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A Sablé-sur-Sarthe, la (très) discrète Penelope Fillon

Dans le fief historique de François Fillon, peu se souviennent de la femme de l'ancien député-maire comme de sa collaboratrice parlementaire. Tétanisés par l'ampleur de l'affaire, les habitants et anciens élus peinent à s'exprimer à visage découvert. Franceinfo s'est rendu sur place.

Article rédigé par franceinfo - Margaux Duguet
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
François Fillon, alors Premier ministre, et son épouse Penelope lors d'un déplacement dans son fief de Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), le 19 mai 2007. (MAXPPP)

On sent bien qu'il aurait préféré parler d'autre chose. De son petit musée "A l'homme volant", par exemple. Dans la pénombre de cette maison ancienne dont chaque centimètre carré est dédié à la conquête de l'air, Jean-Claude Ragaru bichonne un cadre ancien. "Penelope Fillon a toujours été la collaboratrice de François Fillon", lâche cette figure de Sablé-sur-Sarthe au milieu de ses affiches de montgolfières. L'ancien prof d'arts plastiques, ex-adjoint à la culture de 1977 à 2007, fait partie d'une espèce rare dans la ville : celle qui se souvient d'avoir vu et côtoyé la femme de François Fillon en tant qu'assistante parlementaire

Car la majorité des élus, anciens et actuels, ainsi que des habitants de cette ville de 12 000 âmes interrogés par franceinfo n'ont aucun souvenir d'avoir vu Penelope Fillon à l'œuvre. Une chape de plomb est peu à peu tombée sur la commune, laissant les Saboliens méfiants et désemparés depuis les premières révélations du Canard enchaîné, mercredi 25 janvier. Mais Jean-Claude Ragaru est sûr de ce qu'il avance.

Je n'ai jamais eu aucun contact avec un membre de l'équipe Fillon à Paris. Mon seul contact, c'était Penelope.

Jean-Claude Ragaru, ancien élu de Sablé-sur-Sarthe

à franceinfo

"Quand Fillon ne pouvait pas venir, c'était Penelope qui venait"

Toujours penché sur son établi, l'amoureux des montgolfières se souvient, par exemple, d'avoir sollicité Penelope Fillon pour le Festival de musique baroque de Sablé. "Quand Fillon ne pouvait pas venir, c'était Penelope qui venait", dit-il encore, tout en louant "la discrétion" et "l'efficacité" de l'épouse de l'ancien Premier ministre. Jean-Claude Ragaru a beau être "étonné" par les sommes versées – un total de 831 440 euros brut selon Le Canard enchaîné –, il martèle avoir toujours connu Penelope Fillon comme "relais" ou "intermédiaire" de son mari. Etait-il au courant de son titre d'assistante parlementaire ? "Je les ai connus tout jeunes, je ne vois pas à quel titre je les aurais interrogés sur le statut de Penelope", réplique-t-il.

Jean-Claude Ragaru, ancien élu de Sablé-sur-Sarthe, le 31 janvier 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Un ancien proche de François Fillon tient peu ou prou le même discours. Pierre Lefebvre, suppléant du candidat de la droite de 1988 à 1993, puis lui-même député de la 4e circonscription de la Sarthe de 1993 à 1997 et quelques jours en 2002, est catégorique : "Quand Penelope Fillon était à Sablé, elle était à l'écoute des Saboliens. Ils pouvaient lui téléphoner pour avoir un rendez-vous qu'ils n'auraient pas eu avec François." Pour lui, "le rôle d'une épouse est toujours politique". Croisait-il Penelope Fillon lorsqu'il participait à des manifestations ou des cérémonies en tant que suppléant ? L'ancien élu répond par l'affirmative, mais de manière peu assurée, avant d'ajouter : "Je ne m'inquiétais pas de qui composait l'entourage officiel de Fillon, je n'ai jamais cherché à savoir qui était payé par qui."

Qui a vu Penelope Fillon ? 

Christian Coulombier se souvient très bien de François Fillon. Beaucoup moins de Penelope Fillon. Maire PS de La Suze de 1989 à 2001, une petite commune située dans la circonscription de Sablé-sur-Sarthe, il se rappelle avoir vu le jeune François Fillon tenir ponctuellement des permanences lorsqu'il était assistant parlementaire du député Joël Le Theule, son mentor en politique. "Mais je n'ai jamais vu madame Fillon tenir une permanence", assure-t-il. A 12 kilomètres de là, Alain Davaze, maire DVG de Malicorne de 1989 à 2008, est lui aussi très surpris des révélations du Canard enchaîné.

Fillon, j'avais de très bonnes relations avec lui. Au niveau local, c'était quelqu'un de remarquable mais là, je tombe des nues. La vraie vérité, c'est que moi, madame Fillon, je ne la connaissais pas.

