"J'ai une liberté de manœuvre que je veux utiliser" : comment Michel Barnier envisage son rôle de Premier ministre face à Emmanuel Macron

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les relations entre Emmanuel Macron et son nouveau chef du gouvernement Michel Barnier, nommé le 5 septembre 2024, vont être attentivement scrutées. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Si le terme de "cohabitation" n'est employé ni par le nouveau chef du gouvernement ni par le président de la République, l'Elysée évoque "une coexistence exigeante" pour définir la période qui s'ouvre.

"Une des premières questions que nous lui avons posées, c'est quel Premier ministre il compte être ?" Devant la presse réunie près de l'hôtel de Matignon, Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, entouré de son homologue à l'Assemblée, Laurent Wauquiez et du président du Sénat, Gérard Larcher, a détaillé, vendredi 6 septembre, leur entretien avec Michel Barnier, nommé la veille. "Est-ce que ce sera un Premier ministre collaborateur, auquel cas ce sera sans nous, ou est-ce que c'est un Premier ministre de plein exercice ?", a poursuivi l'homme politique vendéen.

Bruno Retailleau n'est pas le seul à se poser cette question. Quelles vont être les relations entre les deux têtes de l'exécutif ? Quelles seront les marges de manœuvre de Michel Barnier ? Après 51 jours de tergiversations et de consultations multiples, l'ancien ministre et négociateur en chef du Brexit, mais aussi figure des Républicains, s'est imposé aux yeux d'Emmanuel Macron. Pour autant, la période qui s'ouvre n'est pas une cohabitation au sens strict, comme la France en a connu en 1986, 1993 et 1997 avec une opposition qui emporte des élections et dispose de la majorité absolue au Palais-Bourbon. "J'ai connu des cohabitations, en tout cas une cohabitation dont j'étais l'un des ministres [en 1993, dans le gouvernement d'Edouard Balladur]. Nous ne sommes pas dans cette situation-là", a confirmé Michel Barnier, vendredi soir sur TF1

"Ce sera le gouvernement de Michel Barnier"

Face à une Assemblée nationale fracturée en trois blocs, le Savoyard de 73 ans va devoir composer et inventer une nouvelle manière de fonctionner avec le président de la République. L'ancien ministre ne bénéficie, pour le moment, ni du soutien total de sa famille politique ni de l'appui automatique du camp présidentiel. Il s'agit d'"une coopération exigeante", a fait savoir l'entourage d'Emmanuel Macron à franceinfo, qui évoquait également à l'AFP celui de "coexistence exigeante". "C'est un terme qui peut correspondre", assure à franceinfo l'entourage du Premier ministre. 

"Il a été pris pour ses talents de négociateur. Donc, il agira avec méthode, écoute, dialogue, ouverture et surtout détermination", ajoute-t-on de même source. Michel Barnier sera "très respectueux des institutions", assure le député LR Patrick Hetzel. "Il exercera les prérogatives de chef du gouvernement telles que définies par la Constitution", ajoute ce parlementaire qui l'avait soutenu, lors de la primaire de la droite pour la présidentielle, en 2021.

L'article 20 de la loi fondamentale dispose que "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation". Assistera-t-on donc à une lecture plus littérale de la Constitution ?"Nous sommes dans une nouvelle époque. (...) Un gouvernement responsable qui a de l'indépendance, a promis Michel Barnier sur TF1. Le gouvernement gouvernera et je le ferai en bonne intelligence avec le président de la République." Et le nouveau Premier ministre de marteler la formule consacrée : "Le président doit présider, le gouvernement doit gouverner."

"Ce sera le gouvernement de Michel Barnier", insiste encore Brigitte Kuster, ancienne députée LR et très proche du nouveau de locataire de Matignon. "Il aura les coudées franches", assure-t-elle.

"C'est une forte personnalité qui ne s'en laissera pas compter, tout en étant respectueux. Il a le sens de l'Etat et ce n'est pas quelqu'un qui aime les conflits et la confrontation."

