilement résisté à l'assaut du temps avec une aile gauche de la macronie qui s'est sentie de plus en plus délaissée. "La jambe gauche du macronisme n'a pas très bien fonctionné", analyse Bruno Millienne.

"Au fur et à mesure de l'exercice du pouvoir, la balance a plutôt penché vers la droite que vers l'équilibre initial."

Un ancien pilier de la macronie

à franceinfo

Et de citer la réforme des retraites ou la loi immigration. Du côté de l'aile droite, en revanche, on fustige un centrisme mou. "Plus ça avance, plus on a fait des choses de gauche et de droite, mi-figue mi-raisin, au lieu de faire des choses de gauche et des choses de droite", estime un conseiller ministériel.

Le bipartisme balayé par la vague macroniste en 2017 s'est mué en un tripartisme avec trois blocs qui s'opposent. Le bloc central, incarné par le camp présidentiel, est aujourd'hui  affaibli par les résultats des législatives. Le dépassement du clivage gauche-droite ne s'est pas non plus concrétisé dans les élections intermédiaires. "Sur les élections locales, ça ne prenait pas", constate Benoît Bordat. La macronie n'a pas su s'imposer aux élections municipales en 2020 ou aux régionales en 2021. Certains pointent du doigt le parti En Marche, devenu Renaissance. "Emmanuel Macron n'est pas seul responsable. Renaissance n'a pas su s'ancrer ni se structurer et est devenue une caricature d'entre-soi autosatisfait et méprisant", pointe une ancienne ministre.

Une montée de l'extrême droite jamais endiguée

En 2017, Emmanuel Macron avait également fait de la lutte contre l'extrême droite son cheval de bataille. Devant la pyramide du Louvre, au soir de sa victoire, il s'adressait ainsi aux électeurs de Marine Le Pen. "Je ferai tout durant les cinq années qui viennent pour qu'ils n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes", assurait-il. "On n'y est pas arrivés", reconnaît Bruno Millienne, alors que le RN a enregistré plus de 10 millions de voix, au premier tour. 

"Factuellement, c'est un échec", appuie une macroniste, avant de développer : "Est-ce que l'on s'est donné les moyens de réaliser le discours du Louvre ? Pour partie oui, la France va mieux économiquement. Il y a eu des avancées sociales. Tout cela pouvait faire reculer le RN mais sur d'autres sujets, comme l'identité culturelle, on n'a pas réussi à répondre aux attentes des Français."

D'autres restent dans l'incompréhension de ce vote massif pour le Rassemblement national, à l'image de ce proche du chef de l'Etat : "Même dans un village de 500 habitants dans le Gers, où ils n'ont pas vu un arabe depuis 50 ans, ils votent RN. J'ai arrêté de chercher à comprendre."

"On partait du postulat que moins il y avait de chômage, avec plus de policiers dans les rues et de services publics réparés, moins il y avait de raisons de voter à l'extrême droite."

Un proche du chef de l'Etat

à franceinfo

Peut-être aussi parce qu'Emmanuel Macron a beaucoup varié sur le sujet, dénonce Gaspard Gantzer, qui l'a côtoyé à l'Elysée avant 2017 : "Par pure tactique, il a dit tout et son contraire. Il a appelé au barrage républicain puis dit que ça n'avait plus de sens, considéré l'extrême droite comme un problème dans l'entre-deux-tours des législatives, alors qu'avant c'était La France insoumise. Et même recadré sa Première ministre Elisabeth Borne pour avoir rappelé que le RN était un parti 'héritier de Pétain'."

"En cassant les barrières idéologiques partisanes, il a préparé le terrain qui permet au RN d'être aux portes du pouvoir."

Gaspard Gantzer, ancien communicant de François Hollande

à franceinfo

Dans Révolution, Emmanuel Macron évoquait les électeurs du Front national de l'époque. "Je connais trop de Français qui ont choisi ce vote, non par conviction, mais justement pour protester contre l'ordre établi qui les a oubliés ou par dépit. Il faut leur reparler de leur vie. Donner du sens, une vision." Sept ans plus tard, Bruno Millienne est amer : "Le RN parle aux gens, eux ont construit un récit."

Un président jupitérien perçu comme hors-sol

En 2017, les macronistes promettaient pourtant de bâtir un "nouveau monde", avec l'ambition de faire de la politique autrement, en faisant de la "bienveillance" un concept central dans l'exercice du pouvoir. "Ne sifflez pas l'extrême droite, battez-la !", enjoignait Emmanuel Macron en 2017 comme en 2022. "On voulait les combattre pour avoir une société apaisée, pour renouveler les liens entre les gens. De toute évidence, c'est quelque chose que l'on n'a pas réussi", soupire une ancienne conseillère pleine de "regrets" à propos de ce pays devenu une "cocotte-minute" prête à exploser.

Le renouvellement des pratiques passait aussi par davantage de "co-construction" dans l'élaboration des politiques publiques. Basée sur une "grande marche" destinée à prendre le pouls du pays, "la démarche de 2017 était sans précédent et fortement attractive", se souvient une ancienne ministre. Comme elle, ils sont nombreux à pointer la "déconnexion" du chef de l'Etat, qui décide tout seul.