Alain Davaze, ancien maire de Malicorne

à franceinfo

L'ancien édile traitait pourtant bien avec l'équipe de François Fillon, à travers son assistant parlementaire de l'époque, Pierre Molager : "Je le voyais régulièrement. Un assistant parlementaire a des contacts avec les maires de la circo, c'était son cas." Malgré nos demandes répétées, Pierre Molager, qui travaille désormais à la région Pays de la Loire, n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Le suppléant de Fillon aux abonnés absents

Un silence que nous a aussi opposé la mairie, transformée en forteresse imprenable depuis le début de l'affaire. Le maire, Marc Joulaud, ancien suppléant de François Fillon à l'Assemblée, a lui aussi employé Penelope Fillon comme assistante parlementaire, mais il refuse catégoriquement de répondre à la presse.

La mairie de Sablé-sur-Sarthe, le 31 janvier 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Seuls les élus de l'opposition sont plus prolixes. Gérard Frétellière, conseiller municipal de longue date à Sablé, est sûr de son fait : "Personne n'a jamais entendu que Penelope Fillon était assistante parlementaire. Même des gens de la majorité ne savaient pas." D'après cet élu Front de gauche, l'épouse de François Fillon venait à la mairie "de façon officielle lorsque les conjoints étaient invités". Et c'est tout. "Elle ne parlait jamais de politique", ajoute-t-il.

Selon nos informations, sous les mandats de François Fillon, il n'y a jamais eu de permanence parlementaire RPR, UMP ou Les Républicains à Sablé, et il n'en existe toujours pas. "Tout se passait à la mairie, il n'y a pas de local de député, ça crée de l'ambiguïté", affirment deux connaisseurs de la vie locale à franceinfo. François Fillon assure, lui, que sa femme travaillait depuis leur maison. Impossible à vérifier. 

Gérard Frétellière, élu d'opposition à Sablé-sur-Sarthe, le 31 janvier 2017.  (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

"Les habitants sont dégoûtés"

Cette absence d'éléments tangibles en faveur de la défense du couple Fillon laisse les Saboliens sonnés. Avec un goût de trahison dans la bouche. Dans les bars de la ville, les télévisions sont branchées en boucle sur les chaînes d'information et les rares exemplaires du Canard enchaîné s'arrachent aux premières heures du matin. "Les habitants sont dégoûtés", lâche une commerçante du centre-ville. 

Les gens sont choqués, ils ne comprennent pas, c'était le seul à ne pas avoir de casserole.

Une habitante

à franceinfo

"Tout le monde ne parle que de ça dans la ville", confie une observatrice de la vie locale, qui préfère rester anonyme. "Pour l'électorat de base, c'est ravageur. Les habitants ont l'impression qu'ils ont été faits cocus", renchérit Jean Posson, ancien membre des Républicains et candidat sans étiquette aux législatives de juin prochain. Ce Sabolien de 75 ans sent bien les soubresauts qui traversent sa ville. 

Après la primaire, Fillon, c'était le nouveau Dieu ici. Il marchait sur l'eau. Là, les gens sont meurtris, ils ont le sentiment d'avoir été trompés.

Jean Posson, candidat aux législatives

à franceinfo

"L'image de la ville est ternie, constate Rémi Mareau, élu de l'opposition de gauche à Sablé. Plus les révélations arrivent, plus ça va être difficile pour les pro-Fillon de trouver des excuses."

Une rue de Solesmes (Sarthe), le 1er février 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

A cinq kilomètres de là, la situation est encore plus tendue. Car c'est à Solesmes, village de 1 200 habitants, que se trouve le manoir des Fillon. Penelope Fillon y est conseillère municipale depuis 2014. Une fonction qu'elle remplit avec assiduité, comme l'attestent les comptes rendus des conseils municipaux. A l'AFP, le maire, Pascal Lelièvre, l'a qualifiée de "discrète" mais "investie" car elle "ne manque pas une réunion". Impossible d'en savoir plus. Pascal Lelièvre n'était pas disponible pour nous recevoir et n'a pas donné suite à notre demande d'interview.

Une attitude que semblent suivre ses administrés. A commencer par les moines bénédictins de l'abbaye de Solesmes, qui nous ont opposé une fin de non-recevoir. "Je n'ai rien à vous dire, merci, au revoir", nous répond sur le même ton la boulangère. "Son visage ne m'est pas inconnu, c'est tout ce que je peux vous dire", lâche la pharmacienne à propos de Penelope Fillon. Seule une habitante ose glisser un discret : "Ce n'est pas bien [ce qu'ont fait les Fillon], c'est une déception." Avant de partir, elle se veut rassurante sur l'avenir du candidat : "Vous savez, s'il réussit à aller au bout, je parie qu'il sera en tête à Sablé et ici." Mais même dans le fief historique de François Fillon, le doute s'est désormais installé.

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