Brigitte Kuster, ancienne députée, proche de Michel Barnier

à franceinfo

Après avoir longtemps refusé une coalition avec le président, le parti dont est issu le Premier ministre pourrait bien changer son fusil d'épaule et se laisser convaincre. "Il est évident que certains d'entre nous seront au gouvernement et ce sera notre manière de peser", assure un parlementaire LR proche de Michel Barnier. "Techniquement, c'est une cohabitation, mais on imagine mal Michel Barnier tenir tête à Macron et taper du poing sur la table", estime en revanche, auprès de France Télévisions, un cadre du parti des Républicains. 

Dans le même temps, le parti présidentiel assure qu'il n'y aura "pas de censure automatique" mais pas de "chèque en blanc" pour Michel Barnier. "Il n'y aura de notre part ni volonté de blocage, ni soutien inconditionnel", a écrit aux députés Renaissance Gabriel Attal, le patron du groupe, après son entrevue avec le chef du gouvernement vendredi matin. "C'est un Premier ministre qui n'est pas du bord du président donc normalement, ça s'appelle une cohabitation, observe le député Renaissance Ludovic Mendes. Ou alors, on verra s'il y a une coalition et si Michel Barnier est quelqu'un qui se met au-dessus des partis." 

Emmanuel Macron "doit maintenant lâcher du lest"

Le nombre de personnalités du bloc central mais aussi leur profil au sein du futur gouvernement seront ainsi scrutés. La couleur du prochain gouvernement donnera une indication claire du rapport de force au sein de l'exécutif. Interrogé par son camp vendredi matin, Michel Barnier a tenu à les rassurer. "J'ai une liberté de manœuvre que je veux utiliser", leur a-t-il lâché, selon des sources concordantes à France Télévisions. L'entourage du président évoque également auprès de franceinfo la "liberté du Premier ministre", mentionnant par exemple la fin d'un représentant de l'Elysée lors des réunions interministérielles à Matignon. 

Emmanuel Macron, souvent décrit comme un chef d'Etat s'occupant de tout, interviendra-t-il moins dans la conduite de la politique de la nation ? "Le président s'est beaucoup engagé sur le fait que le Premier ministre ne devait pas être censuré. Logiquement, il doit maintenant lâcher du lest pour ne pas être responsable de tout", préconise un député Renaissance. "Compte tenu de la situation politique, l'impulsion que pouvait donner le président sur les réformes à mener sera forcément moindre, et la latitude du Premier ministre supérieure", observe encore Marc Ferracci, député Renaissance, et proche d'Emmanuel Macron. 

D'autres verraient d'ailleurs bien l'ancien commissaire européen jouer le rôle de pare-feu. "C'est désormais au Premier ministre de protéger le président en trouvant des alliances au Parlement", assure le député Renaissance Mathieu Lefèvre. Mais, en coulisses, certains doutent, connaissant le fonctionnement d'Emmanuel Macron depuis sept ans. "Le président voulait clairement se désengager. Ceci dit, je ne le vois pas non plus lâcher totalement la main s'il constate que la politique conduite est très divergente de la sienne", relève un ex-conseiller de l'exécutif.

Mais, la ligne de Michel Barnier, qui ne remettra pas en cause la réforme des retraites, sera-t-elle si différente de celle du chef de l'Etat ? "Je vois un duo bien équilibré compte tenu de l'expérience nationale et européenne du Premier ministre (...) et efficace puisque les deux lignes politiques ne sont pas en opposition frontale", juge le député Renaissance François Cormier-Bouligeon. "Michel Barnier est assez proche idéologiquement pour ne pas détricoter le bilan", note le politologue Benjamin Morel. 

"Si Emmanuel Macron cherche trop à imposer ses vues, il va être une force de déstabilisation, je pense qu'il l'a compris. Le président va se concentrer sur ses domaines réservés comme la diplomatie ou la défense."

Benjamin Morel, politologue

à franceinfo

Pour ce spécialiste de la Constitution, "le vrai patron de Michel Barnier va être le Palais-Bourbon, avec le RN à gérer mais aussi Gabriel Attal et Edouard Philippe qui deviennent ses problèmes". Pour une ancienne conseillère d'Emmanuel Macron, l'équation très complexe de l'Assemblée nationale relèguerait presque au second plan la question de la future relation du duo de l'exécutif : "Je n'arrive pas à imaginer combien de temps ce Premier ministre là peut tenir sans censure." 

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