"La pratique solitaire et verticale du pouvoir, dans un mélange de solennité officielle et de propos hasardeux, n’a pas tenu ses promesses."

Une ancienne ministre

à franceinfo

La présidence jupitérienne a laissé des traces dans les rangs macronistes. "Nous avons manqué d'humilité pendant le premier quinquennat, on a été très arrogants et trop hautains avec les oppositions. Aujourd'hui, on en paye les pots cassés", regrette Bruno Millienne, qui garde une forme de rancœur vis-à-vis du chef de l'Etat : "Emmanuel Macron ne peut plus intervenir partout comme il l'a fait, les députés ne le supportent plus. Il nous a marché sur la gueule."

Certaines petites phrases du chef de l'Etat depuis 2017 restent encore dans les mémoires et en travers de la gorge. "Je ne céderai rien ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes", "je traverse la rue, je vous en trouve" du travail, "une gare, c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien"... "Au début ça me faisait rire, mais je comprends que les gens puissent être blessés, car ça manque d'empathie, de finesse, d'humanité..." déplore Bruno Millienne.

"Il le paye cash et on le paye tous cash."

Bruno Millienne, ancien député

à franceinfo

"Il a beaucoup innové et il ne s'est jamais défilé, jamais planqué", défend l'un des proches du président, qui cite les nombreuses tentatives d'Emmanuel Macron de renouer le dialogue avec le peuple, comme avec le "grand débat national", les conventions citoyennes ou encore le Conseil national de la refondation.

Plus globalement, se dessine une pratique singulière du pouvoir, aujourd'hui plus décriée que jamais. "Emmanuel Macron incarne une façon de faire qui n'a jamais réussi à convaincre en France : faire de la politique sans faire de la politique, c'est-à-dire faire de la gestion, être efficace", analyse Luc Rouban, politologue au Cevipof. "Ça a pu marcher, par exemple, pendant la crise du Covid-19."

"Emmanuel Macron n'a pas compris la demande qui émanait depuis les 'gilets jaunes' en 2018, avec une volonté de démocratie directe, de politique, tout simplement."

Luc Rouban, politologue au Cevipof

à franceinfo

"Le macronisme, c'est davantage une façon de faire de la politique plutôt qu'une doctrine établie, au-delà des idéologies", complète Gaspard Gantzer.

Un héritage terni par la dissolution

La dissolution surprise, pensée comme un coup politique, est toutefois restée incomprise par nombre de ses soutiens. L'acte relève de la "folie", s'emporte une ex-ministre, alors qu'un ancien fidèle dénonce "une erreur politique majeure" "Le seul argument – cynique – c'est : 'Essayons le RN, au moins pendant un an, ce qui permet d'éviter de les avoir pendant cinq ans'. C'est inadmissible, on ne donne jamais le pouvoir à l'extrême droite." Même si le front républicain a bien fonctionné, notamment en faveur du camp présidentiel. 

Après la dissolution de l'Assemblée, le Rassemblement national et La France insoumise avaient explicitement appelé le chef de l'Etat à envisager la démission, si l'Assemblée nationale issue des législatives était dépourvue d'une majorité claire pour gouverner la France. Ses proches balayaient l'hypothèse, avant les résultats. L'option semble désormais s'éloigner. 

"Ça serait une désertion et Emmanuel Macron n'est pas un déserteur, mais un combattant."

Un pilier de la macronie

à franceinfo

Reste que la fin du mandat d'Emmanuel Macron s'annonce plus compliquée que jamais, sans majorité ni absolue ni relative. Dans ces conditions, le macronisme n'apparaît plus comme un courant dominant du pays. "On peut faire un parallèle avec le giscardisme, qui défendait également une société ouverte", avance le constitutionnaliste Dominique Rousseau.

A trois ans de la fin de son quinquennat, plusieurs soutiens d'Emmanuel Macron contestent cet enterrement prématuré du macronisme. "Il y a l'héritage des idées et des personnes", insiste un proche.

"Il a fait émerger Gabriel Attal, Edouard Philippe, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Julien Denormandie... C'est la génération Macron."

Un proche du chef de l'Etat

à franceinfo

La bataille féroce pour la succession du chef de l'Etat en 2027 a connu un net coup d'accélérateur au mois de juin. Emmanuel Macron, au milieu de ces appétits, devrait rester encore trois ans à l'Elysée. "Il a encore beaucoup de pouvoir", veut croire un proche, quand une ancienne habituée du palais présidentiel assure que "l'histoire est encore en train de s'écrire". "Le macronisme n'est pas mort", renchérit Philippe Grangeon, ex-conseiller influent du chef de l'Etat et cofondateur du parti présidentiel. "S'il était mort, nos électeurs auraient voté pour le Parti socialiste ou Les Républicains. L'offre politique de 2017 qu'a portée Emmanuel Macron à la présidentielle n'a pas été balayée."

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