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"Ville de cœur" ou "coups de communication" : pourquoi Emmanuel Macron met-il le paquet sur Marseille ?

Article rédigé par Léonie Bayon, Laure Cometti
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Emmanuel Macron à Marseille le 16 avril 2022. (PAULINE LE NOURS / CHRISTOPHE SIMON / AFP)
Le chef de l'Etat va passer trois jours dans la cité phocéenne, de lundi à mercredi, pour présenter l'acte II de son plan "Marseille en grand". Depuis son arrivée à l'Elysée, Emmanuel Macron affiche un fort intérêt pour la deuxième ville de France.

Visite au siège de la police de Marseille, passage dans une école primaire, échanges avec des Marseillais… Emmanuel Macron est attendu lundi 26 juin dans la cité phocéenne. Le chef de l'Etat doit y dévoiler le deuxième volet du plan "Marseille en grand", qu'il avait présenté sur place en septembre 2021. Objectif : redresser la ville, en proie à des problèmes multiples d'insécurité et d'insalubrité des logements et des infrastructures publiques. Un milliard d'euros pour les transports, 254 millions d'euros pour les écoles et 169 millions d'euros pour les hôpitaux Nord et de la Timone… Au total, l'Etat doit injecter cinq milliards d'euros pour améliorer le quotidien des habitants de la deuxième ville de France.

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Comme pour mieux appuyer son intérêt pour Marseille, le chef de l'Etat a prévu d'y passer trois jours complets. "Une visite officielle aussi longue du président de la République dans les territoires, c'est inédit", insiste l'Elysée. "Marseille n'a jamais été bien traitée par l'Etat français. Le gouvernement fait des efforts énormissimes pour Marseille", se réjouit Renaud Muselier, président Renaissance du conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. 

 "C'est l'OM qui l'a fait rêver"

Emmanuel Macron a pour Marseille un attachement de longue date. Un engouement qui s'explique par son amour pour l'Olympique de Marseille, juge la députée des Bouches-du-Rhône et amie du couple présidentiel Sabrina Agresti-Roubache : "C'est l'OM qui l'a fait rêver quand il était ado". De cette passion pour le club aurait découlé un intérêt particulier pour la ville qu'il "connaît très bien, y compris certaines choses que seuls les habitants peuvent savoir", assure la députée.

Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, pose le 17 novembre 2016 à Marseille avec un maillot de l'OM à son nom. (BORIS HORVAT / AFP)

L'ancien ministre de l'Economie a ainsi choisi la cité phocéenne pour tenir son tout premier meeting de campagne, en 2016, au lendemain de l'annonce de sa candidature. Il était retourné dans sa "ville de cœur", comme il l'appelle, dans la dernière ligne droite de l'élection présidentielle de 2017, et s'était même approprié le parler local, assurant ne "craindre dégun" ("personne"), depuis le palais du Pharo.

C'est aussi là qu'il avait passé ses premières vacances de président. L'enfant d'Amiens en avait même profité pour aller s'entraîner à la Commanderie avec son équipe de foot préférée. Depuis 2017, Emmanuel Macron a enchaîné une dizaine de déplacements à Marseille. Pour mieux cerner les enjeux locaux, le locataire de l'Elysée échange régulièrement avec des personnalités influentes de la ville. "C'est un homme qui sait prendre la température et qui comprend vite", vante Renaud Muselier.

"Entre Macron et Marseille, c'est du storytelling"

"J'aime infiniment Marseille, la deuxième ville de France, l'une des plus pauvres et des plus vibrantes", scandait Emmanuel Macron dans le magazine Zadig à l'été 2021. Pour ses opposants, cette déclaration d'amour est savamment calculée pour des raisons d'image. "Emmanuel Macron est dans une logique de coups de communication, en particulier après la réforme des retraites qu'il veut faire oublier", dénonce Hendrik Davi, député La France insoumise des Bouches-du-Rhône.

"Entre Macron et Marseille, c'est du storytelling", abonde de l'autre côté de l'échiquier politique le député Rassemblement national des Bouches-du-Rhône, Franck Allisio. "Je crois que la seule chose d'authentique dans tout ça, c'est son amour pour l'OM. Le président s'amuse avec l'image de Marseille. (...) Il veut jouer la carte du multiculturalisme qui réussit", ajoute l'ex-conseiller municipal marseillais.

L'opposition s'accorde néanmoins sur le constat dressé par le chef de l'Etat : Marseille a besoin d'investissements importants. En matière de sécurité, bien sûr, après la mort de 23 personnes depuis le début de l'année, dans des règlements de compte. Mais également dans le domaine du logement, alors que l'effondrement de deux immeubles de la rue d'Aubagne en 2018 a mis un coup de projecteur sur les problèmes d'insalubrité. 

"Macron agit parce que la ville a de grandes fragilités"

Ces problèmes ne datent pas d'hier. Partout à Marseille, la classe politique accueille à bras ouverts l'argent mis sur la table par le gouvernement, tout en attendant de juger sur pièces. "Il vient parler des transports, de l'éducation et d'autres thématiques non régaliennes, c'est vrai que c'est surprenant pour un président", note Christophe Madrolle, conseiller régional siégeant dans la majorité. "Mais je préfère un chef de l'Etat qui donne des moyens à Marseille, plutôt qu'un chef de l'Etat qui se contente de signes d'affection, sans argent".

Un élu local qui préfère rester anonyme loue également l'intervention présidentielle, seul moyen selon lui de redresser la ville dont "l'administration est dans un état catastrophique après les années [passées sous le mandat de l'ancien maire de droite] Jean-Claude Gaudin"

"On ne peut pas laisser la deuxième ville de France dans une telle difficulté. Emmanuel Macron agit parce que la ville a de grandes fragilités", défend la députée Renaissance des Bouches-du-Rhône Anne-Laurence Petel. La situation critique de la cité phocéenne justifierait donc l'intervention du sommet de l'Etat. "Le président de la République assure un suivi permanent, au quotidien, du plan 'Marseille en grand'", insiste l'Elysée.

Un "laboratoire" local pour le macronisme

Ce plan d'Emmanuel Macron alimente les procès en verticalité. Signe de ce pouvoir centralisé, un élu local reçu à l'Elysée fin juin s'amuse d'avoir repéré, sur un bureau, "un dossier de 30 cm de haut au sujet de Marseille, avec l'écriture d'Emmanuel Macron, et à côté un petit dossier consacré à la décentralisation."

Un conseiller régional assure pourtant "avoir été consulté, comme d'autres élus de la majorité, même si à la fin, l'arbitrage est fait par Emmanuel Macron". Sabrina Agresti-Roubache vante elle aussi une "parfaite concertation", notamment avec le maire socialiste de Marseille, Benoît Payan. Pour ses détracteurs, le président n'aurait toutefois pas suffisamment travaillé avec les élus et les acteurs locaux pour élaborer son plan. "L'opposition n'a pas du tout été concertée, c'est fait dans la précipitation", regrette Hendrik Davi. 

"Ce n'est pas au président d'intervenir, comme un monarque, en court-circuitant les acteurs locaux. Cela démontre une vision solitaire et autoritaire du pouvoir. On a aucune envie d'avoir Zorro dans la ville !"

Hendrik Davi, député LFI des Bouches-du-Rhône

à franceinfo

Pour le politologue et sociologue au CNRS Vincent Geisser, cet intérêt d'Emmanuel Macron pour Marseille trahit un attrait pour le défi. Emmanuel Macron a "ce mythe de la terre en jachère où tout est encore à faire. La ville en devient séduisante par ses problèmes", observe l'expert. En l'abordant comme un "entrepreneur politique", le chef de l'Etat pourrait tenter de finir son quinquennat en beauté. "Il pensait pouvoir changer le destin de la France, s'est heurté à des oppositions et veut compenser ce qu'il n'a pas pu faire à l'échelle nationale sur un territoire plus réaliste en termes d'actions."

A l'Elysée, on préfère mettre en avant les possibles retombées de ce plan dans le reste de l'Hexagone. "Le président de la République fait de Marseille un laboratoire de ce que les politiques publiques peuvent faire pour changer la vie des Français. Certaines annonces qui relèvent de la sphère marseillaise peuvent concerner plus largement le territoire national", assure la présidence. 

Une "relative indifférence" des Marseillais pour Macron

La ville reste aussi un terrain électoral à conquérir, alors que les Marseillais ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête lors du premier tour des scrutins présidentiels de 2017 et 2022, et que le parti Renaissance peine à s'implanter, tant au niveau de la ville que de la région. "Il y a une relative indifférence, constate Vincent Geisser, Emmanuel Macron n'est pas un sujet de discussion dans les cafés des fans de l'OM." Ce n'est pourtant pas faute d'essayer de jouer la carte de la "marseillitude". Au début de la crise du Covid, le chef de l'Etat n'avait pas hésité à rendre visite au déjà très controversé professeur Didier Raoult, alors que l'engouement des Marseillais pour l'infectiologue de l'IHU était à son comble.

Ce faible engouement des Marseillais vis-à-vis du président de la République s'explique par un manque de spontanéité, ajoute Vincent Geisser. "Son meeting de l'entre-deux-tours [en 2022] était très fermé, ce n'était pas un meeting populaire, rappelle le sociologue, il y a un côté trop scénarisé dans sa communication, les Marseillais ne s'identifient pas". 

"Les Marseillais préfèrent les tribuns du peuple comme Jean-Luc Mélenchon ou Bernard Tapie. Macron n'est pas assez populiste pour être populaire."

Vincent Geisser, politologue et sociologue au CNRS

à franceinfo

Emmanuel Macron a tout de même récolté quelques louanges de la part du maire socialiste Benoît Payan, qui a salué son "travail hors norme sur Marseille". Les séjours marseillais d'Emmanuel Macron ne seraient par ailleurs pas dénués d'arrière-pensées municipales. Après avoir enregistré en 2021 le ralliement de l'ex-LR et président de la région Renaud Muselier, Emmanuel Macron peut aussi compter sur le soutien de son ancien ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, président du grand port maritime de la ville, et de l'ex-directeur du cabinet de Brigitte Macron, Pierre-Olivier Costa, devenu président du Mucem.

Reste à savoir si la stratégie d'Emmanuel Macron à Marseille portera ses fruits. "Je vois Macron comme un dompteur de lions : soit il se fera bouffer, soit il arrivera à dompter la ville et il aura sa reconnaissance", résume le conseiller régional Christophe Madrolle. Sa venue du 26 au 28 juin sera une bonne manière de prendre la température. Si Sabrina Agresti-Roubache assure que les Marseillais "ne parlent plus de la réforme des retraites" et s'attend à "un accueil très chaleureux", plusieurs syndicats ont toutefois appelé à se rassembler pour protester contre sa politique.

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